PlusLongueLaVie.net : « Vieillir chez soi dans un environnement connecté, durable et solidaire »

Vieillir chez soi

Vieillir chez soi serait la solution que tout un chacun appellerait de ses vœux. Pourtant dès qu’il s’agit d’aménager son habitat pour l’adapter aux problèmes physiologiques du vieillissement (adapter sa salle de bain, aménager une chambre au-rez-de-chaussée, renoncer au tapis du salon – premières causes de chutes -, etc.), les résistances des personnes âgées sont nombreuses, et souvent indépassables. Comme le soulignait Christine Patron, du Comité départemental des retraités et personnes âgées (Coderpa) d’Ile-de-France lors de la conférence Vieillir Chez soi, un enjeu de société du 13 novembre 2008, le domicile, le chez-soi constituent des repères (repaires) chargés affectivement, historiquement, et réintroduisant pour la personne de la continuité face aux ruptures de vie.

Au sein du domicile, ce qui est de l’ordre de « l’avoir » s’est transformé en « être », et l’on préfère garder au lieu leur fonction de mémoire plutôt que de le transformer et l’adapter. C’est ce qui rend si délicate et complexe l’intervention à domicile, rappelait Elian Djaoui lors de la conférence Pluslonguelavie sur l’habitat ; de même qu’un déménagement contraint, brutal, pour un domicile adapté, plus fonctionnel, peut être une vraie rupture traumatique pour la personne âgée, accélérant des pathologies dépressives ou des dégénérescences.

Etrangeté et intrusion des technologies

Les résistances sont encore plus fortes, – et justifiées sans doute -, quand l’aménagement de l’habitat passe par une intégration de dispositifs techniques ou technologiques absolument étrangers, et dans leur esthétique et dans leur fonction, aux personnes âgées, et dont seuls les caractères de fonctionnalité, de sécurité, de compensation sont mis en avant.

Si cette technologie rebute c’est qu’elle renvoie aux personnes la seule image de leur handicap, c’est qu’elle n’est pas « stimulante », source de désir, d’envie. C’est qu’elle n’est pas suffisamment l’objet de discussion, d’échange, de jeux, d’interaction. L’ergothérapeute Bénédicte Tenneson (vidéo) rappelait l’impérieux besoin de travailler sur la complémentarité des dispositifs techniques et humains. Trop souvent la technique cherche à se substituer à l’humain, quand l’enjeu pourrait être d’augmenter l’humain dans ses capacités relationnelles et ses prises sur le monde.

Une gamme importante des technologies de l’assistance (dites technologies « de l’assistance et pour l’autonomie ») conduit paradoxalement à augmenter les dépendances « subies » : les personnes âgées sont monitorées, contrôlées à distance, surveillées. Elles ne maîtrisent plus les personnes qui s’occupent d’elles (myriade d’intervenants au domicile), ni la manière dont on s’occupe d’elles, ou qu’on les surveille. Ces dépendances « subies » sont plus souvent le souhait des tiers – la famille, les proches -, qui ont besoin d’être sécurisés plus que les aînés eux-mêmes.

Des technologies au service de l’autorisation ?

Pourtant l’enjeu, souligne Christine Pattron n’est pas de supprimer les dépendances. L’autonomie n’est pas opposée à la dépendance : l’autonomie est la capacité à gérer ses dépendances selon ses propres choix. Les technologies pourraient-elles aider justement la personne à maintenir et choisir ses « dépendances », au moment où, ses capacités physiques diminuant, le réseau et le périmètre de dépendance diminuent aussi (le cercle de relation, la mobilité), et tendent à faire du domicile une prison fermée ? La télé-assistance pourraient-elles se développer dans ce sens ? C’est en tout cas une des pistes de conclusion offertes par Daniel Kaplan à la journée organisée par l’Institut Silver Life sur le retard français en matière de télé-assistance.

Paulette Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées ayant participé à l’instauration de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) s’est désolée de l’image négative qui était aujourd’hui véhiculée, en partie aussi au travers des politiques publiques (vidéo). La vieillesse étant synonyme de handicap, d’Alzheimer, etc. « La vieillesse ne saurait se résumer à cela », alerte-t-elle. Et même dans ces situations là, la personne âgée reste une personne vivante, désirante, souhaitant continuer à apprendre, à être citoyenne, et à faire de cette dernière partie de vie une partie « bien remplie ». Comme le rappelait Gilles Duthil, directeur de l’Institut Silverlife à la Biennale de l’intergénération, la société de la connaissance devrait justement être la plus à même d’offrir des réponses à ces aspirations.

Recomposer le vivre-ensemble

Toute réflexion sur « le vieillir chez soi » ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le sens que l’on souhaite donner à la vieillesse et sur le vivre-ensemble : quelle place la société accorde-t-elle à cette dernière partie de vie qui est de plus en plus longue ? Quel sens lui donne-t-elle ? Qu’est-ce que cela recompose dans les échanges entre les générations ? Tel était le thème abordé par la Biennale de l’intergénération : comment ne pas faire de la vieillesse une période entre parenthèses, isolée, à l’écart de la société ? Vivre à domicile pour les plus de 85 ans est synonyme de solitude pour 75 % d’entre eux.

Une solution expérimentée par l’association Equinoxe est de mieux coordonner les actions entre les professionnels (englobant les agents de la Poste, d’EDF, le médecin, les gardiens d’immeuble, les artisans, les commerçants) et les bénévoles, et de mailler le territoire de comités de voisinage. Un collectif de Designers anglais, Participle, travaillant sur l’isolement, affirme que la condition du bien vieillir chez soi est d’avoir avant tout un réseau de quelques personnes qui font votre quotidien (familles, amis, voisins, relations d’entraide, etc.), et dessinant aussi par là des échanges intergénérationnels entre seniors.

Les technologies pourraient outiller les relations de voisinage, et participer à leur densification, tout en laissant le choix de la distance ou de la présence. Il y a là de nouvelles formes de proximité numérique à expérimenter…

La longévité est un phénomène inédit pour nos sociétés, et nécessitent d’expérimenter de nouvelles formes de relation, même si les « bonnes » réponses à trouver prendront sans doute du temps à être élaborées, comme le rappelait Paulette Guinchard-Kunstler. Le XXe siècle a été celui de la protection de l’enfance. Le XXIe siècle sera peut-être, selon l’ancienne secrétaire d’Etat, celui d’une meilleure prise en considération de la vieillesse (individuelle, juridique, sociale).

Amandine Brugière

Billet originellement publié le 26 novembre 2008 sur le site PlusLongueLaVie.net.

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