A l’invitation de la 27e Région pour son second voyage d’étude dans l’innovation sociale européenne (après la Grande-Bretagne l’année dernière), nous nous sommes intéressés cette année à l’innovation sociale scandinave, avec un voyage d’études à Copenhague et Malmö.
Malmö, laboratoire scandinave
Malmö est la porte d’entrée de la Suède. C’est la ville opposée à Copenhague, qui se trouve de l’autre côté du détroit de l’Øresund qui relie la mer baltique à la mer du Nord, reliée depuis 10 ans par un pont qui a transformé l’économie de la 3e ville de Suède qui compte désormais quelque 300 000 habitants. Passés les charmes de son centre ancien, Malmö est une ville en explosion démographique, économique et urbaine, notamment via l’écoquartier modèle Bo01, un ancien chantier naval conquis sur la mer.
Image : Turning Torso, la plus haute tour d’habitation d’Europe, emblème du nouveau quartier de Malmö, Bo01, par Olof S.
Le laboratoire de Medea est installé dans la toute neuve université de Malmö, dirigé par le designer Pelle Ehn, est à cette image. Medea est un Living Lab, un « do tank » (par opposition aux « think tanks « ), un laboratoire sur les médias collaboratifs, qui imagine comment utiliser les outils numériques pour favoriser l’innovation sociale. Comme le dit son concepteur, c’est une plate-forme, un lieu, un environnement, une infrastructure. Le rôle du Medea est de démocratiser l’innovation pour répondre à la triple crise financière, sociale et environnementale, à laquelle nous sommes confrontés, en utilisant pour cela la conception par les utilisateurs. Medea se divise en trois laboratoires :
- la Factory, dans le quartier ultra-moderne des anciens docks de la ville qui à terme devrait accueillir un FabLab associé à une structure de micro-financement de projets (DoDream) ;
- the Stage, dans un quartier multiculturel et travaillant sur une problématique de production, promotion, distribution et financement des productions culturelles avec des expériences comme Barcode Beats permettant à des jeunes de jouer de la musique dans les magasins en créant des rythmiques depuis n’importe quels codes-barres ou encore le Hip-Hop Bluetooth Bus (vidéo), transformant le bus en un média d’échange de musique.
- the Neigbourhood, sur deux autres quartier, envisageant la question multi-éthnique comme une ressource locale pour des services collaboratifs et la reconfiguration urbaine comme ce fut le cas avec le projet Parapolis (images), permettant aux gens de participer à la reconception d’un quartier de Malmö en le dessinant et dialoguant avec les architectes, ou encore les projets du quartier durable Hilda ou encore les Bokalers, des appartements du quartier populaire de Rosengärd auxquels ont été ajoutés des commerces de proximité.
Pelle explique encore que le Medea ne construit pas d’infrastructures sur laquelle les gens pourraient construire leurs propres services, mais a pour but d’aider les initiatives des quartiers à « s’infrastructurer » par eux-mêmes. Ce qui suppose d’être réactif, d’avoir des formats adaptables, d’être capable, selon les besoins, d’avoir des projets stables ou éphémères.
Image : Le Medea Lab à Malmö, par la 27e Région.
Impliquer les habitants
Le quartier d’Augustenborg à Malmö est un autre ensemble d’habitat collectif de petits immeubles de 3-4 étages né dans les années 40 (voir cette plaquette d’information en français .pdf). A l’époque cet ensemble d’habitats populaire a été conçu avec un système de chauffage collectif pour tous les immeubles, auquel on associa une grande laverie qui donna du travail aux femmes et une identité à la communauté. Mais avec le temps, comme c’est souvent le cas, les immeubles se sont dégradés, les habitants ont vieilli et le quartier s’est appauvri.
Image : Trevor Graham, le coordinateur de la reconstruction du quartier d’Augustenborg, montrant une image des femmes travaillant dans la laverie du quartier dans les années 40-50, par la 27e Région.
Dans les années 90, ce quartier est devenu l’un des pires de Suède avec l’un des plus forts taux de délinquance, de drogue et de pauvreté du pays. Fin des années 90, la rénovation s’imposa, mais comme l’explique Trevor Graham, l’urbaniste à l’origine de celle-ci, l’idée, dès le début, a été de créer un écoquartier et de chercher à recréer l’identité du quartier. Bien sûr, la laverie comme le système de chauffage avaient depuis longtemps disparu, mais les autorités ont très tôt décidé d’impliquer fortement les habitants dans la reconstruction : plans, modifications, tout leur a été soumis pour qu’ils discutent chaque proposition. Les urbanistes se sont appuyés sur les connaissances des habitants pour aider l’opération. L’eau par exemple était un problème : construit au niveau de la mer, mal drainé, les terrains de jeux étaient constamment inondés. L’idée a été d’en faire une force en créant des bassins artificiels, en utilisant le savoir-faire d’un ingénieur hydraulicien vivant dans le quartier pour créer des canalisations à ciel ouvert tout en imaginant un système pour éviter les stagnations de saletés, les filtrer avant qu’elles n’envahissent les bassins. Sur les immeubles rénovés ont a mis en place des toits verts avec des ruches, ainsi que des panneaux solaires permettant de diminuer l’impact écologique des bâtiments. La ville entière de Malmö s’en est inspirée pour transformer sa politique énergétique. Car si la rénovation d’Augustenborg est achevée, ce n’est pas le cas de la politique qui l’a initiée.
Le faible niveau d’habitants possédant des voitures a donné naissance à un système de partage de véhicules électriques. L’année dernière les premiers jardins communautaires se sont développés et sont en train de faire boule de neige, explique Lars, l’une des figures du quartier qui s’occupe d’un café associatif. « Il suffit parfois de planter quelques tomates pour transformer un quartier », s’amuse-t-il.
La communauté s’est également mobilisée pour occuper des espaces communs dans les sous-sols des immeubles inoccupés depuis les années 70 : les appartements étant petits, les habitants se sont mobilisés pour créer des salles de jeux communautaires pour les enfants, des espaces pour pratiquer le sport. Safija, immigrée suédoise d’origine bosniaque, est à l’origine de la création de son emploi par la ville. En constatant que les parents immigrés n’arrivaient pas à aller aux cours de Suédois du soir, car la garde des enfants était trop chère, elle a mis en place une solution de garde collective. Chaque soir elle s’occupe des enfants en les faisant travailler dans les jardins du quartier pendant que les parents sont au cours du soir.
Image : Les petits immeubles d’Augustenborg sous la pluie, par la 27e Région.
L’expérience d’Augustenborg se transmet et inspire d’autres quartiers de la ville. « Si nous n’impliquons pas les gens comme les enfants, comme Safija, nous ne réussirons pas le développement durable de notre société. »
Pour Trevor Graham, le coordinateur de la reconstruction de ce quartier, le design dans l’innovation sociale a pour objectif d’engager les gens et les autorités pour rendre les projets des gens possibles. « Il y a peu à comprendre dans l’organisation d’une ville pour la changer et rendre de nouveaux processus mâtures », défend-il. « Plus on fait de projets, plus on construit de la confiance et plus il est facile de développer d’autres projets. Entrer dans un quartier pareil était un challenge dont la confiance était la clef. Il fallait s’installer sur le long terme. » Pour la ville, il fallait accepter la participation et accepter de perdre du contrôle. Mais la perte de contrôle est la seule solution pour que les gens s’impliquent et s’approprient la chose publique.
Une mobilité pour la planète
Peut-on réduire l’empreinte écologique d’une ville en initiant une prise de conscience pour développer un nouveau modèle de mobilité urbain ? C’est la question à laquelle a cherché à répondre le projet européen One Planet Mobility (le rapport .pdf), mené par SDS, le WWF et l’université de Malmö. En matière de mobilité, les bonnes pratiques ne sont pas les plus courantes, au contraire. La complexité sociale et politique de nos systèmes politico-économiques impose le statu quo de la domination de la voiture. Peut-on essayer d’avoir une action réelle de réduction des émissions de CO² liés à l’usage de la voiture en ville ?
En 2050, nous devrons avoir réduit de 95 % nos émissions de carbones par rapport aux années 90. À court terme, il faut développer une communauté forte de nouvelles pratiques, explique Michael Naberhaus du WWF. La ville de Malmö, comme quelques autres villes européennes engagées dans ce programme (Fribourg, Barcelone, Sofia et Lille), a décidé de pousser des politiques volontaristes (restrictions de trafics, péages urbains, limitations de vitesse, diminution du nombre de voies disponibles pour les voitures et du nombre de places de parking) tout en renforçant les transports publics, les espaces pour marcher ou faire du vélo. La démarche là encore a été créative : pour générer une prise de conscience et des transformations de comportements, il est nécessaire d’impliquer les gens tout le long du processus et au-delà. Si la transformation commence par des décisions politiques, l’innovation sociale vient en appui pour imaginer des solutions créatives afin de basculer vers un changement culturel : « dé-accélération », faire une place au vélo jusque dans les statuts symboliques de la ville…
Le projet européen engagé dès 2007 jusqu’en 2012 a fait de Malmö sa ville pilote. Parmi les outils de mesure mis au point, l’un de ceux-ci permet de calculer les pressions environnementales de la consommation des gens selon leurs activités et leurs déplacements (Reap pour Resource and Energy Accounting Programme c’est-à-dire Programme de comptabilité des ressources et de l’énergie). Le succès du programme à Malmö a reposé surtout sur l’engagement de la ville à un haut niveau de décision, reconnaissent les porteurs du projet, notamment en se reliant aux usagers pour élargir l’échelle de l’engagement.
Engager les gens massivement dans le processus, tel a été justement le rôle de l’intervention de SDS, explique son fondateur, François Jégou, animateur de Sustainable Everyday et du réseau Desis spécialisé dans la conception sociale du développement durable. Son intervention dans le programme One Planet Mobility a consisté à faire élaborer des scénarios avec des étudiants et des habitants sur les sujets du transport public, du vélo, de l’accès… puis à demander aux autorités de les revisiter, de se les approprier pour imaginer des politiques et un programme de projets élaborés à partir de ceux-ci, via des méthodes créatives comme le montre la vidéo illustrant le processus mis en oeuvre (Malmö Design Ex.). La méthode, explique sont instigateur, a permis de reconnecter les politiciens aux utilisateurs. « L’idée n’était pas de prendre les projets d’habitants comme résultats, mais comme une étape pour atteindre un niveau programmatique, politique, organisationnel, un moyen pour s’inspirer des scénarios et reformuler les idées dans leur contexte politique ».
OPM Malmö Design Ex. March 2010 from Strategic Design Scenarios on Vimeo.
La plupart des microprojets d’innovation sociale s’épuisent et disparaissent reconnaît François Jégou. « Ce n’est pas le microprojet qui est important, mais le système, la stratégie. Il faut activer des microprojets non pas pour eux-mêmes, mais dans le but de créer un changement systémique », soutient le designer. Bien souvent, l’absence de stratégie ou de continuité nuit à la réussite du projet. Pour une prise de conscience durable, « l’important n’est pas la façon dont on active un projet isolé, mais de savoir quels sont les points qu’on active et leurs effets sur le corps urbain entier. »
Le développement durable est un levier pour agir et construire une société durable. A Malmö on constate une forte imbrication entre politiques publiques et implications des citoyens. D’ici 2020, les autorités ont décidé que Malmö serait autosuffisante énergétiquement. Il y a fort à parier que ce couplage leur permet d’y arriver.
La ville s’apprête à répliquer cette politique sur un autre quartier difficile. Là encore, assume Trevor Graham : « nous allons tout refaire en même temps, car ça coûte moins cher que de refaire par petits bouts et permet des transformations plus radicales. »
Hubert Guillaud