La « réalité virtuelle » a tout pour devenir le « média de demain ». Nous avons vu comment petit à petit, elle redéfinit nos catégories mentales, notre identité, nos sociétés, notre économie. Pourtant, il se pourrait bien déjà que de nouvelles technologies annoncent son chant du cygne.
La réalité virtuelle tient à un principe unique : le monde réel n’est pas assez souple pour se plier à notre volonté. C’est pourquoi il est nécessaire d’en créer un double, « derrière l’écran ». Quelque soit la puissance des interfaces, les Wiimotes, les gants haptiques, voire les connexions directes cerveau-machines, rien ne peut vraiment s’immiscer entre notre réalité et son double.
Certes, différentes passerelles existent déjà, dans les deux sens. La réalité augmentée propose d’enrichir notre environnement quotidien par des données numériques. La réalité duale, au contraire, utilise des capteurs pour transmettre des données du monde réel vers l’espace numérique. La notion de « monde miroir » est une autre de ces passerelles. Dans ce cas, le monde virtuel est une copie, peut être en temps réel, d’un lieu existant. Pour certains, l’avenir se situe d’ailleurs dans ces mondes miroirs, et ils envisagent une fusion future entre Google Earth et Second Life. Cependant, malgré toutes ces connexions, les deux univers restent séparés, et le réel semble toujours aussi résistant au changement. Que se passerait-il si le « vrai » monde » se révélait, à son tour, aussi fluide que son reflet virtuel ?
C’est le désir de réaliser cette souplesse qui guide bon nombre de chercheurs en nanotechnologie. Cette nouvelle discipline est en quelque sorte une soeur jumelle de la réalité virtuelle, comme l’explique Mark Pesce, le gourou de la Réalité virtuelle, dans Magic Mirror : « Toutes deux transforment le monde en code – que ce soit par la simulation ou par l’actualisation dans la structure même de la matière – et toutes deux proposent un univers idéalisé au hacker ».
Aujourd’hui, la nanotechnologie se limite essentiellement à la création de nouveaux matériaux, mais les pionniers du domaine, notamment Eric Drexler (biographie), l’auteur des « Engins de création » (Amazon, Fnac), avaient en tête une vision autrement plus radicale : la « fabrication moléculaire » devait permettre de créer (ou détruire) n’importe quel type d’objet matériel.
Ce projet reste pour l’instant utopique, et on ne sait même pas s’il sera réalisable un jour. Mais, tout comme « l’uploading du cerveau » peut être considéré comme un archétype nous permettant de penser l’identité numérique, les rêveries de la nanotechnologie moléculaire apparaissent comme l’horizon lointain des recherches d’aujourd’hui.
Ainsi il existe déjà une méthode pour passer du « virtuel » au « réel ». Ce sont les imprimantes 3D qui se montrent capables de créer divers objets, à partir d’un modèle réalisé grâce à un logiciel 3D. L’opération se fait en superposant les unes sur les autres des couches du matériel de construction, en général un plastique (mais certains ont utilisé du fromage ou du chocolat !).
Ces imprimantes jusqu’ici très onéreuses, pourraient bien vite arriver entre les mains du grand public. A l’université de Cornell une équipe a mis au point le « Fab@Home« , les spécifications en « open source » d’une imprimante 3D à bricoler soi même (mais on peut s’aider en achetant des kits) pour environ 2400 $.
Les imprimantes 3D apparaissent comme la première esquisse de l’usine moléculaire de Drexler. Mais les artéfacts ainsi élaborés ont beau trouver leur origine dans le numérique, ils restent des objets bien solides, classiques. Serait il possible d’aller encore plus loin, d’imaginer une « réalité virtuelle » existant dans notre monde, mais possédant la même volatilité que derrière un écran ? A l’université Carnegie Mellon on travaille, en collaboration avec Intel, sur le concept de « réalité synthétique« , nommée également « matière programmable ». Au centre de ce projet, de petits éléments de la taille d’un grain de sable, les catomes, munis de capteurs, de capacités de calcul, et d’aimants capable d’attirer d’autres catomes. Les catomes n’existent pas encore, plus exactement ils n’existent pas à la taille prévue (1 mm), mais il existe déjà des prototypes beaucoup plus gros (voir ces vidéos).
Avec plusieurs millions de ces « catomes » il deviendrait possible de créer des répliques d’objets, voire de personnes, qui se matérialiseraient en quelques secondes. Une véritable « pâte à modeler électronique », d’où l’autre nom de cette « réalité synthétique » : la « claytronique » (de clay, argile). Par exemple, lors d’une discussion avec un partenaire situé à distance, on pourrait créer un « avatar » solide avec lequel converser, directement chez soi, comme le montre cette vidéo promotionnelle du concept.
Pour Seth Goldstein, un des chercheurs impliqués dans ce projet : « Vous ne pourrez plus savoir, en vous asseyant près de moi, si je suis vraiment près de vous où si je suis ailleurs, tandis que je suis recréé en claytronique. Les particules seront suffisamment petites pour générer des cheveux et suffisamment robustes pour se déplacer dynamiquement en 3D ».
Cela semble de la science fiction, mais pourtant, la « claytronique » comme on l’appelle, devrait être plus facile à réaliser que la « fabrication moléculaire » nanotechnologique, car se situant malgré tout bien au dessus du niveau nanométrique. A terme, on peut imaginer la création de « Holodecks« , pour la plus grande joie des fans de Star Trek. Dans cette série TV (connue pour inspirer les « geeks » de tout âge et nationalité), le Holodeck est une espèce de salle de jeu capable de matérialiser importe quel environnement, apparemment sans nécessiter aucune interface particulière.
Si les techniques de l’impression 3D, de la claytronique, voire de la nanotechnologie se répandent, ce sera la fin de la « réalité virtuelle » au sens propre du terme. Et les « mondes virtuels », doubles de notre univers de l’autre côté de l’écran, auront de moins en moins de raison de se maintenir de façon autonome. Souhaitons que la puissance de l’imaginaire que véhicule la réalité virtuelle ne disparaîtra pas tout entière avec elle. Et parions que ces nouvelles technologies saurons créer un imaginaire tout aussi riche et fécond et pas seulement être des technologies au service de notre réalité.
Rémi Sussan
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On ne fait pas plus cartésien que les défenseurs de l’uplaoding de cerveau et de la fabrication moléculaire d’avatars : ils croient dur comme fer au dualisme corps/esprit. Je ne m’avancerai pas trop sur le terrain philosophique de peur de dire des aneries, mais considérons l’expérience suivante : un cerveau est enfermé dans une boite sans avoir jamais de connexion avec l’extérieur, une conscience a-t-elle pu se développer ? De mon point de vue la réponse est non car seule une confrontation au réel et à l’autre le permet. Si on s’accorde sur ce point il s’en suit que le corps et les sens sont primordiaux dans la constitution de notre identité. Ansi peut-être sera-t-il techniquement possible de réaliser cette fluidification de l’être, mais je pense qu’elle entrainerait de tels désordres psychiques chez ceux qui l’utilise qu’elle n’aboutira jamais à la perte d’un corps de référence.
De mon côté je suis convaincu que nous pouvons imaginer de l’agencement de matière d’après modèle afin de fabriquer « on demand », et pourquoi pas des objets dotés d’une capacité d’autonomie (robots intelligents, vie artificielle…).
Mais la question que je me pose est inverse de celle de Joss. Si une connexion directe sur mon cerveau, à partir d’un métavers par exemple, me donne exactement le même stimuli ou presque, qu’une situation physique, et s’il est possible de la partager avec d’autres connectés, l’intérêt de « matérialiser » les objets devient vraiment relatif à l’usage qui en est fait (pour un avatar, cela n’est pas évident).
La question soulevée par Joss fait penser au solipsisme, et elle ne se resoud pas par le postulat de la matérialité ou non. Altérité et extériorité ne signifient pas matériel ou réel…
Hugues
meeeeeeeeeeeeeeerrrrrrrciiiiii beaucoup j’ai bien aimer