Les frigos intelligents ne sont ni utiles ni désirables

Du frigo au frigo, de l'écran qui affiche les photos à la porte de Frigo ancêtre de FlickrDepuis les années 50, il est devenu le symbole de la société de consommation, parce qu’il est depuis longtemps l’objet technologique le plus répandu dans nos foyers : le réfrigérateur est l’incarnation de nos vies domestiques modernes. Pas étonnant qu’il soit devenu la figure emblématique de la maison du futur (voire cette rapide synthèse de prototypes de frigo intelligents existants) et de l’internet des objets. Pas étonnant que, vu son omniprésence dans notre quotidien, pour beaucoup d’ingénieurs et de chercheurs en informatique ambiante, il soit devenu le meuble stéréotype, celui dont il faut impérativement penser le futur. Pour ceux-ci, rien de plus simple, explique Nicolas Nova, que de partir d’un objet existant (comme le frigo) et d’essayer de le projeter dans le futur en lui ajoutant des écrans, des capteurs et des technologies sans contact. « Donner de l’intelligence au frigo correspond souvent à lui ajouter de nouvelles capacités permises par les nouvelles technologies : possibilité de surfer sur le net, scan de son contenu, possibilité de passer commande automatiquement via l’internet pour se réapprovisionner, etc. »

Reste que ces nouvelles fonctionnalités n’ont pas encore démontré qu’elles étaient indispensables à la conservation des aliments ou savaient s’insérer dans la chaîne d’approvisionnement existante, au contraire. C’est pourquoi le frigo connecté est devenu l’emblème d’un futur qui ne fait envie à personne, d’un futur passé de mode avant de l’avoir jamais été.

Pour beaucoup de ses concepteurs, il ne s’agit qu’une question de temps pour qu’il s’impose dans nos pratiques, balayant du revers de la main la réalité des usages, ce qui fonde l’utilité, comme les limites des interactions proposées.

D’où l’intérêt de l’étude de Matthias Rothensee sur « l’acceptation par les utilisateurs des frigos intelligents », présentée à la Conférence sur l’internet des objets qui s’est tenue en mars 2008 à Zurich. L’étude du chercheur en psychologie à l’université Humboldt, à Berlin, s’est intéressée aux réactions d’une centaine d’utilisateurs d’un de ces frigos, en laboratoire. Les résultats sont à la hauteur de ce à quoi on pouvait s’attendre. Pour les participants, l’intention d’utiliser un frigo intelligent n’a pas évolué après l’avoir essayé. Au contraire : les réactions affectives, comme le sentiment d’utilité, sont affectées négativement par le test. Une réaction qui montre bien la déception profonde des utilisateurs face à la conception même de ces objets, puisque l’utilité générale de l’objet est le premier facteur de son acceptation.

Certes, pour le chercheur, les fonctions que ces objets proposent sont appréciées différemment selon les groupes de testeurs : les informations sur la nutrition, sur le coût ou la pérennité des produits que contient le frigo sont les fonctions les plus appréciées, alors que la possibilité d’accéder à des recettes laisse la plupart des utilisateurs complètement indifférents. « Le plaisir ressenti au cours de l’interaction avec l’objet » est également important, souligne l’enquête qui montre l’importance de l’émotion dans notre rapport à la technologie. L’émotion vient bien après l’utilité bien sûr, mais elle est le petit plus qui bien souvent séduit l’utilisateur.

Autant dire que sans utilité ni émotion, les frigos intelligents sont mal partis pour être les produits phares de l’internet de demain. Ce qui devrait laisser de la place pour d’autres objets, plus désirables, plus accessibles, plus manipulables, plus détournables et certainement plus utiles – ou capables d’accepter leur inutilité.

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0 commentaires

  1. Merci, Hubert, pour cette analyse à contre-courant médiatique des rêves que veulent nous vendre les vendeurs de smart casseroles…

    Il me semble essentiel de cultiver, dans les espaces de publication sur le numérique et l’observation des innovations et des usages, une approche apaisée et distanciée du flot de propositions plus ou moins farfelues qui nous sont proposées par les Géotrouvetout en tous genres.

    Il en va de la crédibilité de l’observation des inventions qui deviennent de véritables innovations, c’est-à-dire, littéralement, qui passent du statut de spéculation géniale à l’état d’usages au ras du sol.

    C’est ce qu’il faut faire aussi, me semble-t-il, sur les e-books. Dépasser la focalisation sur le gadget ou l’objet miracle pour aboutir à l’observation des usages et, si possible, à des progrès de société, de culture, d’intelligence, etc.

    Vivent les aliments froids bien conservés et vive le texte numérique 😉

    Marin

  2. x-lent, attendons la chute du prochain poncif…l’individu comme objet connecté en quête de son identité numérique? AHAHHAHAH 😉

  3. trêve de plaisanteries, leçon no 1: @internetactu: un blog n’a jamais été un outil au service de l’intelligence collective, il maintient structurellement la cloture opérationelle entre l’emetteur et le recepteur , soit une conception périmée de la théorie de l’information (Schannon et Weaver) merci de corriger les fautes. a+ –y

  4. Le designer sait que le steack est un morceau de vache morte, mais il attend de savoir grace à son frigo , ou et comment elle a vécu… le pb n’est pas un pb d’interface , mais de circulation d’info entre les acteurs de la chaine de prod. c d u design de service pur et dur, voir de norme et legislation, mais ça, ça marche pas.. on en discute?

  5. oui, la démocratie liquide, on va y aller, on sait pas encore comment, mais on va y aller… ;-))