Bernard Jeanne-Beylot : « NFC dispose du potentiel pour remplacer Bluetooth »

Bernard Jeanne-Beylot, directeur marketing de la division « radiofréquence » de IER, revient en détail sur les perspectives et enjeux relatifs à Rfid. Il nous propose au passage une vision pragmatique des différentes technologies sans fil et insiste sur le potentiel encore méconnu du standard NFC, concurrent de Bluetooth.

Bernard Jeanne-Beylot est directeur marketing de la division « radiofréquence » de IER (http://ier.fr, groupe Bolloré). Il a participé à de nombreux déploiements de solutions professionnelles sans-fil (Rfid ou autres) et intervient depuis plusieurs années dans divers comités de normalisation des radiofréquences.

Internet Actu : IER a déployé de nombreuses applications Rfid. Pouvez-vous en décrire quelques unes ?

Bernard Jeanne-Beylot : Une de nos plus anciennes applications concernait les arbres parisiens, pour la Mairie de Paris. Le but était d’identifier les arbres, pour optimiser la gestion de leur entretien. On a placé une puce sur chaque arbre. Les personnes chargées de l’entretien disposent d’un terminal pouvant lire les puces, et donc identifier avec certitude l’arbre sur lequel il faut intervenir. Cela permet également de faire un lien avec des données cartographiques. L’identifiant unique dans la puce permet de localiser l’arbre, n’importe où dans Paris. L’opération concernait environ 110.000 arbres (ceux qu’on appelle « arbres d’alignement », dans les rues et les boulevards ; les parcs et jardins ne sont pas encore identifiés par des puces). Cette application a été déployée en 1996-1997. La mise en place du projet était rapide, mais ça a pris du temps de placer les puces sur les arbres, car c’était une opération manuelle.

Internet Actu : Et plus récemment ?

Bernard Jeanne-Beylot : Il y a deux types d’applications en Rfid. D’abord les applications dites « en boucle fermée ». C’est un peu notre lot quotidien. Il s’agit de volumes de quelques milliers ou dizaines de milliers de puces, qui sont recyclables, par exemple pour identifier des bacs plastiques (de type bac navette) [je ne sais pas ce que c’est que les bac navette !]. Nous avons déployé plusieurs applications de ce genre. Nous avons également travaillé sur les parachutes de l’armée française, qui sont également identifiés par des puces, permettant de gérer un processus d’automatisation du pliage et du stockage. L’application est en cours de déploiement à Montauban, sur un site entièrement automatisé.
Viennent ensuite les applications que nous appelons « en boucle ouverte », où la puce est jetable. Il peut s’agir de colis ou de produits de consommation et on entre dans la problématique de chaîne de distribution (« supply chain »).
Ce sont bien deux types d’applications. On voit bien aujourd’hui que de nombreux acteurs découvrent cette technologie et globalement Rfid est un bon outil, qui permet d’automatiser la saisie et de la rendre plus fiable et plus rapide. Mais il faudra attendre avant de parler de milliards de puces et d’atteindre le fameux rêve de la ménagère qui passe avec son caddie sous un portique automatisé, les caissières ayant disparu. D’une manière plus réaliste, tout le monde travaille aujourd’hui au niveau des palettes et des colis.

Internet Actu : En parlant de généralisation des tags Rfid, on débat beaucoup du prix des puces, qui est un point clé si l’on veut taguer les produits unitairement. Quand pensez-vous qu’on atteindra le prix « mythique » de 5 cents le tag, permettant d’envisager sa généralisation sur tous types de produits ?

Bernard Jeanne-Beylot : Aujourd’hui, avec la technologie actuelle, parler de 5 cents le tag me semble très prospectif. Il ne peut s’agir que d’une échéance lointaine, quelque part dans les années 2010. Il est possible qu’apparaisse entre temps un saut technologique, qui permette de faire autre chose.
Mais pour être réaliste aujourd’hui, si l’on parle de gros volumes, c’est-à-dire de dizaines ou de centaines de millions de pièces, on est dans une fourchette large de 15 à 25 cents d’euros la puce. Il faut d’ailleurs bien préciser ce qu’on entend par puce. Il s’agit là d’un bout de silicium, de l’antenne et du substrat. Cela n’inclut pas par exemple d’enveloppe de protection.
Les gens qui travaillent aujourd’hui sur la chaîne de distribution sont plus habitués à travailler sur des étiquettes papier ou des codes barre. Sur ces types d’étiquettes, on a un effet volume important, et une forte concurrence. On peut jouer aussi sur la qualité du papier et cela donne des différences de prix énormes. En matière de silicium, il y a peu de fondeurs. Quand on définit une puce, ses caractéristiques sont fixes et définies pour une application donnée. Ensuite, le cycle de fabrication du silicium est extrêmement long, de l’ordre de 12 à 15 semaines pour fabriquer l’étiquette dans son ensemble. Cela suppose de mettre en oeuvre des infrastructures importantes, qui n’ont rien à voir avec de la papeterie. On raisonne en termes de composants électroniques, avec tout ce que cela entraîne, par rapport à la matière première, au processus de fonderie du silicium, et aux différents intervenants sur la chaîne, du design au montage de la puce sur l’étiquette, en passant par la connexion de l’antenne à la puce, à la protection de l’étiquette finale, au packaging, etc.
Il est important de comprendre cela, pour comprendre qu’une étiquette Rfid sera toujours plus chère qu’une étiquette en papier, et comment se décompose son prix. Aujourd’hui, 5 cents d’euro, c’est quasiment le prix du silicium seul ! Même avec un effet de masse important, les différentes opérations à mener sur le composant augmentent son coût total, et il faudra longtemps avant de le réduire.

Internet Actu : En matière de fréquences, on note des particularismes entre les différents pays. Un standard se distingue-t-il ?

Bernard Jeanne-Beylot : Dans le domaine des fréquences, on ne parle pas de normes, mais plus de contrats locaux d’utilisation de certaines fréquences. Chaque pays dispose d’un paysage hertzien différent.
En France, depuis de nombreuses années, toute fréquence qui n’est pas utilisée est récupérée de fait par les militaires. Ce fût le cas pour le Wi-Fi et Bluetooth. Nous avons mis en place quelques unes des premières solutions à base de Wi-Fi, mais nous n’avions que certaines bandes de fréquence. La même chose se produit sur d’autres plages de fréquences, notamment en UHF. En basse fréquence (inférieur à 135 kHz) et sur les hautes fréquences (13,56 MHz), c’est globalement uniformisé dans le monde entier et on peut utiliser les mêmes fréquences dans les mêmes conditions.
Pour l’UHF, c’est un petit peu différent. En France, c’est une plage utilisée par certains téléphones, un peu par la télévision, et par des applications militaires (guidage de missiles par exemple). Aux Etats-Unis, ces contraintes n’existent pas. On peut y utiliser de l’UHF, dans la bande de 915 MHz. En Asie, il y avait également des contraintes, mais ils travaillent pour libérer la bande de 960 MHz. Ces tranches UHF vont donc être étalées entre 850 et 960 MHz, selon les pays. Les américains sont au milieu et disposent donc d’une forte puissance, avec en plus une technologie à saut de fréquence. On comprend donc bien qu’ils fassent une forte promotion de l’UHF qui permet, aux Etats-Unis, de lire les puces à des distances importantes, en gérant bien l’anti-collision, c’est-à-dire en lisant un grand nombre de tags à la fois.
Aujourd’hui, ça n’est pas le cas ni en France, ni en Europe. L’ETSI (European Telecommunications Standards Institute, http://www.etsi.org) a créé un groupe de travail sur Rfid et travaille à faire évoluer la puissance des émetteurs, limitée aujourd’hui à 500 mW avec un taux d’occupation de la fréquence limitée à 10 %. L’idée est de mettre en place une nouvelle bande de fréquence dédiée à la Rfid, et sur laquelle on pourrait avoir 2 W de puissance (comparable aux 4 W américains), mais avec soit un taux d’occupation de la fréquence de 0,1 % (ce qui exclut de gérer de façon optimale l’anti-collision : on émet, puis on arrête d’émettre pendant 100 secondes, etc.), soit une autre technologie sur laquelle tout le monde travaille, « Listen Before talk » (LBT ; on écoute avant de parler, pour voir si la fréquence est occupée). Tout cela est en cours au niveau de l’ETSI, et on attend une officialisation des fréquences utilisables en UHF pour l’Europe au mois d’octobre. Après, l’ART en France devra spécifier d’éventuelles contraintes particulières à l’utilisation dans l’hexagone.

Internet Actu : Qu’en est-il des alternatives en matière de sans-fil à courte portée, notamment du NFC ?

Bernard Jeanne-Beylot : La NFC – « Near Field Communication » – est une contre-offre de Sony, Philips et Nokia (http://www.nfc-forum.org), qui se sont réunis pour promouvoir, dans les hautes fréquences (13,56 MHz), une nouvelle solution de communication de proximité. Cette solution concerne la lecture de cartes sans fil, qu’il s’agisse de contrôle d’accès ou de billetterie. L’idée est de pouvoir lire, à très courte distance, la carte d’un porteur, avec n’importe quel terminal mobile (PDA, téléphone mobile, smartphone…), mais aussi de dialoguer avec d’autres terminaux ou appareils ménagers. C’est la notion de « télécommande universelle », qui pourra être intégrée dans n’importe quel portable.

Internet Actu : Mais quel est l’atout de cette solution, par rapport à Bluetooth notamment ?

Bernard Jeanne-Beylot : Bluetooth utilise la fréquence de 2,45 GHz, donc est souvent pollué, par du Wi-Fi par exemple. Ensuite, Bluetooth n’est pas utilisé de la même manière selon les canaux, d’un pays à l’autre. C’est d’ailleurs ce qui a freiné largement le développement de Bluetooth, par exemple dans les voitures. Aujourd’hui, seules quelques voitures, de très haut de gamme, sont équipées de Bluetooth, car le constructeur doit faire face au problème de savoir, dès la fabrication, dans quel pays va partir la voiture. Avec NFC, on n’a pas ces contraintes.
Nokia a déjà annoncé qu’ils allaient abandonner Bluetooth dans leurs mobiles. Sony Ericsson est en train de sortir ses premiers téléphones dotés de NFC. Les puces commencent à être disponibles, et il faut juste attendre que cette nouvelle technologie soit prise en compte. Mais je crois que NFC présente vraiment beaucoup d’avantages par rapport à Bluetooth, et dispose du potentiel pour le remplacer à terme. Il s’agit bien ici de supprimer tous les câbles, dans un environnement local (3 à 5 mètres maximum), ce qui était la promesse originelle de Bluetooth, avec la notion prometteuse de télécommande universelle.

Internet Actu : Pour parler d’utilisation, on constate une jungle de standards, de fréquences, ou d’acronymes. Quid de l’acceptation – ou de la simple compréhension – par l’utilisateur de ce monde complexe ?

Bernard Jeanne-Beylot : Par rapport à toutes les fréquences et les modes de communication qui sont disponibles, il faut toujours revenir au besoin. Une technologie, souvent unique, répond à un besoin donné. Bien avant de rentrer dans les bureaux, le Wi-Fi était utilisé dans les entrepôts, avec des terminaux portables, permettant à un magasinier qui scannait un code à barres de dialoguer en temps réel avec la gestion du stock. On installe ce type de solutions depuis 1995… On sait que la technologie qui répond le mieux à ce besoin est du Wi-Fi. Dans d’autres cas, il faut coupler Rfid et Wi-Fi. Dans d’autres encore, nécessitant plus de mobilité, il faudra coupler du Wi-fi à de l’UMTS. Mais je crois qu’il faut banaliser ces technologies, et raisonner uniquement par rapport aux besoins du client, en implémentant une solution technique qui y réponde, reposant sur des technologies complètement transparentes pour l’utilisateur.

Internet Actu : Et si l’on parle du grand public ? Que pensez-vous de la polémique (http://fing.org/index.php?num=4272,2) relative à ces différentes technologies ?

Bernard Jeanne-Beylot : A mon avis, il y a deux polémiques liées à la surabondance des ondes radios. D’abord l’aspect « human exposure », c’est-à-dire l’exposition du corps humain, sur lequel beaucoup de choses sont à étudier. Il y a des choses en cours. On travaille par exemple avec une association issue de la grande distribution pour étudier la propagation de toutes les ondes dans un supermarché, en tenant compte de Wi-Fi, des étiquettes antivol, des nouvelles étiquettes de gondoles, des téléphones DECT, et bien d’autres. Le but est de mesurer l’impact que cela peut avoir sur le corps humain.
Le deuxième aspect est la « privacy », c’est-à-dire le respect de la vie privée. Caspian est très active aux Etats-Unis, mais cela tient aussi à la personnalité de la dirigeante de l’association, une députée qui en a fait son cheval de bataille. C’est un bon garde-fou, et la Cnil a fait aussi du bon travail en France. Mais il faut constater que nous acceptons tous d’être positionné à quelques mètres près par des cellules GSM, et cela n’a pas freiné pour autant le développement du mobile, parce que cela correspondait à un besoin de l’utilisateur de téléphoner ou d’être joint à tout moment.
Je pense qu’on fait beaucoup de bruit sur Rfid par rapport à la vie privée. Il y a eu des abus, et ils ont été bien dénoncés (notamment l’expérience Gillette, qui consistait à prendre en photo tout consommateur qui achète trois paquets de lames de rasoir…). Mais on est encore très loin de l’identification unitaire des objets. Notre problématique d’aujourd’hui, en tant qu’intégrateur Rfid, c’est de mettre des puces sur des palettes, et de les lire à une grande distance. Potentiellement, on pourrait scanner une puce portée par quelqu’un qui passe par un portique, mais il ne faut pas croire que ce soit techniquement facile. Ceci dit, il est important d’avoir des gardes-fous, et il faut poser ce problème. Les fondeurs sont en train de réfléchir à ces aspects, et d’envisager des dispositifs pour désactiver les puces ou réduire considérablement la distance de lecture après l’achat, dans le cadre d’une identification des objets. Tout cela participe d’un discours constructif sur le problème.

Propos recueillis par Cyril Fievet

NB : Cette interview fait notamment écho à l’atelier consacré à Rfid lors de la récente édition de la Fête de la Mobilité (les présentations relatives à cet atelier sont désormais disponibles en ligne, http://fing.org/fim/index.php?rubrique=22septembre).
En résumé, l’atelier a permis de présenter en détail des applications opérationnelles (ou en passe de l’être) de la technologie Rfid, notamment celle étudiée par un convoyeur de fonds (les sacs de billets, auparavant identifiés par des codes barres nécessitant un traitement manuel, sont tagués par des étiquettes Rfid – Rémy Poulachon, Micropole). Autres exemples, ceux des aéroports Charles de Gaulle à Paris et Heathrow à Londres (Jacques Lafay, Steria), pour lesquels la gestion des flottes de taxis sont intégralement gérées – et optimisées – par l’utilisation de Rfid. Thomas Serval (Baracoda) a quant à lui présenté le premier lecteur de tags Rfid utilisant Bluetooth (en forme de stylo, le lecteur utilise Bluetooth pour émettre les données lues à partir des puces Rfid), tandis que Arnaud Linz montrait des expérimentations menées au e-lab de Bouygues, portant sur une double problématique : utiliser un téléphone mobile intégrant une puce Rfid, ou à l’inverse un téléphone capable de lire les tags Rfid (et donc de « cliquer » sur les objets pour obtenir des informations complémentaires). Enfin, Arnaud Belleil (Cecurity) a rappelé les éléments de la polémique relative à la généralisation potentielle des tags Rfid.

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0 commentaires

  1. Je réagis essentiellement pour insister sur le fait que Bluetooth évolue, en terme de débit (3 Mbit/s), de consommation, de portée et de services offerts. Bluetooth est dans le marché, il est dans 30% du parc installé de téléphones, et le SIG a déjà eu l’intelligence de fusioner avec UWB pour progresser tout en supprimant un concurrent.
    Pendant que les nouvelles arrivent, les technologies établies progressent, comme WiFi et Bluetooth. Je doute que l’une et l’autre ne disparaissent rapidement ! Et puis elles fusioneront…

    « Nokia a déjà annoncé qu’ils allaient abandonner Bluetooth dans leurs mobiles. »
    Quelle est la source de cette information ?