La conversation a-t-elle quitté la blogosphère ?

Sarah Perez de ReadWriteWeb s’interroge, à la suite de Jason Kaneshiro du Blog Herald : la conversation a-t-elle quitté la blogosphère ? La conversation, qui était l’apanage de la blogosphère (« les blogs démarrent des conversations » disait Loïc Le Meur), n’est-elle pas en train de se déplacer ? Les gens continuent de commenter et d’interagir, mais la plupart du temps, ces commentaires ne se font plus sur les blogs. Est-ce que la conversation est en train de se diluer sur de multiples services et applications ou faut-il voir ce déplacement comme une couche supplémentaire à la conversation originale ? Le micro-blogging, dont Twitter est le fer de lance, est-il en train de prendre le pas sur le blogging ?

La home de Twitter

C’est plus que probable si l’on en croit Kee Hinckley qui a fait une remarquable analyse des messages twittés durant l’interview de Mark Zuckerberg, le jeune président de FaceBook, par une journaliste de BusinessWeek lors de « l’atypique » conférence SXSW qui s’est tenu en mars 2008 à Austin (Texas). Une interview désastreuse, durant laquelle la journaliste est chahutée par une salle qui s’énerve parce qu’elle ne pose pas au jeune PDG les questions qu’attendent les participants. Kee Hinckley a compilé les quelques 2000 twitts expédiés par 500 participants durant l’interview et les a analysés en parallèle de l’interview (créant même une vidéo où les twitts défilent en temps réel). Il a également produit un graphique qui montre les pics de messages et est allé jusqu’à analyser le répertoire des mots utilisés.

Graphique des Twitts échangés pendant la conférence par Kee Hinckley

« Le mécanisme de canal de retour que permet des outils comme Twitter va révolutionner les conférences, les salles de classes et nos relations quotidiennes… A la conférence SXSW, Twitter a transformé l’audience en foule. Les intervenants, qui n’avaient pas accès à ce canal de retour, n’ont pas compris ce qu’il se passait et pourquoi l’humeur de l’assistance changeait si rapidement. » La raison, c’est Twitter, explique Kee : « Twitter apporte un canal de communication qui augmente, plutôt qu’il n’interrompt, les communications existantes. Il rend possible de communiquer à la fois avec un groupe, et aux leaders d’un groupe. »

« Pour plusieurs générations, les sites sociaux et leurs dérivés n’ont pas la profondeur et la valeur des interactions réelles. Des outils comme Twitter ou Facebook, qui floutent les frontières entre le travail et la vie privée, l’important et le trivial, et qui créent délibérement un ensemble d’outils maléables et ambigus (les « statuts », le « poke »…) sont les précurseurs primitifs de ce que la prochaine génération tiendra pour acquis », explique-t-il encore.

En tout cas, il semble certain que Twitter domine désormais les outils du web 2.0, pas nécessairement en trafic ou en audience, mais certainement en influence. Selon une étude empirique menée via les statistiques de FriendFeed, un agrégateur qui permet de suivre les flux de vos amis depuis chacuns des plus importants services du web 2.0, Twitter représente 44 % de l’activité (mesurée en nombre d’entrées dans les flux RSS) de la totalité des 35 services 2.0 que suit FriendFeed. Bien sûr, ces statistiques mesurent les mises à jour, et Twitter, qui est presque une application de tchat, démultiplie les mises à jour : mais c’est aussi une façon, par rapport à d’autres outils, de capter l’attention, explique le ReadWriteWeb. Visiblement, Twitter, en permettant de fluidifier les commentaires, en favorisant l’immédiateté de la réponse, a répondu à un manque dont souffrait les outils de commentaires traditionnels. A moins que le micro-blogging ne soit une réponse à l’essoufflement des pratiques de blogging ?

De quoi permettre en tout cas à Frédéric Cavazza de dire que Twitter est « un catalyseur de pratiques sociales de nouvelle génération ». C’est-à-dire « un outil incroyablement minimaliste qui est pourtant capable d’orchestrer des relations sociales bien plus complexes que ne le font les réseaux sociaux traditionnels », s’enthousiasme-t-il.

Selon Sarah Perez, il faut rester en contact avec toutes les sources de conversation en activité – et de lister une nasse d’une quinzaine d’outils pour naviguer dans cette masse et la surveiller par RSS. Mais cette démultiplication d’outils est-elle exploitable par des personnes normalement constituées ? Twitter est-il soluble dans des pratiques qui ne soient pas fondamentalement communautaires ? Ou assiste-t-on seulement à la montée de la nouvelle coqueluche des réseaux, comme on en connait désormais cycliquement (Second Life, Facebook…), jusqu’à ce que ses adorateurs se rendent compte de ses propres limites ou se lassent ?

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  1. Je dirais même plus que les discussions ET les centres d’intêrets quittent la blogosphère… Pour les lecteurs, il ne s’agit plus de se contenter de quelques articles rédigés par des pseudo-gourous, l’expérience utilisateur se disperse en allant consulter et commenter d’autres types de medium ; bookmarks, videos, photos, présentations – à la PowerPoint -, musiques, logiciels, etc.

    Et surtout, l’ère du bloggeur – pépére – qui attend – comme un con – sur son blog (ou harcèle sur ceux des autres) pour qu’on lui lache des com’s appartient au passé… Le « nouveau bloggeur », qui a prit le train du Web 2.0 en marche, doit être participatif à l’extérieur de son blog, partager sur des services Web, inviter sur des réseaux… Bref, il doit aller – au contact – de ses futurs auditeurs là ils se trouvent et les aguicher.

    Enfin, c’est là où se dégage l’intêret des lifestream, même rustique comme FriendFeed, pour canaliser nos contenus, activités, et présences, et surtout pour jouer le rôle de – carrefour de rencontre – entre le bloggeur et ses lecteurs.

    Pour conclure, la blogosphère 1.0 était égocentrique, la nouvelle vague 2.0 sera extravertie ! Et ira jusqu’à dévoiler publiquement son intimité quotidienne… Mais n’est-ce pas la vocation d’un blog d’être notre « journal intime » ?

  2. Cela faut quand même un bon moment que l’on voit les participants à un événement donné, augmenter la surface de celui-ci en convenant implicitement de partager leurs impressions. Dans ce contexte, Twitter a l’avantage d’être fédérateur, reste à voir quand même s’il n’y en a pas d’autres, dans d’autres contextes, avec d’autres gens que la génération des ex-blogueurs fans de Twitter ?
    Les blogs ont atteind leur phase plateau il y a facilement deux ans, quand on s’est rendu compte que si le nombre de blogs augmentait toutjours, le nombre de posts restait stable. les blogs ne servent plus à tout et ne sont plus le centre du monde, leur rôle s’est codifié. Maintenant, la situation actuelle est que, contrairement à l’époque des blogs, les outils ne sont plus au centre, ce sont les gens qui y sont, en tous les cas leur représentation visible sur le ou les réseaux qui vont bien compte tenu du contexte. Ils se alors de quelques outils pivot, notamment Twitter qui a l’avantage d’être très fort au carrefour web+mobile.
    Je pense donc que certaines discussions ont quitté la blogosphère, mais que celle-ci a maintenant un sens plus stable, avec certes, un aspect moins réactif qu’au début puisque les sujets chauds se passent sur des supports plus adaptés.

  3. Merci à vous deux. Mais je vous trouve bien confiants. Olivier, il me semble que la blogosphère est depuis longtemps extravertie et est souvent la première à adopter les nouveautés, mais je ne suis pas sûr que cette dissémination en une multitude de nouveaux services se fasse vraiment au bénéfice de la conversation. Comme le souligne Alexis, « l’augmentation » virtuelle d’un évènement par ses participants connectés n’est pas neuve. Reste que dans cette démultiplication des outils favorisant une réactivité toujours plus grande, le blog n’est pas toujours l’outil qui permet la réactivité la plus rapide ou la plus adaptée. On comprend donc qu’une grande partie des commentaires s’en échappent. Sans compter que ses thuriféraires s’en lassent aussi un peu.

    lecycledesnouveautes.jpg Cependant, j’aurais pour ma part plutôt tendance à ranger Twitter dans le cycle des nouveautés, parce que je ne suis pas sûr que la somme des avantages l’emporte sur la somme des inconvénients. Comme l’explique très bien Misha Cornes dans ce même article : « même en me connectant aux autres, Twitter reste un outil de distanciation ». « Les tweets sont plus une déclaration d’existence qu’une invitation à participer à une conversation », conclut-il en soulignant le rôle des liens faibles dans les phénomènes sociaux qu’évoquait il y a quelque temps l’anthropologue Michael Wesch.

    Reste que ce mouvement des commentaires vers le flux de la conversation semble être patent – même s’il n’est pas vraiment mesurable, outils contre outils -, comme le souligne Stowe Boyd : « La conversation se déplace d’une forme statique et lente (le fil des commentaires sous les billets de blogs) à une forme plus dynamique et rapide : dans le flot de Twitter, FriendFeed et d’autres. Je pense que cette direction doit être considérée comme une loi de l’univers : la conversation se déplace là où elle est la plus sociale. (…) Twitter et les autres applications sont basées sur un « web de débit » : l’information qui a de l’intérêt vient à nous et pas l’inverse. (…) Les blogs n’ont pas été conçus dans l’esprit du débit : ils sont fondés sur des principes du web 1.0, même s’ils ont contribué à engendrer une révolution dans la sociabilité et la circulation de l’information. »

    Sur ReadWriteWeb, un nouveau billet fait semblant de vouloir rétablir l’équilibre : les commentaires de blogs sont toujours importants. En fait, en citant un pertinent article de Paul Graham sur les formes de désaccords dans les commentaires, Sarah Perez revient sur les limites actuelles des commentaires : qui donnent plutôt la parole aux voix discordantes qu’à une vision pondérée de la perception d’un article par ses lecteurs. Alors que dans les systèmes à la FriendFeed ou à la Digg, il suffit d’un clic pour faire apparaître un smiley ou un vote de soutien et donner une mesure plus équilibrée (ou plus positive) du lectorat. Des systèmes qui seront, n’en doutons pas, plus que le nombre de commentaires, « les métriques de l’avenir de la popularité. »

    Si on reprend la catégorisation des commentateurs développée par Geek News Central – à savoir les constructeurs (ceux qui veulent ajouter quelque chose à la conversation), les objecteurs (ceux qui ont une opinion contraire) et les détracteurs (ceux qui veulent juste attirer l’attention) -, la forme traditionnelle des commentaires en facilite plus certains que d’autres. Bien sûr, on peut augmenter le fil des commentaires de nouvelles capacités, comme le propose DisqUs, mais la structuration des commentaires est-elle la seule à devoir être questionnée ? A une époque où le blog est devenu mainstream (oui, la blogosphère s’est stabilisée Alexis, mais la forme du blog elle a continué à contaminer le web, tant et si bien que tous les sites aujourd’hui proposent des champs de commentaires, un fil RSS et une publication antéchronologique, comme un rapide tour sur les sites de médias français le montre rapidement). Ce qui est sûr, comme le conclut Sarah Perez, c’est qu’il n’est pas facile de générer des discussions de qualités sur un blog ;-).

    Encore une fois, est-ce donc les outils qu’il faut interroger, ou les pratiques ?

  4. Je ne disais pas que c’était forcément une bonne chose, mais que c’est une évolution des moeurs, et que les bloggeurs vont s’y contraindre. L’obstacle majeur, à mon grand regret, c’est la médiocrité de services comme coComment et DisqUs qui ne permettent pas, efficacement, de garder le contrôle de nos discussions externalisées et de les redistribuer.

    Pour ce qui est de l’egocentrisme de la blogosphère, je m’appuie sur mon étude des bloggeurs figurant dans la Hot Communities de MyBlogLog ; le haut du Top est dominé par des vieux bloggeurs qui ne sortent pas de la sphère de leur blog (avec trés peu de contributions à l’exterieur), par contre les nouveaux venus dans le Top sont au contraire trés extravertis et dispersés dans leurs contributions.
    Cette étude me sert à préparer la mise en pratique de mon concept de « social scoring » et la mise en route d’un réseau dédié… Où seul les internautes extravertis pourront s’inscrire :op

  5. @Hubert: tu veux parler de mon étude de la Hot Communities de MyBlogLog ? Heu, oui, c’est personnel, du moins pour mon usage.

    Voici quand même un exemple flagrant ; les bloguers de TechCrunch, Ouriel et Mike, sont inscrits officiellement sur trés peu de services Web, et ce qu’ils y partagent est en relation directe avec TC ; bookmarks, diggs, photos, videos, ou slides de leurs articles. Pour eux, les lifestream n’apporteraient pas grand chose… Leur univers social reste centré sur leurs blogs.

    Par contre, Robert Scoble, le petit nouveau déjà populaire, disperse ses infos en choisissant le support le mieux adapté. Et il a urgement besoin d’un – carrefour – pour se ré-approprier ses contenus et discussions.

  6. « La conférence SXSW a transformé l’audience en foule. »
    Je me demande dans quelle mesure le microblogging ne satisfait pas encore plus l’aspect pulsionnel d’Internet, au détriment du rationnel ; ce dernier se retrouvant alors dans les billets de blog (plus long, plus structuré) et les conversations qui s’en suivent.
    Quel sont les rapports signal/bruit dans le blogging et le microblogging ?
    J’ai plus l’impression que les conversations s’accélèrent (instantanéité du feedback), voire disparaissent (et pas seulement de la blogosphère) au profit d’un trolling égocentrique : je twitte donc j’existe, twit me i’m famous, etc..
    Avec pour résultat la création d’un applaudimetre : le whuffie, le peoplerank, le social scoring, etc..
    Twitter répond à un manque, remplaçant la distanciation (cf. Misha Cornes) par plus d’immédiateté : mais cette vitesse est-elle une bonne chose pour la conversation ? ne faut-il pas laisser un peu de recul, accorder une chance à l’esprit d’escalier ?

  7. sans doute faut-il prendre en compte la croissance exponentielle des réseaux sociaux (facebook et twitter notamment)..cette croissance ne peut que contribuer à densifier la conversation 2.0 (donc en effet plus de bruit..mais sans doute plus de richesse à termes).