A la Web 2.0 Expo qui se tenait mi-novembre à New York, la sociologue danah boyd a, comme à son habitude, fait une brillante présentation sur les conséquences qu’il y a à vivre dans un monde de flux, notamment en commençant à en dresser la liste des limites. Explorons dans ses pas – partiellement, mais fidèlement -, son « Streams of Content, Limited Attention : The Flow of Information through Social Media » (Flux de contenus, attention limitée : le flot d’information dans les médias sociaux).
Image : danah boyd sur scène à la Web 2.0 Expo à New York en novembre 2009, photographiée par James Duncan Davidson.
Vivre dans des flux
Nous vivons dans des flux, comme l’expliquait Nova Spivack, c’est-à-dire dans un monde où l’information est partout. « Cette métaphore est puissante », rappelle danah boyd. « L’idée suggère que vous viviez dans le courant : y ajoutant des choses, les consommant, les réorientant. »
« Ceux qui apprécient des services comme Twitter parlent passionnément de ce sentiment de vivre et respirer avec le monde autour d’eux, conscients et branchés, ajoutant des contenus dans le flot et s’en saisissant à d’autres moments. Cet état est délicat, d’autant qu’il est alourdi par une surcharge d’information et des outils frustrants. »
Longtemps les sites d’information ont été une destination, explique la chercheuse : accéder à l’information a été un processus, produire l’information une tâche. Que se passe-t-il quand tout change ? Nous sommes passés des médias de diffusion aux médias en réseaux, ce qui modifie fondamentalement la manière dont s’écoule l’information.
Les médias ont longtemps pensé que notre attention leur était acquise, mais un nombre croissant de sociétés se la disputent désormais. Avec l’internet, la possibilité pour tout un chacun de créer, diffuser et relier ses propres contenus y ajoute encore de nouveaux acteurs. Les technologies internet démantèlent et remanient les structures de distribution. A l’heure où les obstacles à la distribution s’effondrent, l’acte de distribution devient beaucoup moins important que l’acte de consommation. « Le pouvoir n’est plus entre les mains de ceux qui contrôlent les canaux de distribution, mais de ceux qui contrôlent les ressources limitées de l’attention », c’est-à-dire tout un chacun. Le démantèlement des structures traditionnelles de distribution nous pousse à construire de nouvelles formes de diffusion de l’information. Comment l’information circule-t-elle différemment aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé ?
4 fausses idées sur la révolution numérique
1. La démocratisation ? Passer de l’économie de la distribution à celle de l’attention est perturbateur, mais cela ne signifie pas pour autant une démocratisation comme on l’entend bien souvent estime danah boyd. Passer à un état où n’importe qui pourra obtenir de l’information dans le flot, ne signifie pas que l’attention sera répartie à parts égales. « Ouvrir l’accès aux structures de distribution ne signifie pas les démocratiser surtout quand la distribution n’est plus la fonction organisatrice. »
Cela ne signifie pas non plus l’avènement de la méritocratie : ce à quoi les gens accordent de l’attention dépend d’un ensemble de facteurs qui n’a rien à voir avec « ce qu’il y a de mieux ».
2. La stimulation ? Les gens consomment le contenu qui leur stimule leur esprit et leurs sens. Ce n’est donc pas toujours « le meilleur », ou le contenu le plus informatif qui retient leur attention, mais celui qui déclenche une réaction. Ce qui n’est pas une bonne chose en soi, rappelle la chercheuse. « Comparez avec l’alimentation : notre corps est programmé pour consommer les graisses et les sucres, car ils sont rares dans la nature. Quand ils passent autour de nous, nous ne pouvons pas nous empêcher de les attraper… De même, nous sommes biologiquement programmés pour être attentifs à des choses qui nous stimulent comme les contenus violents ou sexuels (…). Si nous n’y prenons pas garde, nous allons développer l’équivalent psychologique de l’obésité. Nous allons nous mettre à consommer les contenus qui sont le moins bénéfiques à nous-mêmes ou à la société dans son ensemble. »
« Nous sommes dépendants du bavardage pour cette raison. Nous voulons savoir ce qu’il arrive aux autres parce que cette information nous rapproche des gens. Quand on sait quelque chose sur quelqu’un, on a le sentiment d’avoir établi une connexion avec lui. Mais l’écologie de l’information à l’heure de l’internet chambarde tout cela. Si je peux suivre tous les détails de la vie d’Angelina Jolie, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle sait que j’existe. » C’est ce que les sociologues appellent les relations parasociales : sur Facebook, vous pouvez transformer vos amis en célébrités, sans bénéficier pour autant d’une réelle intimité avec eux.
Enfin, si la stimulation crée des connexions cognitives, il est possible que nous subissions trop de stimulations. Nous ne voulons pas d’une société déconnectée ou d’une société où les connexions seraient inégales. Donc aller vers de plus fortes et plus intenses stimulations ne signifie peut-être pas aller vers la société que nous souhaitons, rappelle la chercheuse.
3. L’homophilie ? Dans un monde en réseau, les gens se connectent à des gens qui leur ressemblent : il est donc facile de ne pas accéder aux points de vue de gens qui ne pensent pas comme vous.
Désormais, l’information s’écoule de telle manière qu’elle renforce les clivages sociaux, explique la chercheuse. Or, la démocratie s’appuie sur des structures d’information partagées, mais la combinaison de l’auto-fragmentation et du flux d’information en réseau signifie que nous perdons le terrain rhétorique commun qui nous permet de discuter, explique encore la chercheuse.
« Tout au long de mes études sur les médias sociaux, j’ai été étonné de voir des gens pour qui tel ou tel site était composé de gens comme eux » : des homosexuels pensant que Friendster était un site de rencontres pour eux parce qu’ils n’y ont croisé que d’autres homosexuels, des adolescents qui ont cru que MySpace était une communauté chrétienne parce que tous les profils qu’ils y ont vus contenaient des citations bibliques… « Nous vivons tous dans nos propres mondes, avec des gens qui partagent nos valeurs, et avec les médias en réseau, il est souvent difficile de voir au-delà. »
Ironiquement, le seul endroit où danah boyd trouve que les gens sont forcés de penser au-delà de leur monde s’avère être Twitter, estime la chercheuse, via les hastags, qui nous conduisent parfois, sur certains sujets, à aborder des différences de points de vue – mais les hastags sont déjà un usage avancé auquel tous les utilisateurs de Twitter n’accèdent pas, pourrait-on minorer. « Il demeure certain néanmoins que nous devons reconnaître que les réseaux sont homophiles et agir en conséquence. La technologie ne bouleverse pas les clivages sociaux. Au contraire, elle les renforce. » Seul un petit pourcentage de gens sont enclins à rechercher des opinions et des idées issues d’autres cultures que la leur. Ces personnes devraient être particulièrement appréciées dans la société, mais, comme le dit Ethan Zuckerman, le fait que certaines personnes aient tendance à être xénophiles ne signifie pas qu’ils le seront.
4. Le Pouvoir ? Quand nous réfléchissons à une distribution depuis des sources d’information centralisée, il est facile de comprendre l’organisation du pouvoir. Mais les structures en réseau se distribuent également selon des formes d’organisation du pouvoir. Le pouvoir désormais consiste à être capable de retenir l’attention, d’influencer l’attention des autres et de transformer l’information en trafic.
« Nous donnons du pouvoir aux gens quand nous leur accordons notre attention et les gens gagnent du pouvoir quand ils font le pont entre des mondes différents et déterminent quelles informations seront reversées dans les réseaux » dont ils sont l’un des noeuds.
Car dans une culture de réseau, il y a aussi du pouvoir à être la personne qui diffuse le contenu. Dans le modèle de diffusion, ceux qui contrôlaient les canaux de distribution faisaient souvent plus de profits que les créateurs. Une hypothèse voudrait que si nous nous débarrassons de cette organisation de la distribution, le pouvoir revienne aux créateurs. Mais force est de constater que ce n’est pas ce qui se passe. Ceux qui obtiennent l’attention des gens sont encore une petite minorité de privilégiés. Un nouveau type de « courtier en information » émerge. Dans le modèle de la distribution de l’attention en réseau, il y a encore une forme de distribution qui ne passe pas directement par les créateurs, mais par d’autres intermédiaires…
Comment faire que cela fonctionne ?
« Pour être pertinent aujourd’hui, il faut comprendre le contexte, la popularité et la réputation. Dans une ère de la diffusion, nous présumons que la personne qui diffuse une information organisée le fait parce qu’elle est une destination. Dans une ère de réseaux, il n’y aura pas de destination, mais plutôt un réseau de contenu et de personnes. Quand nous consommons de l’information via les outils sociaux, les gens consomment du commérage social le long des contenus et des statuts de chacun. Pour l’instant, c’est un vaste gâchis. La clé ne va pas être de créer des destinations distinctes organisées autour de thèmes, mais de trouver des manières dont le contenu pourra faire surface dans le contexte, où qu’il soit. »
Produire du contenu dans un monde en réseau va consister à vivre dans les flux, consommer et produire aux côtés des « clients ». « Consommer pour comprendre, produire pour être pertinent. »
Ce qui signifie que nous avons encore besoin d’innovations technologiques, suggère la chercheuse. Par exemple d’outils qui permettent aux gens de contextualiser plus facilement du contenu pertinent où qu’ils soient ou quoi qu’ils fassent, et des outils qui permettent aux gens d’explorer et manipuler le contenu afin de ne pas être dépassé par l’information. « Il ne s’agit pas simplement d’agréger et nettoyer du contenu pour alimenter des sites personnalisés – franchement, je ne pense pas que cela fonctionnera ainsi. Les consommateurs ont besoin d’outils qui leur permettent d’entrer dans le flux, de vivre dans des structures d’information d’où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent. D’outils qui leur permettent de prendre ce dont ils ont besoin et rester à la périphérie, sans se sentir submergés. »
Enfin, dans ce nouveau contexte, « nous devons repenser nos modèles économiques », estime danah boyd. « Je doute que ce changement culturel puisse être soutenu par de meilleurs modèles publicitaires. La publicité fonctionne sur la capture de l’attention, généralement en interrompant le message diffusé ou en étant inséré dans le contenu lui-même. Lorsque les informations partagées sont de natures sociales, la publicité devient fondamentalement une perturbation. (…) Trouver les moyens de monétiser la sociabilité est un problème, et pas seulement pour l’internet. Pensons à la manière dont nous monétisons notre sociabilité dans les espaces physiques. La plupart du temps, cela implique une consommation de calories supplémentaire » : dans les bars, restaurants et cafés nous consommons autre chose que notre sociabilité pour payer le loyer… « Mais nous n’avons pas encore trouvé d’équivalent numérique à l’alcool », conclut la chercheuse.
Inattention ? illustration par l’exemple
D’une manière très ironique, mais tout à fait illustrative, à l’occasion de cette présentation publique lors de la conférence Web 2.0, danah boyd a été chahutée par les participants dont les Twitts étaient projetés sur grand écran derrière la conférencière. Les participants s’en sont pris à la rapidité du débit de danah boyd, stressée par sa présentation, qui l’a été davantage en entendant les rires de la salle, déclenchés par les moqueries qui s’affichaient sur le mur de Tweets que l’oratrice ne voyait pas (vidéo).
Cet évènement a déclenché de vastes commentaires sur l’utilité de faire passer les discussions de couloirs (backchannel) en discussions publiques (frontchannel). Une expérience assez traumatisante pour l’oratrice comme elle l’a expliqué ensuite sur son blog, qui a rapidement perdu le contact avec les participants. « Le flux Twitter est devenu le centre de l’attention (…) il est devenu un moyen non pas pour communiquer avec l’orateur, mais pour que le public communique avec lui-même ». « Le canal a offert une opportunité irrésistible de (littéralement) parler publiquement dans le dos de l’orateur », explique Joe McCarthy.
Rendre visible le fil Twitter des conversations dans une conférence publique n’est pas si simple rappelle Scott Berkun qui a écrit un livre sur la prise de parole en public. La projection du flux Twitter peut-être bénéfique dans certains contextes, mais nécessite de connaître l’objectif qu’on lui demande de remplir et que cet objectif soit partagé par tous. Jeremiah Owyang avait rédigé quelques conseils sur le sujet suite à la conférence SXSW 2008 où Mark Zuckerberg, le président de Facebook, avait été confronté au même type de problème (voir également le livre d’Olivia Mitchell Page sur la question). Pour Joe McCarthy cependant, la relation demeure inégale entre le conférencier et son audience. Une inégalité qui ne doit pas donner au public le droit d’être impoli ou de descendre en flamme l’orateur. Mais le lynchage en ligne par la foule sur Twitter (baptisé Tweckle par Marc Parry) est difficile à contre-attaquer. Si la pratique du mur de Tweet se généralise, on voit qu’il nécessite quelque règles : une charte de bonne conduite et la présence d’un modérateur actif pour tenter de contrebalancer les effets de foules, ainsi que la possibilité de pouvoir débrancher le mur de Tweet si nécessaire.
Bien sûr, ce phénomène n’est pas nouveau rappelle le psychanaliste Yann Leroux qui s’est penché sur cet épisode : « Ce canal arrière n’est pas créé par l’Internet ambiant. Un public a toujours été une masse mouvante, parfois conquise par l’orateur, parfois lui échappant en totalité ou en partie. Les rires, les murmures, les apartés, les sorties et les entrées, sont les signes que les orateurs apprennent à interpréter pour sentir si leur public était bien avec eux ou dans un de ces canaux arrière. (…) Avec le Wi-Fi ambiant, et les services web sur les mobiles, le public des conférences a commencé à se retrouver en ligne, créant ainsi un lieu ou mettre et partager ce qui, jusqu’a présent, n’avais pas d’autre lieu que les psyché individuelles. (…) Même les moments d’ennuis devenaient une source d’information partageable, accroissant pour tous le sentiment d’être connecté, de recevoir et de donner une information toujours bonne, être de et dans de l’information. Chacun est immergé dans un flot d’information, et est lui même un flot d’informations mêlé à d’autres, innombrables, et toutes de même valeur. Toute information devenait “sociale” : le fait d’aller à une conférence, d’y être, de s’y ennuyer ou pas, avait la même valeur. »
Image : Backchannel par l’illustrateur Rob Cottingham, réagissant à cet évènement. « Tous les évènements ne devraient pas avoir besoin de canal arrière ».
Joe McCarthy rappelle également que le phénomène existe dans d’autres canaux numériques que le seul Twitter. Elizabeth Bernstein pour le Wall Street Journal évoque ainsi comment les gens utilisent le courrier électronique, les blogs ou Facebook pour humilier publiquement leurs ex-conjoints. Le caractère désinhibitoire de la distance, qui peut prendre des formes bénignes ou toxiques, est capable de favoriser la transformation des internautes en foule agressive. La Wikipédia anglophone sur le sujet énumère plusieurs facteurs désinhibant comme :
- l’anonymat (vous ne me connaissez pas)
- l’invisibilité (vous ne pouvez pas me voir)
- le caractère asynchrone (vous le verrez plus tard)
- l’introspection (c’est juste dans ma tête)
- le caractère dissociatif (c’est juste un jeu)
- le fait de minimiser son autorité (tout propos est égal à un autre)
Mais les outils en ligne, quand ils sont utilisés dans les espaces physiques, transforment ces facteurs, les hybrident comme l’explique Adriana de Souza e Silva. Dans les réunions physiques, les 4 premières composantes de cette liste ne s’appliquent pas. Or, dans le cas d’un mur twitter, le canal de retour numérique permet des affirmations implicites et explicites générant de nouvelles formes d’autorités autres que celles du conférencier, d’autant que bien souvent, dans les conférences, le public est loin d’être un récepteur amateur des propos des conférenciers. La projection d’un flux Twitter agit comme un désinhibiteur puissant d’autant que Twitter, par la puissance du RT, facilite l’expressivité et les comportements moutonniers. Il facilite l’expression de son émotion directe, alors que le propos de l’orateur est souvent sur un autre plan, plus réflexif ou démonstratif. Comme le dit Ronald S. Burt dans son article « Haut débit et écho : confiance, information et bavardage dans les réseaux sociaux » (.pdf), les informations négatives et le commérage sont plus propices à lier un groupe, un auditoire, que les informations positives. Le TwitterBashing donne de l’importance à une poignée de personne, pareil à l’élève qui promène le reflet du soleil sur sa montre sur le tableau pour amuser la classe. Le TwitterWall subvertit l’asymétrie de la communication publique, comme l’explique le psychanalyste Yann Leroux : « Dans ses aspects conscients, le conférencier n’est plus la seule source d’attention. L’attention du public est partagée entre ce qu’il reçoit du conférencier, et ce qui s’affiche sur le backchannel. Plus celui ci est actif, plus l’attention du public peut se détacher de l’orateur. En effet, nous avons tendance a consacrer de l’attention à toute source de mouvement et cette tendance s’actualisera d’autant plus que ce qui se passe sur le backchannel satisfait les attentes imaginaires du groupe. Coté conférencier, parler a une foret de têtes qui sont penchées vers leurs écrans est une situation difficile : écoutent-ils ? prennent ils des notes ? ou sont ils en train de lire leurs mails, de jouer à un jeu vidéo ou de twitter combien ils s’ennuient ? »
Il est difficile d’amener le public à réfléchir sur ses pratiques, comme le proposait pourtant, ironiquement, l’intervention de danah boyd. Avec le Twitterwall, une nouvelle option s’offre au public jusqu’alors passif : celle de devenir pleinement actif ! La projection d’un Twitterwal oblige le public à prêter une attention à ce canal de retour, à être distrait des propos de l’orateur. Le flux Twitter ajoute une autre couche de contenu que l’orateur ne peut pas toujours contrôler – surtout quand il ne le voit pas. danah boyd peut rappeler que cette expressivité nécessite de respecter certaines règles de politesses, il risque d’être difficile de les faire appliquer.
En étant projeté à la salle, on constate qu’un flux de tweet se transforme, car il change de destinataires : de quelques (ou beaucoup) aficionados, il s’adresse d’un coup à toute l’audience et sollicite leur réactivité. Contrairement à danah boyd, je pense qu’il n’est pas nécessaire de vouloir brider l’expressivité du public. Par contre, il faut clairement y introduire des éléments de modération et de bonnes pratiques pour limiter les moutons noirs, afin que les conférences ne deviennent pas des moments où les orateurs doivent répondre aux insultes et aux blagues d’une poignée de participants. Comme le soulignait tout à fait danah boyd dans le coeur de son propos, ce qui nous stimule n’est pas toujours ce qui est le plus difficile. Rien n’est plus facile que de subvertir un mur de tweet, ou de faire rire une classe d’élèves qui n’attendent qu’un peu de distraction pour cela… En offrant la même audience à chacun, on distribue le pouvoir d’attention à tous – même aux trolls. Est-ce bien sûr que c’est ce que nous attendons de nos outils ?
Hubert Guillaud
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Article très intéressant. Cependand je pense qu’il aurait pu être scindé en deux afin de mieux mettre en avant les excellentes remarques de la sociologue danah boyd et moins les réactions panurgiennes d’un public irrespectueux.
Mon ami Loïc Haÿ, de l’Artesi-Ile-de-France m’interpelle très justement sur l’impression assez négative qui ressort à la lecture de cet article à l’encontre des murs de Tweet.
Qu’on ne se méprennes pas, ce n’est pas le mur de Tweet qui est en question ici il me semble, mais bien l’absence de méthode quant à son utilisation et l’absence de réflexion quand à sa mise en continuité entre le back et le front channel.
La question que posent ces outils et leurs usages est bien de nous interroger sur comment relier le back et le front, le virtuel et le réel, la scène et le public. Il ne suffit pas de mettre en place une jolie interface (elles sont nombreuses comme TweetWally, TwitLife, VisibleTweets…) et un vidéoprojecteur pour réussir cette hybridation.
Ceux qui travaillent depuis longtemps sur ces nouvelles formes de murs contributifs (pour rappelle la Fing y a participé via le TwittyWall) montrent que ceux-ci, quand ils sont pensés comme des outils de médiations numériques, peuvent beaucoup apporter à un évènement – voir ce qu’ils ont fait avec la Seconde scène, le mur contributif des 5e Rencontres nationales de l’eTourisme… Ils permettent de faire ressortir les éléments pertinents, d’introduire de la participation, de recueillir des questions (auxquelles il faut répondre), de créer des liens entre participants… Pour autant, cela nécessite des adaptations, des méthodes, que l’ouverture d’un mur de tweets via un simple rétroprojecteur branché sur Twitter ne suffit pas ! Il faut ouvrir les pistes de contribution, les utiliser pour remettre en scène, modérer et intervenir en temps réel… Peut-être que plutôt que de projeter les Tweets eux-mêmes, faut-il les monitorer en temps réel via un outil d’analyse qui les classe pour donner des tendances en temps réel…
« Il faut mettre en scène la rencontre entre le back et le front channel » pour qu’elle ne se résume pas à un simple affrontement, comme on le voit trop souvent hélas. Il faut savoir remettre en scène ce canal arrière dans le flux d’une conférence, sans parasiter ce qu’il se passe in situ. Comme le dit Loïc Haÿ, ces nouvelles interfaces transmedia doivent apporter plus de richesses et être conçues comme des tiers lieux qui font partie intégrante de l’espace et de l’expérience physique de l’évènement. Ce que montre les mauvais exemples des grandes conférences techno où l’on commence à les trouver, c’est que ce n’est pas souvent le cas.
@Bartux : peut-être oui, mais les réactions du public en temps réel sont une démonstration concrète des propos de danah boyd. Le monde du flux n’est pas idéal.
Merci Hubert pour ce compte-rendu,
Mais, même si je pense que la réflexion avance maintenant dans le bon sens, il me semble que D Boyd fait encor un contresens important.
L’économie de l’attention n’est pas née avec l’internet, c’est le propre de tous les moyens de communication, attirer l’attention du destinataire. Ainsi l’orateur devant son public est dans un dispositif de captage d’attention. Le livre, par exemple, est un autre dispositif de captage d’attention.
Elle a été monétisée, dans sa version détournement (capter l’attention pour l’envoyer ailleurs) grâce à l’invention d’un marché bi-face par les journaux populaires. Et s’est perfectionnée avec la radio-TV qui ont inventé la notion de flux (ou de flot), déjà préfigurée par le tirage régulier des journaux.
La nouveauté du Web n’est pas dans le flux, mais de raisonner à partir de l’accès et non de la diffusion, ou de la distribution comme le dit D, Boyd. Ainsi une concurrence s’installe entre les dispositifs de captages d’attention. Cette concurrence est visible aussi bien sur les deux faces du marché, pour attirer l’attention ET pour la revendre aux annonceurs. En déduire que les internautes ont maintenant le pouvoir, parce que «tout un chacun» serait capable de contrôler l’attention, est aller vite en besogne. Personnellement, je n’y crois pas une seconde.
Je suis très heureux de voir mon dessin à votre site – et dans une discussion si intéressante!
Selon mon expérience (comme écrivain de discours et comme conférencier), le backchannel peut être très utile – mais pas si il est projeté dans la salle, et pas, quand il s’agit d’un sujet controversé, s’il n’y a pas une voix de modération (ou d’animation) et un consensus sur les règles de base.
Excellent article qui m’a beaucoup intéressé, merci.
Isabelle Delpech
Conseil & Formation en Travail collaboratif et gestion de l’information
Hubert, les critères de la Wikipedia sont en fait ceux de John Suler, psychologue américain qui a tiré de son expérience du Palace une cyber psychologie importante (que je ne désespère pas de faire traduire et publier en français)
L’article original est ici : http://www-usr.rider.edu/~suler/psycyber/disinhibit.html et il ajoute des variables individuelles pour rendre compte de cet effet de désinhibition en ligne
Il faut aussi préciser que les cathédrales et les bazars que nous construisons en ligne est aussi pour une part du à cet effet de désinhibition. C’est aussi cet effet de désinhibition qui fait que l’on est si audacieux en ligne. Une idée ? Essayons la ! Les twitwalls participent de cet esprit joyeux, enfantin que l’on note souvent dans le cyberespace. Des choses ont été tentées, et en fonction des résultats, des usages, des façons de faire, des tours de main commencent à émerger. Nous savons maintenant qu’il faut modérer le backchannel si il est projeté sur l’événement.
Les mondes numériques sont les mondes du bricolage. Les digiborigènes ont toujorus procédé ainsi. Il y a là, à mon avis, quelque chose du gai savoir qu’il nous faut préserver.