Callixte Cauchois : « Un moteur de dialogue automatisé augmente ‘la bande passante de compréhension’ entre les humains et les machines »

Cofondateur de VirtuOz, une jeune pousse française très prometteuse, Callixte Cauchois nous explique l’intérêt d’outils de dialogue « humanisés » et capables d’effectuer une analyse sémantique des conversations.

Callixte Cauchois est co-fondateur et directeur de la recherche et du développement de VirtuOz (http://virtuoz.fr). La société développe et commercialise une plate-forme logicielle d’agents conversationnels basés sur l’analyse sémantique des dialogues en temps réel. VirtuOz a été nominée parmi les 20 entreprises les plus innovantes dans le cadre du concours Technologia en juin 2003, et figure parmi les « 110 espoirs de l’industrie » de l’Usine Nouvelle en janvier 2004.

Internet Actu nouvelle génération : Comment expliquez-vous cet engouement croissant pour les solutions basées sur des outils de dialogue automatisés ?

Callixte Cauchois : On constate une forte augmentation des contacts directs entre les entreprises et leurs clients finals avec en plus un accroissement de la part de contacts issus du web (à travers les sites et les emails). Cette augmentation s’est accompagnée d’investissements massifs en outils de gestion de relation avec l’internaute, qu’il soit visiteur, prospect ou client ou même citoyen dans le cas de l’administration électronique. D’où la nécessité d’augmenter « la bande passante de compréhension » et l’ergonomie de l’interaction homme – machine, ce que fait un moteur de dialogue automatisé.

Pour l’utilisateur, un agent de dialogue automatisé est un assistant humanisé et rassurant qui répond à ses interrogations 24h/24 et 7j/7. Pour l’entreprise, cela permet de traiter immédiatement de manière automatique les demandes entrantes ne nécessitant que peu de valeur ajoutée. Un tel agent permet aussi d’absorber les pics de trafic sans dégradation de l’image et du service client.

Iang : En France, l’utilisation des messageries instantanées à vocation professionnelle (notamment comme service complémentaire proposé sur le site web de l’entreprise) reste rare. Quelle est la réaction des entreprises à votre offre commerciale ?

Callixte Cauchois : Il y a une bonne compréhension du retour sur investissement que peut apporter notre solution. Certaines entreprises du monde de la vente à distance ont fait des expériences de service client par messagerie instantanée (« chat »). Elles se sont vite rendu compte que ces solutions était finalement plus coûteuses que le téléphone : lenteur de la conversation, taux de conversations parasites plus important, difficulté à clore la conversation de manière non brutale… Tous ces facteurs faisant que le nombre de conversations utiles traitées par opérateur était largement inférieur en « chat » que par téléphone (6 ou 8 contre 13 environ) pour un coût total sensiblement équivalent. Par contre, le fait d’automatiser apporte des éléments de retour très clairs, autant en termes purement économiques qu’en terme d’image : pas d’attente, pas d’appel surtaxé, tout en conservant les avantages de personnalisation déjà présents dans les moyens traditionnels (accès aux fiches clients et aux historiques des conversations précédentes…)

Iang : D’un point de vue technique, quels sont les spécificités de votre offre par rapport à celles de vos concurrents, par exemple Kiwilogic ou Novomind en Allemagne ?

Callixte Cauchois : Le cerveau de nos agents conversationnels repose sur une analyse non pas uniquement lexicale ou sémantique, mais aussi syntaxique en utilisant les dernières avancées en matière de traitement automatique de la langue, notamment les grammaires d’unification. Ainsi la phrase entrée est analysée lexicalement, c’est-à-dire qu’à chaque graphie, suite de lettres, on associe le lemme, ou forme canonique (infinitif pour les verbes, masculin singulier pour les adjectifs…), correspondant. De ces formes canoniques, on peut déduire la syntaxe de la phrase, c’est-à-dire déterminer où est le verbe, qui est son sujet etc.

Ensuite, de cette structure syntaxique, on peut, grâce à une ontologie, construire la représentation sémantique de cette phrase, autrement dit un graphe de concepts organisés entre eux par des relations. Par exemple, la phrase « le chat mange la souris » donnera un graphe avec trois nœuds concepts : « manger », « chat », « souris » reliés par une relation d’agent entre « manger » et « chat » et de thème entre « manger » et « souris ».

Ce niveau d’abstraction supplémentaire de la phrase à la représentation du sens permet de simplifier la configuration, par apprentissage, de l’agent : toutes les phrases ayant le même sens donneront la même représentation, alors que dans un système basé sur de la reconnaissance de mots clés ou de concepts clés, il faut prévoir toutes les manières d’exprimer la même phrase pour être sûr d’y répondre.

Cet avantage devient encore plus criant dans un contexte multilingue : un agent VirtuOz utilise la même configuration dans toutes les langues alors que pour un système des générations précédentes, il faut développer des configurations différentes par langue avec les coûts que cela implique en maintenance.

On peut aussi ajouter que notre solution est conçue pour être intégrée dans un système d’information existant, ainsi toutes les interfaces, graphiques (avatar) ou back-office (échange d’information avec un catalogue par exemple), sont prévues pour être le moins perturbantes possibles.

Iang : Quand estimez-vous qu’un robot de dialogue pourra « passer le test de Turing », et devenir indiscernable d’un interlocuteur humain ?

Callixte Cauchois : Pour l’instant, les robots qui ont gagné le Loebner Prize, prix récompensant le robot le plus performant à un test de Turing, reposent sur des technologies descendant d’ELIZA. Développée en 1966 par le Professeur Weizenbaum au MIT, ELIZA simulait un psychanalyste. D’autres outils s’en sont inspirés, par exemple A.L.I.C.E du Dr Wallace. Ces robots sont conçus pour simuler une conversation sociale, c’est-à-dire une conversation à faible contenu informatif, du type de celles qu’on peut avoir avec des étrangers au cours d’un cocktail ou d’une soirée. Ces robots sont maintenant assez performants tout en étant fondés sur une algorithmique très simple qui ne permet pas une réelle compréhension, mais fait illusion.

On comprend bien que c’est un problème différent que d’être capable de mener un dialogue visant la résolution d’un problème concret, ce qui est la raison d’être des agents VirtuOz.

Peut être qu’en mélangeant ces techniques de conversation sociale et la réelle compréhension qui est le cœur du cerveau de nos agents, on obtiendra un robot capable de gagner un tel prix. Maintenant, le réel test de Turing, c’est encore du futur.

Iang : Votre offre s’accompagne de la notion de « collaborateur virtuel », et les différentes versions de l’outil sont couplées à des photos de personnage réels. Pourquoi cette volonté d’humanisation d’un outil logiciel ?

Callixte Cauchois : D’abord pour une raison assez simple, quand l’internaute voit l’agent incarné dans un avatar humanoïde, il comprend sans mode d’emploi qu’il a là un point de dialogue, que là, il peut poser ses questions et recevoir des conseils. Ensuite, cette humanisation de la machine permet de lever certains freins et résistance de l’homme face à la machine. Cela crée aussi, grâce à une part de communication non verbale, une interaction plus profonde, les utilisateurs pouvant trouver l’agent sympathique. On a relevé que 68 % des utilisateurs disaient « au revoir » ou « merci » en fin de conversation, ce qui n’arrive jamais face à un outil informatique plus traditionnel.

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