La mobilité, c’est la liberté d’aller comme bon nous semble, croit-on souvent… Pas si sûr, vient de constater le professeur Albert-László Barabási et son équipe, qui ont étudié les déplacements de quelques 50 000 utilisateurs de téléphone mobiles.
« Nous sommes tous d’une manière ou d’une autre ennuyeux. Les individus spontanés sont largement absents de la population. Malgré de grandes différences dans les modèles de déplacements, nous avons trouvé que la plupart des gens sont également prévisibles », reconnaît le professeur Barabasi, directeur du Centre de recherche sur les réseaux complexes au New Scientist. La prévisibilité, explique-t-il représente la probabilité que nous sachions prévoir les allées et venues d’un individu dans l’heure suivante, en se basant sur ses trajets précédents. Cette prévisibilité n’est pas liée à la distance parcourue : ceux qui font de grands voyages réguliers (les « jetsetters« ) comme ceux qui restent à proximité de chez eux (les « homebodys« ) sont également prévisibles, à quelque 93 %.
Alors qu’on pourrait penser qu’il est plus difficile de prédire le mouvement de ceux qui voyagent beaucoup, l’étude (.pdf) a montré le contraire : malgré notre hétérogénéité dans nos déplacements, nos schémas de déplacements sont réguliers, routiniers et tous également prévisibles. Autre surprise, cette régularité et cette prévisibilité ne diffèrent pas significativement selon les catégories sociales ou la densité démographique : quel que soit notre âge, notre sexe, notre groupe linguistique, que nous habitions à la campagne ou en ville, notre manière de bouger est pour tous également prévisible !
« Les individus suivent tous un motif simple, indépendamment du temps et de la distance qu’ils parcourent, et ils ont une forte tendance à retourner aux endroits qu’ils ont visités auparavant », explique le spécialiste des réseaux. Pas sûr que la routine soit pour autant enracinée dans la nature humaine, comme le laisse penser le chercheur : notre mode de vie sédentarisé nous contraint par exemple à revenir toujours à nos domiciles… Mais c’est en tout cas un bon exemple des multiples modèles que l’étude des réseaux permet de mettre à jour, comme il le détail dans son livre à paraître, intitulé Bursts (Eclats, sous-titré « les modèles cachés derrière tout ce que nous faisons », Amazon).
Ce comportement prévisible permet d’entrevoir une large gamme d’applications dans le domaine de la modélisation des phénomènes épidémiques, la gestion des ressources en télécommunications, l’urbanisme ou l’ingénierie des trafics. D’autant que de nombreux modèles utilisés jusqu’à présent sont construits sur l’hypothèse que les gens se comportent de façon aléatoire… Nathan Eagle, directeur du Laboratoire de l’ingénierie des systèmes sociaux au MIT, qui travaille sur des sujets similaires – et a montré notamment que 85 % du temps, nous sommes localisés dans des endroits où nous avons nos habitudes -, semble plus optimiste, puisqu’il insiste sur la longue traîne de nos comportements (.pdf) : 15 % de notre temps est dévolu à des localisations variées qui nous prennent moins d’un pourcent de notre temps.
Nos routines permettent d’envisager de concevoir les villes et bâtiments afin qu’ils s’adaptent à la façon dont les gens se comportent vraiment, plutôt que de la façon dont les planificateurs pensent qu’ils se comportent. « Le principal impact de cet enseignement va être sur le monde en développement, notamment pour les villes qui ne disposent pas de planification urbaine traditionnelle », estime-t-il.
Pas si sûr. L’étude des mobilités permet par exemple de montrer que le succès du vélo à Copenhague n’est pas un hasard dû seulement à une politique volontariste de la ville… Mais qu’il est lié à une répartition très homogène des équipements. Comme le signalait un dossier du Groupe Chronos sur le sujet, pour augmenter la part modale du vélo dans les déplacements, la ville de Copenhague a affiché que d’ici 2015 (.pdf), 90 % des habitants devaient se trouver à 15 minutes maxi à pied ou à vélo d’un parc, d’une piscine ou d’un espace naturel… Et pour optimiser encore l’emplacement de ces équipements, il va être encore plus nécessaire de comprendre les parcours des habitants qui dorment dans leurs téléphones mobiles.
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C’est curieux, tel que formulé on a l’impression que ce serait mieux d’être imprévisible (« prévisible dans ses déplacements » = « ennuyeux »).
Je ne prétends pas que ce serait moins bien, mais je n’arrive pas à voir une échelle de valeur entre prévisible et imprévisible.
Certes, c’est intéressant de savoir que nous sommes l’un plutôt que l’autre, mais de là à en paraître déçu…
Certes, mais cette étude n’aborde que le versant départ-arrivée du déplacement. Qu’en est-il de l’imprévisibilité du temps de déplacement lui-même ?
Selon nos études SIMM Mobile Inside menées avec TNS media intelligence, l’accentuation des mobilités « déplacement » se conjugue avec celle des mobilités « média », « course » ou « numérique », définissant la population des « hypermobiles ».
Que le « taux d’imprévisibilité » de ces hypermobiles reste finalement peu élevé ne signifie pas nécessairement une mobilité routinière (ils peuvent se déplacer davantage, mais à des endroits relativement prévisibles), si l’on tient compte des usages (numériques ou autres) qui occupent ce temps de déplacement.
Ainsi, un hypermobile sera plus enclin :
– à profiter de son passage dans une gare-hub pour faire quelques courses si l’envie lui prend ;
– à tirer partie de ses outils numériques pour optimiser les modes qu’il activera dans son déplacement (un métro embouteillé ? j’enfourche un Vélib).
Conséquence : le déplacement reste le même en termes de localisations de départ et d’arrivée, malgré les « improvisations » citées ci-dessus (il y en a d’autres), qui n’apparaitront pas dans l’étude.
Etude Simm Mobile Inside / Chronos – TNS media intelligence
http://www.groupechronos.org/index.php/fre/projets/etudes/simm-mobile-inside (étude privée)
Il me semble qu’il y a un abus sur la notion de « prévisible ».
Ce n’est pas parce que quelque chose est régulier qu’il est prévisible. Par exemple une pièce de monnaie tombe régulièrement sur le coté pile quand on la lance (50%), mais, pour autant, son comportement sur le prochain lancement n’est pas prévisible.
Pour qu’un comportement soit prévisible, il me semble qu’il faut en proposer un modèle, et voir si ce modèle se comporte comme la réalité, pour les paramètres retenus. Exemple typique : la météorologie, qui utilise des modèles numériques de l’atmosphère.
Sinon, on ne « prévoit » que la régularité, c’est à dire rien. C’est comme une météo qui ne prévoierait pas les tempêtes, ou qui dirait « dans les 10 prochaines années il y aura au moins une tempête décénale ». C’est un peu la situation dans laquelle se trouve la prévision des tremblements de terre, malheureusement.
Sans être du tout un expert, il me semble que si on admet les conclusions de « The path of least resistance » (http://www.amazon.com/Path-Least-Resistance-Learning-Creative/dp/0449903370), on n’est pas très étonné de ce que dit cet article.