On ne le dira jamais assez : l’une des principales dimensions de l’interaction humain-robot est psychologique. L’intégration des robots à la société dépendra peut-être moins de leur intelligence artificielle ou de leur sophistication technologique que de leur capacité à attirer la sympathie. Un récent article du New Scientist nous présente ainsi les dernières découvertes effectuées sur les émotions suscitées par ces nouvelles machines. La revue mentionne ainsi une étude (.pdf) sur 400 utilisateurs de Roomba, dont une bonne partie donne un nom et un genre à leur aspirateur autonome, et parfois même l’habillent ou le décorent afin de le personnaliser !
Ce travail, mentionne aussi quelques autres attitudes remarquables : on apprend ainsi que bon nombre d’utilisateurs considèrent que leur Roomba possède une personnalité, pas toujours positive d’ailleurs, puisque le robot est parfois décrit comme « stupide » ou « borné ». Certains usagers émettent également des hypothèses sur les intentions de leur Roomba, mentionnant par exemple que la machine semble avoir des préférences pour certains lieux dans la maison, ou qu’elle tente de communiquer avec les humains ou avec d’autres Roombas.
Cette étude, conduite par Ja Young Sung et Rebecca Grinter, confirme celle dont nous avions parlé il y a quelques mois, qui ne portait que sur quelques familles d’utilisateurs.
Mais le Roomba n’est pas le seul robot susceptible de susciter l’affection de ses maitres. Des spécimens beaucoup plus sinistres se montrent également en mesure de susciter l’émotion. Ainsi, en Irak, les soldats s’attachent-ils aux Packbots et aux Talons, dont la tâche consiste rien moins qu’à placer des bombes et repérer des mines. Certains militaires avouent même avoir ressenti une profonde tristesse lorsque ces robots explosaient lors de leur mission.
Mais quels sont donc les robots capables de provoquer les émotions les plus positives ? Quelles sont les bonnes pratiques à adopter ? Par exemple, les robots humanoïdes (ce que ne sont ni les Roombas, ni les Talons et Packbots) sont-ils plus efficaces dans ce domaine ?
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont recouru à l’outil en vogue du moment : l’imagerie cérébrale. L’équipe de Frank Heger à l’université de Bielefeld en Allemagne a donc procédé à l’expérience suivante (l’étude en .pdf) : on a fait « rencontrer » (via des lunettes vidéos) les sujets avec différents types d’adversaires dans un jeu inspiré du « dilemme du prisonnier ». Rappelons brièvement le thème de ce jeu : deux prisonniers soupçonnés d’avoir commis un délit ensemble sont enfermés dans deux pièces séparées. Pour les faire avouer, les autorités proposent à chacun le marché suivant : « si vous êtes seul à avouer votre crime, vous serez libéré, tandis que votre complice prendra la peine maximale de 10 ans. Si vous avouez tous les deux, vous n’écoperez que de cinq ans chacun. Si vous vous taisez tous les deux, à cause du manque de preuves, vous ne resterez que six mois en cellule ». Comme les deux prisonniers ne peuvent communiquer, ils doivent effectuer leur choix en fonction de ce qu’ils supposent que leur partenaire décidera ; autrement dit, ils doivent développer une « théorie de l’esprit », essayer de deviner ce que l’autre pense.
Les chercheurs germaniques se sont donc demandés si des humains pouvaient « anthropomorphiser » des robots au point de développer à leur sujet une théorie de l’esprit. Les « adversaires » proposés aux expérimentateurs pouvaient revêtir quatre types d’apparence. La première était celle d’un humain, pur et simple. La seconde, un robot humanoïde tapant sur un clavier de portable, la troisième une paire de bras robotique utilisant également un clavier d’ordinateur ; et enfin un programme informatique purement virtuel. Les scientifiques ont alors examiné les scans des cerveaux des 32 cobayes, se concentrant sur les neurones spécialisés dans l’élaboration d’une théorie de l’esprit. Ceux-ci ont été constamment activés quelque soit l’adversaire, mais plus particulièrement lorsque les joueurs pensaient avoir affaire à un vrai humain ou à un robot humanoïde.
Bien sûr, ces expériences doivent être relativisées par d’autres travaux. Ainsi, une autre équipe dirigée par Daniel Levine à Nashville, après avoir montré des vidéos de robots à divers spectateurs et les avoir interrogés, est arrivé à la conclusion que « les gens ne sont pas prêts à attribuer des intentions à des robots, quel que soit leur niveau de sophistication ».
Pour un autre chercheur, Herbert Clark de Stanford : « les roboticiens devraient admettre que les robots ne pourront jamais proposer un niveau d’interaction analogue à celui qui existe entre les humains, et plus tôt ils le réaliseront, plus vite nous obtiendrons une vision réaliste de ce que nous pouvons attendre des robots. » Un avis qui n’est bien sûr pas partagé par tous, notamment certains roboticiens, comme par exemple Hiroshi Ishiguro, de l’université d’Osaka, connu pour avoir créé un robot à sa propre effigie, qui est persuadé que « les robots peuvent être les partenaires des humains et le deviendront ».
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Tiens c’est amusant je viens de mettre en ligne un article sur les robots, ou plus exactement sur les interaction homme machine. D’abord ce constat : nous sommes de plus en plus entourés de machines. Second constat, ces machines sont devenues des objets relationnels (S. Turkle). La question qui en découle, c’est qu’est ce que ces objets changent en nous ? En quoi nous transforment elles ?
Si un simple silex biface nous hominisé (Leroi Gourhan), on ne peut que se poser la question pour des objets qui sont capables – et conçus pour cela – susciter chez nous des émotions et pour que nous nous attachions à elles et qui vont interagir de façon de plus en plus complexe
Parmi ces nouveaux objets, Paro, qui a été expérimenté aux USA et au Japon auprès de personnes agées. En effet, le développement de cette robotique est lié au vieillisement des la population. Vous aurez quelques détails supplémentaires ici : http://yann.leroux.free.fr/?p=218
Nous avons vis a vis de tous nos objets une vie affective très riche. Ce n’est pas simplement que nous leur prêtons des sentiments par le mécanisme de la projection. C’est là, somme toute, quelque chose qui est relativement bien circonscrit à la petite enfance. C’est que nous les investissons de sentiments ou de souvenirs. Investir est a prendre ici au sens banquier : nous y déposons des souvenirs ou des sentiments qui ne peuvent pas être mis en circulation dans notre psychisme parce que source d’une trop grande souffrance. A chaque pour nous, ou pour nos descendants, de reprendre plus tard ce qui n’a pas pu être sur le moment suffisament élaboré. Ces questions ont été travaillées dans « Comment l’esprit vient aux objets » de Serge Tisseron. Voilà sa thèse : Les objets médiatisent notre rapport au monde. Ils sont support d’un travail de mémoire… ou d’oubli. Je ne veux pas développer plus dans l’espace d’un commentaire, mais on trouvera ici, http://freemindshare.com/map/cemp4HKQTU/ une carte qui permet, je l’espère, de se faire une idée plus précise
Sinon, /whisp 🙂
il est évidement que nous attribuons, par divers mécanismes (projection, excorporation, introjection) des qualités a nos objets. Nous « savons » au bruit du ventilateur ou du claquement du disque dur comment « va » notre ordinateur.
Pour les robots, c’est la même chose, sauf que c’est différent. Ce qui est différent, c’est que ces machines sont de plus en plus concues pour être en relation avec le monde humain et que pour accomplir leur tache elles « appuient » sur des leviers très archaïques comme le contact oeil à oeil ou le peau à peau. Nous allons donc de plus en plus preter des émotions à des objets qui sont des simulacres…
Enfin, dernière chose : il n’est pas besoin d’avoir une théorie de l’esprit pour avoir une vie sociale. Les termites ou les chimpanzé ont une théorie de l’esprit bien moins développée que celle du chie, et pourtant, ce sont bien des animaux sociaux !
Je parcours depuis très longtemps (trop ?) les articles, communications, forums, …
dédiés à l’intelligence artificielle et en particulier aux robots.
Aujourd’hui, pour la première fois, j’ai pu lire la nuance que j’attendais de voir exprimer par un des chercheurs dans ce domaine.
Quelqu’un de censé qui souhaite doit avoir compris que la voie sur laquelle il travaille ne peut qu’avoir à souffrir des déclarations excessives et des prétentions irréalistes de ceux qui annoncent à grands cris le robot équivalent voir supérieur à l’homme (et conscient …) d’ici quelques années.
A quand un Giorgio Metta qui reconnaîtra enfin que son projet de robot ayant les capacités d’apprentissage d’un enfant de 1 an ne verra jamais le jour,
à moins que les enfants régressent suffisamment
mais il faudrait que ce soit sous le niveau d’un lézard !
Je pense que c’est un article à mettre de côté et à relire dans une centaine d’années.
Cela fait plus de cent ans que l’homme rêve d’un golem.
Mais ce qu’il y a de nouveau c’est cette peur de plus en plus grande qui lui fait souhaiter des carapaces entre sa peau si fragile, et la nature supposée si hostile.
Ainsi, pour beaucoup l’espoir de l’humain est dans l’inhumain
(voir le livre qui fait la promotion de cette symbiose*, de Olliviers Dyens « la condition inhumaine »)
étrange
c’est un peu comme la conquête spatiale
on tourne le dos à des terres qu’il faudrait peu de chose pour rendre fertile et l’on se jette vers des cailloux totalement stériles
comme l’enfant,
parce qu’il s’agit d’un lointain plus à même de faire réver.
pecato !
*le mot bio, est ici de trop mais je n’ose synnécrose
Je me permets de laisser ici un lien vers un jeu des prisonniers jouable en ligne contre d’autres humains, afin de mieux comprendre le fonctionnement.
L’article est très bon, et nous verrons bien(tôt) si l’orientation japonaise des robots androïdes ou l’orientation américaine convaincra le plus les foules, puisqu’il semble tout dit que ce sera un facteur très important.
Récemment un article sur l’ATELIER évoque le même sujet d’une façon plus extrème encore
puisqu’il y est dit que le robot sera un jour le meilleur ami de l’homme.
Le jour ou ce sera le cas, c’est vraiment que l’ensemble des produits développés pour morceler l’homme en des dizaines de fonctionnalités séparées
auront réussi à l’enfermer dans la solitude.
L’enfant est un bon exemple du mode d’interaction possible entre un robot et un humain (non pathologiquement atteint)
en général le petit de l’homme ne joue pas très longtemps avec tout ce qui lui impose des « crans » (c’est à dire une interactivité pauvre, par rapport à celle du vivant, de l’intentionnel !)
passé le moment de la découverte,
il délaisse
ou démonte
J’ai eu un robot qui marchait tout seul, à l’âge de 4 ans
je l’ai assez rapidement mis en morceau.
Quand un humain est un peu trop morne
qu’on ne voit plus la petite flamme allumée dans le regard
on s’en détourne
…
alors un robot !
Quant au jeu du prisonnier
il manque tellement de finesse qu’il permet effectivement une modélisation totale
la fragilité du vivant c’est son atout principal
…
il faudrait y voir le triomphe du robot ?
Pour finir
je pense que cette orientation économique (car il s’agit surtout d’un marché) fondra lorsque la crise qui secoue la planète se montrera comme elle est
à savoir une des conséquences du développement du futile et des inoutils
au détriment de ce dont à réellement besoin de l’homme
logement
nourriture
travail à sa mesure
et un minimum de contact avec le réel sous la forme d’effort donnant consistance à son corps son intellect et ses émotions
tout ce qui leurre ces trois parties
(tel un édulcorant)
ne peut que l’affaiblir.
Les robots ont leur utilité
elle n’est pas dans le compagnonage de remplacement
pour des humains qui ne sauraient plus vivre ensembles.
Démonter un objet, c’est déjà interagir avec lui 🙂 Les enfants (et les adultes) qui jouent des heures avec un bout de bois, c’est assez banal. L’interactivité donnée par un playmobil semble assez « pauvre » si l’on ne prend pas en compte le travail de l’imaginaire que fait l’enfant
Quant au risque vis a vis des relation homme à homme, il me semble que l’on disait déjà du train qu’il ferait voler en éclats la cellule familiale.
Précisément
l’interactivité est bien ailleurs que dans une simulation mécanique de l’objet
elle suppose l’action de l’imaginaire de l’enfant
Ce même enfant mettra en pièce ce simulacre
tant que nous n’auront pas réussi (?!) à faire de lui-même un simulacre.
L’échec de l’école partout dans le monde occidental est précisément le signe de cette résistance au signe sans sens (le numérique) et à la disqualification du bon sens (celui qui permet l’accès sans passer par le code et que la numérisation du monde interdit … pour des raisons essentiellement commerciales – capture de l’individu devenu incompétent)