Liberafilm : le haut débit fait son cinéma

Rencontre avec le co-fondateur du site ainsi que le responsable technique.Un choix éditorial et juridique : rencontre avec Stéphane Dottelonde, co-fondateur de Liberafilm.
Vision technique avec Renaud Dalbera, de SL2K, acteur technique de Liberafilm.

La première chose qui frappe sur le site de Liberafilm réside dans la qualité de son catalogue. Au programme ces dernier jours, un film gratuit : Une étoile est née, version 1937, réalisé par William A. Wellman, des documentaires sur le tournage du dernier Kubrick, une sélection de court-métrages,  » Un frère  » de Sylvie Verheyde,  » L’émigré  » de Youssef Chahine,  » La question « , un film de 1976 réalisé par Laurent Heynemann, une adaptation du livre témoignage d’Henri Alleg sur la torture en Algérie…
Le choix d’une politique éditoriale pointue fait partie intégrante de la stratégie des créateurs de ce site spécial haut débit  : Stéphane Dottelonde et Eric Névé, tous deux producteurs indépendants qui ont travaillé à la production de films réalisés par Olivier Assayas, Laetitia Masson, Pavel Lounguine, Jan Kounen, Mehdi Charef, Frédéric Schoenderffer…
Un choix éditorial en liaison directe avec le principal travail de l’équipe depuis sa création en juillet 2000 : négocier les droits d’exploitation des films pour l’internet. Un angle juridique fondamental en raison du régime de droit d’auteur européen qui comporte, d’une part, le risque de voir les auteurs-réalisateurs refuser une diffusion sur la Toile, mais qui d’autre part ouvre une porte, pour des structures qui ne font pas partie des majors, de se constituer un catalogue de films de qualité.
Nous avons demandé à Stéphane Dottelonde pourquoi un producteur  » traditionnel  » décidait de se lancer sur la toile.

Pourquoi Liberafilm ?

Au départ, c’est le constat de voir la difficulté croissante des films indépendants à accéder aux modes de distribution traditionnels que sont la salle, la télévision et la vidéo. L’internet peut permettre à ces films, qui ont de plus en plus de mal à trouver des débouchés, de connaître une distribution internationale à des coûts accessibles. Nous nous sommes dits que c’était peut-être une opportunité alors nous avons d’abord testé la viabilité technique et juridique de l’idée. Après une période de test de cinq mois, nous avons pris la décision de continuer.

La priorité juridique

Nous nous concentrons d’abord sur la négociation des droits. En effet, sous le régime du droit d’auteur, différent du copyright, il n’était pas totalement acquis que les ayants droits (auteurs et réalisateurs) acceptent la diffusion sur Internet. A la différence du copyright, où le producteur se voit céder les droits – il achète le film comme si c’était un bien -, sous le régime du droit d’auteur européen, l’auteur d’une œuvre artistique ne peut jamais céder l’intégralité de ses droits. La seule chose qu’il puisse céder ce sont les droits d’exploitation de l’œuvre. De sorte que lorsqu’un droit d’exploitation n’a pas été explicitement mentionné il est réputé ne pas avoir été cédé, même si la plupart des contrats contiennent une clause de pure forme et qui dit que les modes d’exploitations cédés comprennent  » tous modes connus ou inconnus à ce jour, existant ou à venir « . Cette clause ne vaut rien. Elle a déjà été jugée à plusieurs reprises au moment de l’apparition de la vidéo. Les auteurs doivent donc signer un avenant au contrat d’origine incluant l’internet dans les modes d’exploitation cédés. Or, compte tenu des craintes et des fantasmes que peut inspirer l’internet nous n’étions pas du tout certain que les ayants droits soient intéressés par ce type de diffusion. Finalement, la plupart ont été assez ouverts à cette idée. Mais les réticences nous ont conduits à être très prudents, tant sur la plate forme technique que sur la qualité de la diffusion, le cryptage et l’assurance que les programmes payants soient bien payés.

Du temps

Nous nous sommes toujours dits que de toute façon cette activité de VoD prendrait du temps avant de se mettre en place. Ceux qui sont partis trop tôt ont tablé sur un trafic important, donc des recettes publicitaires importantes et la possibilité d’être sur un modèle de gratuité. Le problème c’est que l’équation ne s’est pas vérifiée notamment parce que le trafic n’est pas là . Normal : la VoD n’est accessible que pour ceux qui disposent d’une ligne à haut débit.

Le choix éditorial

Sur le choix des films, il s’agissait à la fois d’un choix éditorial et d’un choix sur les interlocuteurs auprès desquels nous faisions l’acquisition des droits. Nous nous sommes d’abord adressés aux auteurs qui, sur le plan juridique et sur le plan éditorial, sont les plus exigeants Nous savions qu’une fois que nous aurions signé des contrats de diffusion avec eux, nous aurions un canevas contractuel qui ferait, vis à vis du milieu, autorité.

Avenir de la VoD ?

Quand je vois que sans aucune pub, parce que notre la priorité pour le moment reste l’acquisition des droits de diffusion, nous avons plus de 20 000 visiteurs uniques par mois dont la moitié regardent des films je me dis que oui, la VoD a de l’avenir. D’autant plus que notre audience est très internationale, pour la moitié, avec des visiteurs en Asie, aux Etats-Unis, au Moyen Orient…
La VoD, c’est une capacité de proposer une très grande variété de programmes. Je pense que sur l’internet, la vidéo à la demande va devenir ce qu’est le marché de la vidéo aux Etats Unis, c’est à dire un marché de masse (le double de la salle aux USA), un marché extrêmement fluide et en même temps un marché de niche. Aujourd’hui, les américains louent, certes, Mission Impossible, mais pour l’essentiel ils vont chercher ce qu’ils ne trouvent ni à la télévision, ni dans les salles. Cela m’est arrivé sur un film anglais à petit budget que j’avais coproduit : il n’est pas sorti en salle aux USA mais il a fait une très belle carrière en vidéo.
La VoD sur l’internet, sous forme de location, peut être viable économiquement, même pour des films pointus. Ce qui veut dire, sur le plan éditorial, que des films qui ont beaucoup de mal à passer les frontières auraient la possibilité de trouver un public au-delà de leur pays de production.

La création

Honnêtement je ne sais pas bien. Ca peut être le moyen pour quelqu’un qui n’est pas du sérail, qui n’a pas fait d’école de montrer ce qu’il est capable de faire. Car ce n’est pas si facile, quand on n’est pas du milieu, quand on n’est pas sorti du circuit habituel de se faire une place. Mais jusqu’à présent je ne suis pas absolument convaincu par la qualité des productions spécifiquement internet.

La VoD en ligne : tout ne fait que commencer
Pour le volet technique, rencontre avec Renaud Dalbera, fondateur de SL2K, la société qui a mis en place la plate-forme média server grâce à laquelle Liberafilm diffuse ses films.
http://www.sl2k.com

Pourquoi la VoD ne semble-t-elle démarrer sérieusement sur l’internet que maintenant ?

En fait, techniquement ce n’est faisable que depuis peu de temps. Il fallait réunir à la fois une offre haut débit pour l’internaute, ce qui est récent, une norme, le MPEG4, qui permet de streamer et de reproduire une image de bonne qualité, et une offre d’accélérateur haut débit. Car, jusque là, l’internet était basé sur un modèle unicast : un client demande à un serveur. Or pour la vidéo, le modèle c’est un client qui demande à une multitude de serveurs qui vont se répartir les charges. C’est ce que proposait Akamaï – et que proposent aujourd’hui d’autres sociétés – qui dispose de son propre réseau avec 6000 serveurs. Les charges sont réparties entres ces serveurs et cela permet les flux vidéo. L’idée est simple : si beaucoup de gens se connectent sur une machine elle risque fort de saturer. Avec un maillage de serveurs, on répartit les poids, ce qui offre une bonne qualité de service, nécessaire au streaming.
Quels sont les freins aujourd’hui à la VoD ?
En France, le vrai haut débit, qui permet de regarder un film d’une heure et demie dans de bonnes conditions, est assez rare aujourd’hui. Mais en Allemagne ou en Grande-Bretagne la situation est différente. D’ailleurs la moitié des gens qui regardent des films sur le site sont à l’étranger.
Le second frein se trouve dans le système de paiement. Aujourd’hui, le public doit payer en donnant son numéro de carte bleue. On sait bien que c’est un frein important.
Et c’est clair, les films gratuits sont les plus regardés. Alors à nous de réfléchir à des offres d’abonnement qui feront que les gens n’auront pas besoin de rentrer à chaque fois leur numéro, ou d’essayer d’imaginer des systèmes de paiement alternatifs : sur la facture de l’opérateur par exemple.
Le dernier frein est l’équipement du public. Pour le moment la place de l’ordinateur est sur un bureau (que se soit au travail ou à la maison). Ce n’est pas l’outil rêvé pour regarder un film. Là aussi, les équipements se développent peu à peu : les télévisions interactives, les écrans de télévision connectables à un ordinateur. Le problème est que tout cela n’est pas encore stabilisé et qu’il est question de protocoles un peu spéciaux. Si un standard sort, accompagné d’équipements standards, cela aidera au développement de la VoD.

Et l’immense chantier de la numérisation, n’est-ce pas un frein ?

Globalement, la numérisation des films représente un coût énorme. Mais chacun est détenteur de son propre catalogue et donc, une fois réparti, le coût n’est pas si élevé. Au regard de ce que le film coûte à fabriquer ce n’est pas grand chose.
Le problème aujourd’hui est que la norme d’encodage n’est pas stabilisée. En effet, il y a un premier coût pour numériser, et un second pour l’encodage et là il s’agit de choisir le type d’encodage. Mais la numérisation représente le gros du travail.
Il faudra de toutes façons du temps pour tout numériser. Le magazine Broadcast estimait que, ces 20 dernières années, 60 millions d’heures de films sur cassettes beta ont été produites en Europe !

Vous avez mis au point une plate-forme media server, quel est son rôle  ?

C’est un outil. Prenons l’exemple d’une maison de production : son activité n’a rien à voir avec l’internet, pourtant le réseau devient un moyen technique pour faire d’autres choses en matière de production et de diffusion. La maison de production va donc l’intégrer comme un outil comme un autre. La plate-forme est un outil de diffusion vidéo, utilisable par un non informaticien.
De plus, dans le domaine du dessin animé par exemple, la production est très délocalisée. Un studio à la Réunion a besoin de ce type d’outil pour envoyer ces images à Paris, sans pour autant devoir se transformer en pro de l’informatique.

A long terme, comment voyez-vous l’avenir de la vidéo en ligne à la demande ?

Dans cinq ans, il y aura une gigantesque cinémathèque disponible sur Internet. Internet sera  » l’endroit  » naturel pour voir des films car il fournira beaucoup plus que ce que peut fournir la télé, la médiathèque, le vidéoclub… Aujourd’hui internet devient le premier lieu où l’on va chercher des informations textes ; dans quelques années nous irons plus naturellement chercher un film ou un documentaire sur le réseau.

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