Les enjeux de l’être vivant minimum

Craig Venter restera certainement dans l’histoire comme l’une des personnalités les plus controversées de ce début du XXIe siècle. Newton de la biologie ou nouveau docteur Frankenstein, Venter avait déjà fait la une en 2000 lorsque sa société Celera avait été la première à séquencer le génome humain. Aujourd’hui, l’une des découvertes de Venter suscite encore plus de polémique. Les chercheurs du Craig Venter Institute ont en effet travaillé sur la création d’un être vivant « minimum ». Ils ont découvert qu’il devrait suffire d’assembler 381 gènes et de les placer dans une cellule vide pour créer un être vivant capable de survivre.

Cette « bactérie  » n’a pas encore vu le jour. Cela n’a pas empêché le Craig Venter Institute de demander, il n’y a pas moins de huit mois, un brevet déposant son existence. Mais, comme le souligne ironiquement The Economist, les aléas de la bureaucratie étant ce qu’ils sont, c’est seulement le 31 mai 2007 que la demande de brevet numéro 20070122826 a été rendue publique. Ceci fait, les premières critiques ne se sont pas fait attendre, venant notamment du ETC group, un groupe d’activistes canadien décidés à surveiller avec vigilance les progrès de disciplines comme la biotechnologie ou la nanotechnologie, et à évaluer les risques qu’ils présentent pour les populations.

Pour ETC, la demande de brevet est trop large et injustifiée. En effet, c’est plusieurs technologies que Venter tente de s’approprier parmi lesquelles entre autres, tout usage de cet organisme ou de l’un de ses dérivés pour produire de l’hydrogène et de l’éthanol (de l’alcool), autrement dit du carburant : une source de profit particulièrement juteuse.

Pour ETC, ce brevet, s’il est déposé, pourrait faire de Venter le « Bill Gates de la biologie » en lui donnant un monopole de fait sur une série d’applications. « Cette demande de brevet« , explique l’un des rapports d’ETC, « est aussi un appel au réveil des partisans de la biologie open source – l’idée que les outils et les composants de la biologie synthétique puissent être librement accessibles pour tous les chercheurs« .

pandorabug.jpgPour ETC, il y a bien sûr aussi la crainte que des organismes comme Synthia (c’est ainsi qu’a été surnommée cette future bactérie) puissent se révéler après manipulation de dangereux agents pathogènes. Mais, comme le souligne The Economist, « l’avantage d’un génome minimum est que les gènes enlevés, s’ils ne sont pas essentiels pour la survie, le sont en revanche pour donner de la robustesse à l’organisme. Une créature vivant avec un tel génome ne pourrait rester longtemps en pleine nature si elle venait à s’échapper« . The Economist donne ici un argument très proche de celui de Rudy Rucker publié récemment dans nos colonnes. A cela ETC pourrait répondre que Synthia n’est que la première application de la biologie synthétique ; dans le futur, les chercheurs pourraient aller beaucoup plus loin. Les auteurs du rapport d’ETC rappellent les propos du biologiste synthétique du MIT, Drew Endy : « Il n’existe pas de barrière à la synthèse des plantes ou des animaux. Cela arrivera dès que quelqu’un paiera pour cela« . Et de préciser dans une interview plus récente que la synthèse d’un génome humain sera possible dans la décennie… On comprend que dans ces conditions, ETC ait baptisé Synthia du joli surnom de « pandora bug » (le microbe de Pandore, avec bien sûr toutes les connotations péjoratives désormais associées au terme « bug »).

Les arguments du groupe militant canadien ne manquent pas de poids, même si, ainsi que le remarque The Economist, leur double argumentation se révèle légèrement contradictoire : peut on simultanément critiquer une demande de brevet parce qu’elle risque de bloquer l’innovation, en se faisant même les avocats d’une biologie open source, et simultanément s’inquiéter de la mise en place hors de tout contrôle externe d’une technologie aussi puissante et demander, comme il le font dans leur rapport, une « régulation de la recherche » (qui bloquerait certainement les visées monopolistiques de Craig Venter, mais mécontenterait tout autant les adeptes de la biologie open source) ?

Dans l’attente, Craig Venter, lui, est parti sur un nouveau projet : le séquencage du « génome » d’un écosystème entier, celui des océans, et ce faisant, toujours selon The Economist, « profiter de ce travail pour faire une jolie balade sur le Pacifique à bord de son yacht ».

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0 commentaires

  1. L’approche de ETC est peut-être dicutable mais peu contradictoire.

    Le fait qu’une technologie puisse être open source n’enlève pas, par exemple, le fait qu’elle doivent suivre les lois. La liberté individuelle n’est pas contrecarrée par le fait que les autres existent, et c’est peut-être même, certainement en fait, le contraire.

    Prenons l’exemple de la CNIL qui est une organisation étatique en France et qui pourtant garantit une certaine liberté tout en vérifiant que ses principes sont appliqués: n’oublions pas que la liberté laissée à elle-même construit les conditions de sa propre disparition.