Le dernier numéro de la Boston Review est consacré entièrement à cette question : « La technologie peut-elle éliminer la pauvreté ? » Et force est de constater que la réponse n’est pas aussi évidente qu’on veut bien souvent nous la présenter. Tout le numéro est organisé autour de la remarquable contribution (lucide sur les espoirs déçus des tentatives de réduction de la fracture numérique par la technologie) de Kentaro Toyama (blog), professeur à l’école d’information de Berkeley, qui a fait récemment une intervention remarquée à TedX Tokyo et qui prépare un livre sur le développement.
Dans les années 2004, comme beaucoup, Kentaro Toyama s’est enthousiasmé pour les télécentres indiens, où depuis un ordinateur connecté, des enfants apprenaient – souvent avec un précepteur dédié pour un prix plus élevé que la scolarité dans une école privée à temps plein -, à utiliser un ordinateur quelques heures par mois dans une langue qu’il ne parlaient pas, comme il l’avait constaté à Retawadi, en Inde. A l’époque Kentaro Toyama était informaticien pour Microsoft Research chargé de lancer un laboratoire à Bangalore. Il était également au bureau de l’ICT4D (Information and Communication Technologies for Development), une association pour la promotion des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour le développement. A cette époque, l’ICT4D a fait la promotion des télécentres indiens, parrainés et financés par des organisations externes (ONG, universités, entreprises) dans le but d’accélérer la croissance socio-économique, avec des objectifs lucratifs et non lucratifs : le télécentre devait fournir des services sociaux à la communauté et des revenus pour l’entrepreneur local qui opérait le télécentre.
Les espoirs des années 2000 : la technologie, solution pour le développement ?
« Certains télécentres ont été couronnés de succès. Un opérateur dans le sud de l’Inde a expliqué avoir sauvé la culture du gombo en permettant à un agriculteur d’entrer en discussion avec un expert de l’université. Un autre se vantait d’avoir triplé ses revenus après l’ouverture d’un centre de formation informatique. A l’époque, les titres de la presse ont été flatteurs : « Les producteurs de soja de l’Inde rejoignent le village mondial » ; « Les villages numériques lancent un pont sur la fracture indienne » ; « Les fermiers Kenyans acclament internet comme le sauveur de la culture de la pomme de terre ». »
Vidéo : la prestation de Kentaro Toyama sur la scène de TedX Tokyo.
« Ces histoires ont suscité de grands espoirs pour les télécentres : l’enseignement à distance permettra à chaque enfant de devenir savant, la télémédecine pourra soigner les dysfonctionnements des systèmes de santé ruraux, les citoyens pourront développer des services locaux sans passer par des fonctionnaires corrompus… Ashok Jhunjhunwala, un membre du Conseil des sciences consultatif du premier ministre indien a même suggéré que les télécentres pourraient doubler les revenus dans les villages ruraux. L’agronome Monkombu Swaminathan, le père de la « Révolution verte » en Inde, a appelé à ce que se créé un télécentre dans chacun des 640 000 villages du pays. D’autres pays ont emboîté le pas, en lançant leurs propres programmes nationaux de télécentres. »
« L’excitation autour de télécentres s’est propagée au reste de l’ICT4D. Des personnalités à la fois la technologie et du développement ont attisé les flammes avec impatience. A l’époque, Nicholas Negroponte, fondateur du projet One Laptop Per Child (un ordinateur portable par enfant, OLPC), un projet d’ordinateurs portables bon marché pour les enfants pauvres, a élevé d’un cran les revendications : « Les enfants dans le monde en développement ont besoin des nouvelles technologies, spécialement de matériel robuste et de logiciels innovants. » Kofi Annan a publiquement soutenu le projet. Edward Friedman, directeur du Centre pour le management de la technologie pour le développement global, a écrit : « Il ya un besoin pressant d’employer la technologie d’information pour les soins de santé en milieu rural en Afrique subsaharienne. » Une enquête récente commandée par la BBC a révélé que 79 % des 28 000 adultes interrogés, provenant principalement des pays riches, étaient d’accord avec l’affirmation que « l’accès à l’internet devrait être un droit fondamental de tous les peuples ». »
En réalité, les succès ont été rares, fugaces, espacés…
Pourtant, reconnaît Kentaro Toyama, les succès de l’ICT4D sont rares, fugaces, et très espacés. A Retawadi, en Inde, le propriétaire du télécentre parvenait difficilement à se faire 20 dollars par mois de revenus, alors que les coûts de matériel, d’électricité, de connectivité et d’entretien se montaient au moins à 100 dollars.
« Sur une période de cinq ans, je me suis rendu dans près de 50 télécentres à travers l’Asie du Sud et en Afrique. La grande majorité ressemblait beaucoup à celui de Retawadi. Les opérateurs de télécentres ne pouvaient pas gagner leur vie et les services disponibles étaient dérisoires. La plupart ont connu le même sort que le télécentre de Retawadi : ils ont fermé peu de temps après leur ouverture. La recherche sur les télécentres, bien que limitée dans la rigueur et l’ampleur, confirme mes observations sur la sous-performance constante. »
« Les nouvelles technologies suscitent de l’optimisme et de l’exubérance qui sont souvent déçus par la réalité », explique Kentaro Toyama. Les observateurs universitaires ont montré pourquoi les initiatives de télécentres de l’ICT4D avaient échoué : le plus souvent, la conception n’est pas adaptée au contexte, elle ne se conforme pas aux normes socio-culturelles locales, elle a du mal à prendre en compte les carences du réseau électrique, à établir des relations avec les administrations locales, à offrir des services qui répondent aux besoins locaux, à réfléchir à un modèle d’affaires viable…
La pénétration de la technologie n’est pas le progrès : la technologie n’est qu’une loupe
L’ICT4D a mené des projets dans de nombreux domaines (éducation, microfinance, agriculture, santé) et avec différentes technologies (ordinateurs, téléphones mobiles, objets électroniques construits sur mesure…). « Dans chacun de nos projets, les effets d’une technologie sont complètement dépendants de l’intention et de la capacité des gens à la manipuler », estime Kentaro Toyama. Le succès des projets d’ordinateurs dans les écoles reposait sur l’appui d’administrateurs et d’enseignants dévoués. Le processus de microcrédit via téléphones mobiles a fonctionné grâce à des organisations de microfinance efficaces. Les projets de l’ICT4D qui ont eu le plus de succès, ce sont les organisations partenaires qui ont fait le travail difficile d’un véritable développement, l’ICT4D se contentant d’aider et soutenir leurs efforts.
« Si je devais résumer tout ce que j’ai appris via l’ICT4D, il serait le suivant : la technologie – peu importe sa conception, même si elle est brillante – magnifie les intentions et les capacités de l’homme. Elle n’est pas un substitut. Si vous avez une base de gens compétents et bien intentionnés, alors la technologie appropriée peut amplifier leur capacité et déboucher sur des réalisations étonnantes. » Dans les autres cas, la technologie ne sait pas renverser une situation difficile. L’arrivée d’internet dans les villages ne suffit pas à les transformer. « La technologie est une loupe parce que son impact est multiplicatif, mais en ce qui concerne le changement social, il ne s’additionne pas. Dans le monde développé, il y a une tendance à voir l’internet et d’autres technologies comme nécessairement additives, parce que les contributeurs y ajoutent une valeur positive. Mais leurs apports bénéfiques sont subordonnés à une capacité d’absorption des utilisateurs qui est souvent absente du monde en développement. La technologie a des effets positifs que dans la mesure où les gens sont prêts et capables de l’utiliser de manière positive. Le défi du développement international, c’est que, quel que soit le potentiel des communautés pauvres, la capacité à être bien intentionné est une denrée rare et la technologie ne peut pas rattraper ce déficit. »
La techno-utopie, qui consiste à croire que la diffusion à grande échelle des technologies conçues de manières appropriées peut apporter des solutions à la pauvreté et aux autres problèmes sociaux, a tendance à assimiler la pénétration de la technologie au progrès. OLPC par exemple, attaque Kentaro Toyama, promeut son ordinateur, en évoquant l’auto-apprentissage et fait peu de cas de la pédagogie, de la réalité du corps enseignant, des programmes ou des systèmes scolaires où il se déploie. « Le nom même de l’OLPC repose sur une large diffusion de la technologie, alors que peu d’entre nous choisiraient une éducation fondée sur l’ordinateur pour ses propres enfants ». Ce mythe du passage à l’échelle par la technologie est également la religion des promoteurs de télécentres, qui pensent que l’arrivée d’internet dans les villages va suffire à les transformer. Et le même mythe se poursuit aujourd’hui avec le téléphone mobile quand le New York Times titre : « le téléphone mobile peut-il mettre fin à la pauvreté dans le monde ? » en affirmant que « les possibilités offertes par la prolifération des téléphones mobiles sont potentiellement révolutionnaires ».
La techno-utopie est plus facile à croire
« Révolutionnaire ! Le mythe de l’échelle est séduisant, car il est plus accessible que de parler des changements dans les attitudes sociales et les capacités humaines. En d’autres termes, il est beaucoup moins douloureux d’acheter une centaine de milliers d’ordinateurs que de fournir une véritable éducation pour une centaine de milliers d’enfants. Il est plus facile de gérer une hotline de santé en messagerie texte que de convaincre les gens de faire bouillir l’eau avant de l’ingérer. Il est plus facile d’écrire une application qui aide les gens à savoir où ils peuvent acheter des médicaments que de les persuader que la médecine est bonne pour leur santé. Il semble évident que la promesse d’échelle est un leurre, mais leurs promoteurs s’appuient bien souvent sur cet argument – consciemment ou non – pour promouvoir leurs solutions. »
Les estimations de dépenses annuelles des technologies pour le développement sont difficiles à trouver, mais elles varient entre plus centaines de millions à plusieurs dizaines de milliards de dollars estime Kentaro Toyama. Le coût de développement de l’OLPC correspond à peu près à la moitié du budget que l’Inde consacre à l’éducation de ses élèves, une somme essentiellement consacrée aux salaires des enseignants. Quel sens peut pourtant avoir le cout d’un ordinateur alors que 0,5 $ par an et par élève pourrait servir à fournir des médicaments pour réduire l’incidence des parasites qui causent des maladies et augmenter la fréquentation scolaire de 25 % ?
Les promoteurs des technologies pour le développement ont tendance à faire pression pour le financement technologique. « Si l’OLPC prétend être un projet d’éducation, plus qu’un projet technologique, dans le même temps, il attend que des gouvernements dépensent 100 millions de dollars pour 1 million d’ordinateurs portables », rappelle Kentaro Toyama. Hamadoun Touré, secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications indiquait que « les gouvernements devraient considéré l’internet comme une infrastructure de base, comme les routes, le traitement des déchets ou l’adduction d’eau. » « Mais dans des conditions d’extrême pauvreté, les investissements pour fournir un large accès à l’internet entrent nécessairement en concurrence avec les dépenses en matière d’assainissement ou de transports », rappelle avec la force du bon sens Kentaro Toyama.
« Diffuser une technologie pourrait fonctionner en quelque sorte si la technologie fait plus pour les pauvres, peu scolarisés, qu’elle ne fait pour les riches bien éduqués et puissants. Mais c’est l’inverse qui se passe : la technologie aide les riches à s’enrichir en faisant peu pour les pauvres, creusant ainsi les écarts entre les nantis et les démunis. »
Pourquoi la technologie creuse-t-elle les écarts entre les riches et les pauvres ?
La technologie creuse l’écart entre riche et pauvre à cause de trois mécanismes, explique encore Kentaro Toyama :
- L’accès différentiel : la technologie est toujours plus accessible aux riches et aux puissants. Elle coûte de l’argent à acquérir, à exploiter, à entretenir et à mettre à niveau. Et cette fracture numérique persiste même lorsque la technologie est entièrement financée. Par exemple, la plupart des bibliothèques publiques des Etats-Unis offrent un accès gratuit à l’internet, mais les plus pauvres habitants ont moins de temps de loisir pour les visiter et plus de difficultés à les atteindre en raison des coûts de transports notamment, argumente-t-il. Sans compter les obstacles sociaux : bon nombre de télécentres ruraux dans le monde en développement ne sont pas accessibles aux personnes les moins privilégiées de leurs villages en raison d’injonctions sociales, de problèmes de castes, de tribus ou de genres.
Sans compter que le matériel a tendance à être conçu pour les plus riches : les logiciels et le contenu sont écrits pour les personnes avec le plus grand revenu disponible. Même lorsque les produits semblent être libres, comme les téléviseurs, ils sont souvent soutenus par des annonceurs qui cherchent des consommateurs avec un revenu disponible plus élevé. Le résultat est, à nouveau, que les défavorisés sont encore plus défavorisés. L’Inde a plus de vingt langues reconnues au niveau national, mais presque tous les logiciels en cours d’utilisation sont en anglais, ce qui rend difficile pour les personnes alphabétisées que dans leurs langues locales à utiliser les ordinateurs. Et cette inclination elle-même s’auto-renforce : « si une technologie n’est pas conçue pour une personne, elle ne l’achètera pas, et si elle ne l’achète pas, les producteurs ne développeront pas le design adapté ».
Il est possible de lutter contre cet accès différencié, estime pourtant Kentaro Toyama, comme le font les projets de télécentres en fait. « Mais pratiques progressistes à l’égard de la technologie ne sont pas particulièrement efficaces à elles seules en raison des écarts autres que la technologie ne peut pas annuler. A armes égales, elles n’abordent pas les problèmes sous-jacents, qui sont les inégalités entre les joueurs eux-mêmes ».
- Le différentiel social : même si l’accès différencié à la technologie pourrait être combattue en diffusant universellement la technologie, le différentiel des capacités en matière d’éducation, d’aptitudes sociales, ou de liens sociaux, lui, demeure. Avec une même technologie, selon ses études, sa confiance en-soi, ses liens sociaux, ses capacités organisationnelles… deux personnes ne tireront pas le même profit d’une même technologie. « Avec une capacité limitée en matière d’alphabétisation, d’éducation, de liens sociaux, d’influence politique, la valeur de la technologie est elle-même limitée ».
- Le différentiel d’usage : un troisième mécanisme contribue à l’élargissement de l’écart entre les privilégiés et les exclus. Celui de savoir ce que les gens veulent faire de la technologie à laquelle ils ont accès ? « Beaucoup d’entre nous ont été surpris de constater que les pauvres ne se précipitent pas pour trouver en ligne des ressources éducatives, acquérir des pratiques de santé ou mettre à niveau leurs compétences professionnelles. Au lieu de cela, ils utilisent principalement la technologie pour se divertir. Dans les télécentres beaucoup de gens deviennent compétents pour télécharger des vidéos sur YouTube, plus que pour utiliser un logiciel de comptabilité ou accéder à un cours de langue. Même dans le monde développé, la technologie profite d’abord au jeu et au divertissement. Et cette tendance est encore plus accentuée parmi ceux qui ont grandi avec une faible confiance en soi et la connaissance de leur impuissance.
« Je ne blâme pas les victimes. Aucun de ces trois mécanismes ne repose sur d’éventuels échecs de la part de ceux qui sont pauvres et non instruits. S’il faut distribuer des blâmes, ce serait plutôt aux circonstances historiques, aux structures sociales, et au refus des pays riches à investir dans une éducation universelle de haute qualité. En fait, une bonne raison pour valoriser l’éducation consiste dans le fait qu’elle génère le désir et la capacité d’utiliser des outils modernes – raison de plus pour pour se concentrer sur le développement des possibilités humaines, au lieu d’essayer de compenser les limites de celles-ci par la technologie. »
Quel progrès amène la technologie ?
L’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, le Japon et plusieurs autres régions économiquement bénies ont atteint leur statut de puissances économiques bien avant les technologies numériques. Leur production de pointe et la consommation des technologies de l’information peuvent être interprétées davantage comme un résultat du progrès économique que comme une cause primaire, estime Kentaro Toyama.
Les demandes antérieures de l’information et de la technologie des communications dans les pays en développement n’ont pas conduit directement au progrès socio-économique, comme le montre l’exemple de la télévision. La télévision a certes eu un impact positif : les économistes Robert Jensen et Emily Oster ont montré (.pdf) comment la télévision a permis de faire pénétrer les attitudes sociales urbaines évoluées auprès de femmes rurales indiennes. Une organisation à but non lucratif, le Population Media Center, applique explicitement ce principe dans le but d’influencer les taux de natalité et les pratiques de soins de santé dans les pays en développement en produisant des feuilletons comportant des messages sociaux positifs. C’est certes encourageant note Kentaro Toyama. Pourtant, l’impact de la télévision sur le développement s’est finalement révélé très loin des attentes.
Dans les années 60, Wilbur Schramm, le père des études sur la communication et le cofondateur du département de communication de Stanford, décrivait dans L’information et le développement national, les espoirs que la télévision représentait pour l’éducation et le développement. Force est pourtant de constater que ces espoirs ne se sont pas concrétisés. « Quel que soit le potentiel de la télévision, celle-ci n’a pas réussi à favoriser le développement à grande échelle quand bien même elle s’est répandue partout », que ce soit dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement.
« Mon but n’est pas de dire que la technologie est inutile. Dans la mesure où nous sommes disposés et aptes à développer la technologie à des fins positives, elle a un effet positif. Par exemple, Digital Green (DG), l’un des projets les plus réussis de l’ICT4D que j’ai supervisé à Microsoft Research, encourage l’usage de vidéos pour enseigner aux petits agriculteurs comment avoir de meilleures pratiques agricoles. Quand il s’agit de persuader les agriculteurs à adopter de bonnes pratiques, la DG est dix fois plus rentable que l’agriculture classique. »
« Mais la valeur d’une technologie reste contingente aux motivations et aux capacités des organisations cherchant à les utiliser » rappelle Kentaro Toyama : « les villageois doivent être organisés, les contenus doivent être produits et les enseignants doivent être formés ». Le facteur limitant dans la propagation de l’impact de DG par exemple ne repose pas sur le nombre de caméscopes que ses organisateurs peuvent acheter ou le nombre de vidéos qu’ils peuvent produire, mais sur combien de groupes initiaux ont des bonnes pratiques. Si les groupes initiaux sont peu nombreux, renforcer les capacités institutionnelles est le plus difficile. En d’autres termes, « la diffusion de la technologie est facile, mais entretenir les capacités humaines et les organisations qui ont permis ce bon usage est le point crucial ».
Après l’ordinateur, le mobile ?
« La technologie est seulement une loupe, pas seulement dans le cadre du développement d’ailleurs. Personne ne pense qu’on peut transformer une entreprise déficitaire simplement en injectant de nouveaux ordinateurs, mais les entreprises bien gérées peuvent bénéficier par exemple, de chaines d’approvisionnement informatisées. Un fusil dans de bonnes mains protège les citoyens et maintient la paix ; dans de mauvaises mains, il tue et opprime. La technologie industrielle moderne augmente notre capacité à produire, mais amplifie également notre désir de consommer. Sur une planète aux ressources limitées, ce dernier pourrait d’ailleurs signer notre ruine. L’histoire nous montre aussi que les technologies de la démocratie peuvent être facilement détournées en l’absence d’éducation des citoyens : si ceux-ci sont trop confiants, ou si ceux-ci ne sont pas prêts et aptes à mettre en oeuvre les contrôles et contrepouvoirs nécessaires. Les ordinateurs, les armes, les usines et la démocratie sont des outils puissants, mais les forces qui déterminent comment ils sont utilisés en fin de compte relèvent des êtres humains. »
Ce point semble pourtant évident, mais il est oublié dans la ruée vers le passage à l’échelle, estime Kentaro Toyama. Actuellement, la communauté du développement international vit une histoire d’amour avec le téléphone mobile. Les travaux de Robert Jensen et Jenny C. Aker démontrent que les téléphones mobiles peuvent éliminer certains types d’inefficacités d’information sur les marchés du monde en développement (voir par exemple : Les impacts de la téléphonie mobile sur le fonctionnement des marchés en Afrique subsaharienne (.pdf)). Encouragées par cette découverte et par la forte pénétration de la téléphonie mobile, les Fondations et institutions pour le développement ont formé des groupes de travail et encouragent le développement de services entiers consacrés au mobile. Dans ces cercles, il n’est plus possible de discuter de la microfinance ou de santé sans parler du mobile.
« La loupe technologique suggère cependant qu’il s’agit d’une vision unilatérale de la téléphonie mobile. Car ce ne sont pas seulement les intentions de production qui sont amplifiées par la téléphonie mobile. Quand un tireur de rickshaw qui gagne un dollar par jour paye son opérateur pour avoir le privilège de changer de sonnerie, a-t-il généré un avantage net pour lui-même ou pour la société ? » Kathleen Diga de l’université de KwaZulu Natal a observé que certains ménages en Ouganda donnaient la priorité au temps de conversation sur mobile plutôt qu’à la nutrition ou à l’achat d’eau propre (voir l’étude .pdf). La sociologue Jenna Burrell constatée que les téléphones mobiles exacerbent les relations de domination entre les sexes : les hommes se servant des téléphones mobiles comme des outils d’échange sexuel.
Alors que le téléphone mobile est devenu la technologie électronique la plus répandue, devant la télévision et la radio avec 4,5 milliards de comptes actifs touchant 80 % de la population mondiale, on pourrait croire que ces chiffrent indiquent qu’il n’y a plus de fracture numérique pour la communication temps réel. Pourtant, les études montrent que les non-usagers sont d’abord des pauvres, isolés, des femmes et des gens « politiquement muets », conclut Kentaro Toyama. « Quoiqu’il en soit, si la propagation des téléphones mobiles est suffisante pour abolir la pauvreté, nous n’allons pas tarder à la savoir », ironise le chercheur. « Mais si elle ne l’est pas, devrons-nous alors à nouveau reporter nos espoirs sur le prochain gadget flambant neuf que nous proposerons au monde en développement ? »
(à suivre)
Hubert Guillaud
Sur ce sujet voir également :
- Les limites des donnes intentions : le design social n’est pas si simple
- Est-ce que la technologie sauvera le monde ?
- Mythes et réalités des usages mobiles dans les pays en développement (1/3) : le mobile n’est pas l’internet
- Mythes et réalités des usages mobiles dans les pays en développement (2/3) : l’essor du mobile n’a pas fait disparaître les disparités sociales
- Mythes et réalités des usages mobiles dans les pays en développement (3/3) : mesurer l’efficacité des programmes utilisant les technologies mobiles
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Merci Hubert pour cet article très intéressant et très bien documenté (comme d’hab !).
Le bilan que Kentaro Toyama tire de son expérience est très riche d’enseignements pour toutes les personnes qui s’intéressent aux relations entre innovation technologique et innovation sociale et aux problématiques d’appropriation des technologies dans une perspective d’inclusion.
J’ai eu l’occasion de rencontrer il y a 4 ans au Pérou une ONG (ITDG – Soluciones practicas – http://www.solucionespracticas.org.pe/) qui travaillait avec les paysans des Andes sur des principes intéressants.
Le directeur, le sociologue Miguel Saravia a théorisé et synthétisé leur principe d’intervention dans un article « Les TIC, une réponse à la pauvreté ? ».
En voici un extrait :
« Affronter la pauvreté digitale implique assurément de mettre l’accent sur le développement humain et sur le renforcement institutionnel local car il y a des conditions préalables qui rendent possible que les TIC deviennent des éléments clés du processus de développement et de la lutte contre la pauvreté : un environnement démocratique, des mécanismes de participation citoyenne renforcée, des niveaux adéquats d’éducation et d’accès à la santé ; l’existence d’une culture de paix et de responsabilité sociale sont aussi indispensables. Ricard Gomez l’explique avec une grande clarté : « les TIC ne sont pas une formule magique qui transforme le cuivre en or ni les zéros et les uns en démocratie, en participation et en développement. Les programmes de TIC pour le développement doivent utiliser le potentiel d’environnements propices ». »
L’article complet se trouve ici : http://www.creatif-public.net/article406.html
C’est assez touchant de voir comment peu à peu les « grands penseurs » de la Fing découvrent qu’Internet ne va pas tout régler !
Il y a dans cet article que des choses vues et sues par les gens qui voyagent un peu ailleurs que dans la Silicon Valley ou dans les blogs des université américaines.
C’est bien que la Fing commencent à essayer de mieux comprendre le monde.
En Inde, les nouvelles technologies ne concernent que 2 millions d’actifs . Les indiens sont 1,3 milliards !!! L’explosion des nouvelles technos n’a pas empêcher une croissance très forte de la pauvreté ces dernières années et surtout des inégalités sociales
demain nous serons 9 milliards
2 milliards de riches
2 milliards qui aspireront à l’être
5 milliards de pauvres et de très pauvres
et ce n’est pas internet ni le mobile qui les nourrira, étanchera leur soif ni ne les fera vivre dans de l’habitat décent.
@François Bellanger : j’ai bien peur que nous en soyons persuadés depuis longtemps 😉 Vous pouvez vous plonger dans nos (vieux) éditos par exemple…
@Philippe Cazeneuve : Merci pour la référence, j’aime beaucoup : « les TIC ne sont pas une formule magique qui transforme le cuivre en or ni les 0 et les 1 en démocratie ».
Bonjour
… peut-être … mais toute la doxa de la Fing est quand même de faire croire que l’internet va tout régler, et tout le discours de Kaplan va dans ce sens là
J’ai d’ailleurs toujours été étonné qu’après les vieux 2.0, la ville 2.0, vous nous sortiez pas les pauvres 2.0 ;-))
Ceci dit, si votre papier est le début d’un vrai virage de la Fing dans vos façons de voir et penser le monde de demain et ses vrais enjeux, alors tant mieux ;-))
Très cordialement
François BELLANGER
http://transit-city.blogspot.com/search/label/Pauvreté
@François Bellanger. Absolument pas. La Doxa de la Fing est de croire que la technologie est un prétexte, un levier, pour la transformation de la société.
Quant au discours de Daniel Kaplan, il est loin d’aller dans ce sens là comme par exemple Désordinateurs ou Penser l’internet dans 10 ans.
Merci pour votre réponse pleine d’humour !!!
François Bellanger a tort : les inégalités se sont accentuées, oui, mais entre les 2 extrêmes d’une part ; d’autre part, la pauvreté a reculé ces dernières décennies comme jamais.
(Allez on peut encore se chicaner des heures sur la façon de calculer…)
Moi qui suis membre de la Fing (heu –jeune membre intimidé par toute cette science !) je n’aurais jamais rejoint une boutique telle que vous la décrivez ! Et je n’ai pas ressenti de « virage » récemment.
@François, humour partagé, je suppose. Je me demande en effet où tu as pu lire sous ma plume que l’internet allait tout régler. Ce que je dis souvent, c’est que c’est la « nouvelle frontière » du moment. Il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres. Les conquérants des nouvelles frontières créent des mondes, mais font aussi du mal, parfois beaucoup.
Le sujet de la Fing, c’est l’interaction entre les percées technologiques, l’innovation et les transformations sociales. Résume-t-il tous les problèmes du monde ? Non. S’agit-il d’un sujet majeur, qui opère, outille, stimule des transformations dans de nombreux domaines de la société et de l’économie ? Nous pensons que oui ? Aide-t-il à penser autrement certains vieux sujets comme certains défis émergents ? Nous le pensons aussi. Et nous le pensons, je crois (ou croyais, jusqu’à te lire), d’une manière critique.
Au fond, je comprends mal l’intérêt de l’opposition que tu semble faire entre des « vrais » problèmes qui ne seraient en rien liés aux dynamiques et aux pratiques appuyées sur les technologies, et des problèmes de riches enfants gâtés qui ne sauraient voir que ça. Tiens, prenons l’Inde. Va dire à Sam Pitroda, qui concluait à Lift 2010 un tour des acteurs français des technologies, que les nouvelles technologies ne sont pas un sujet pour son pays. Ou aux 81 millions d’internautes (source UIT) et aux 670 millions d’utilisateurs de téléphones portables (source TRAI), qui s’en servent pour bien d’autres choses que pour téléphoner. Par hasard, ces outils ne peuvent-ils pas contribuer au développement économique ? A la création d’activités ? A l’organisation au niveau le plus local ? Pourtant, les exemples abondent, en Inde et ailleurs. L’équipement numérique rend-il magiquement les gens heureux, égaux, riches ? Non. Qui le prétend ? Pas moi, en tout cas. Y a-t-il des rapports de force, parfois violents, derrière les transformations que facilitent les réseaux ? Qui l’ignore ?
En fait, tu me pardonneras, mais caricature pour caricature, quand je lis « ce n’est pas internet ni le mobile qui les nourrira, étanchera leur soif ni ne les fera vivre dans de l’habitat décent », je lis beaucoup de condescendance, presque coloniale. or je suis sûr que tu ne raisonnes pas comme cela, en fait. Mais l’opposition factice que tu sembles avoir besoin d’affirmer vis-à-vis d’une représentation fantasmatique de nos positions t’oblige à te caricaturer toi-même. Je le regrette vraiment, d’autant que je lis toujours tes productions avec intérêt, parfois avec admiration.
Cet article a été repris par LeMonde.fr.
houlà, tout le monde me tombe dessus ;-))
mais en même temps je l’ai cherché en tenant un discours un peu goguenard et discordant par rapport à la Fing qui – c’est vrai – n’a pas trop l’habitude d’être questionnée, surtout sur son site, lu essentiellement par des afficionados.
Alors reprenons les choses calmement – et sans trop d’humour.
d’abord sur des choses importantes
Non la pauvreté n’a pas diminué au niveau mondial et ne va pas diminué, les chiffres sont là. l’essentielle de la diminution de la pauvreté est lié à la baisse de la pauvreté en Chine, mais globalement le monde n’a jamais compté autant de pauvre. Même le gouvernement indien a reconnu en avril dernier que la pauvreté avait augmenté de plus de 100 millions de personnes cette dernière décennie.
La croissance actuelle est fortement inégalitaire et ce partout dans le monde, et le nombre de pauvres atteindra le 5 milliards en 2050.
Je ne vais pas citer ici toutes les études, mais les faits sont là, et la crise de 2008 a accélérer encore les choses !!!! Les tableaux qui sont sortis récemment sur la pauvreté à l’occasion du sommet de l’ONU datés pour beaucoup d’avant 2005 ou – c’est vrai – on a pu croire à cette période que le nombre de pauvre allait baisser !
En Inde – mais c’est vrai dans d’autres pays – le pourcentage de pauvres peut baisser, mais comme la population augmente, le nombre de pauvres augmentent lui aussi
Concernant Internet, je maintiens que le discours dominant de la Fing est très technophile et que celle-ci a largement contribué à véhiculer le discours qu’internet aller régler beaucoup de problèmes. Et je maintiens que sur un certain nombre de sujets j’ai entendu plusieurs d’entre vous – dont toi, Daniel sur la ville et la mobilité – faire des interventions dont la dominante était dans cette veine.
Cela n’enlève rien à la pertinence de vos analyses sur de nombreux sujets.
Et c’est donc avec grand plaisir que je vois que certaines des illusions que vous avez contribué à véhiculer sont aujourd’hui largement remises en cause, d’où mon commentaire sur cet article.
Voilà ;-)))
oups désolé pour les fautes, le texte est parti sans que je me relise :-((
Remarques :
—- apporter des conclusions définitives en 2010 sur ce qu’internet a comme effet sur la pauvreté ou la démocratie ou quoi que ce soit revient à apporter une conclusion définitive en l’an 15 du néolithique concernant les effets de la sédentarisation de l’agriculture etc ; autant dire que c’est absurde.
—- cet article met bien le doigt sur l’importance du contexte d’appropriation des technologies : organisations, individus. Donner une connexion internet à Albanel Finkielkraut ou un consommateur de Tf1 n’est pas la même chose que la donner à Toyama Quéau ou Guillaut, si vous voyez ce que je veux dire.
—- Ceci rejoint donc le projet éducatif et le projet politique. Noter que dans le contexte général actuel, où la finance dicte sa loi, ces deux projets ci-dessus ne peuvent évidemment mener à une lutte contre la pauvreté ou une éducation générale voire citoyenne. Le fait que l’Unesco qui fut dans les années 80/90 à la pointe des initiatives et des analyses concernant le Net a été écarté est un signe de la mauvaise orientation des choses, non irrémédiable, mais inquiétante car Internet est à mon avis je le répète l’arme privilégiée de ceux qui veulent une autre société.
—- Enfin, ne pas oublier que Internet qui repose sur une technologie n’est pas une technologie, mais un paradigme social/organisationnel de rupture. Là est l’espoir, car c’est déstabilisateur, créateur, et structurant.
tres interessant tout cela merci internet actu
Merci pour cet article très intéressant et pour la conférence TED qui nous change des habituelles niaiseries. Et qui rappelle beaucoup de choses. Par exemple, une fameuse stratégie commerciale: je perds sur chaque vente, mais je me rattrape sur la quantité ! Comment non plus ne pas penser aux analyses roboratives d’Esther Duflo.
Je ne sais pas pourquoi, l’article me fait aussi penser à la réunion parents-professeurs lorsque mon fils est entré en 6e. Un parent a posé une question sur le poids du cartable. Les professeurs ont répondu: vous avez raison, nous allons réfléchir pour trouver une solution (ils ont même fait quelques propositions de bon sens). A ce moment-là, un autre parent a dit: l’an passé, à cette même date, la même demande vous a sans doute été faite. Et vous avez sans doute répondu de la même façon. Il vaudrait donc mieux que vous nous disiez pourquoi vous n’avez rien fait pendant cette année et qu’est-ce qui vous en a empêché. Ce serait plus intéressant. Ils n’ont pas su répondre autre chose que, vous avez raison, on va réfléchir, et on est passé à autre chose.
Lorsque le MIT a fait cette proposition d’ensevelir des écoles sous des ordinateurs portables bon marché, beaucoup de personnes se sont interrogées sur le sens d’une telle initiative. Et beaucoup auraient pu, sans trop de risque, dire comment les choses allaient se terminer. Souligner par exemple que tous ces gens poursuivaient des buts qui ne coïncidaient pas vraiment avec ceux de l’éducation dans les pays visés. Mais personne n’a vraiment osé argumenter, s’engager dans le combat. C’est difficile de s’opposer à des actions puissantes, mobilisatrices, portées par des dominants très déterminés. On se fait des ennemis et chacun a toujours mieux à faire.
Comment pourrait-on éviter que, chaque année, vous reveniez avec un nouveau recensement des illuminations technos de l’année? Pas facile sans doute…
@François BELLANGER
Vous avez le droit de critiquer, mais essayez d’être constructif et surtout logique.
Vous croyez vraiment qu’internet va tout révolutionner?
Bien sûr que non!
Donc, jamais je ne croirai que l’internetactu ou la fing va prétendre que la fracture va se restreindre si vite…
Lisez l’internetactu plus souvent et vous vous en rendrez compte par vous même.
@internet actu.
Toujours un excellent article comme toujours.
Pour illustrer mes remarques je dirais que si une femme de ménage (exemple un peu extrême) arrive crevée chez elle, même si elle voulait internet elle aurait du mal à s’y mettre si elle n’a pas les compétences requises car il faudra apprendre un minimum de choses.
Or elle n’aura ni le temps ni la force nécessaire.
C’est déjà une sérieuse fracture en soi.
Ajoutons à cela qu’elle se retrouve un beau matin au chômage.
De plus en plus souvent dans le pôle emploi il y a des ordinateurs réservés à l’usage des usagers. Comment va-t’elle s’en servir?
Vous me direz: elle n’a qu’à demander…
Psychologiquement elle n’osera pas…
(Vous connaissez beaucoup de personnes qui osent vous dire qu’ils ne savent pas lire ? (un formulaire venant de l’administration est particulièrement compliqué) C’est le même état d’esprit)
etc.
Cet exemple qui se veut EXTREME vous donne une idée de la problèmatique.
Soyons encore plus pragmatique:
Elle n’est pas au chômage mais sincèrement peut-elle payer internet?
Un pain de campagne coûtait 1 Franc environ dans les années 80 me disait ma mère. Maintenant, c’est environ 1 euro. Six fois plus.
Le SMIC est-il six fois plus élevé pour autant depuis?
Allez on va dire que ma mère déraille: 2 FRF (80) 0,50 euro (2010).
Le SMIC a quadruplé?
La pauvreté baisse dans le monde dit-on. Est-ce important? Non, car c’est l’écart de la pauvreté qui donne une meilleure idée de la société dans laquelle on vit.
Or, cet écart s’agrandi de plus en plus partout.
Les resto du coeur affirment que le nombre de « demandeurs » augmente chaque année…
Pour paraphraser, je dirais que le nombre de déconnectés augmente chaque année…
Aussi bien les déconnectés d’internet que de la vie sociale et bien sûr de la vie réelle…
Petite réflexion:
il paraît que de plus en plus de journaux en ligne commencent à fermer l’accès à leurs infos (ils l’envisagent très sérieusement): ils veulent que nous payons pour pouvoir en bénéficier.
Une bonne information est nécessaire pour une bonne culture générale.
Si la pauvre femme de ménage n’a pas un minimum de culture générale, croyons-nous vraiment que le patron aura envie de la prendre (ou de la garder)?
Pour le futur:
J’ai vu à la télé le patron de Nestlé qui a fait remarquer que l’eau doit être un bien consommable comme un autre.
Tout sera donc monnaiable…
J’imagine devoir payer le droit de boire l’eau d’une rivière poluée…
A lire:
On m’a dit du bien du livre d’une certaine Aubenas (une journaliste de France 3).
Je n’ai pas les moyens de l’acheter mais je suggèrerais à tout un chacun de le lire.
@Serge : il me semble que l’exemple de l’école que vous prenez est assez différent, car il pose la question de nos inactions, de ce qui pratiquement ou cognitivement nous empêche d’agir. Alors que, quand bien même beaucoup se seraient élevés contre l’OLPC, il n’est pas sûr que cela aurait eu beaucoup d’effets, face à une machinerie logistique déjà prête à fonctionner…
Enfin, le bilan de l’OLPC est certainement plus mesuré que le rejet auquel le réduit Kentaro Toyama (c’est ce qu’on va essayer de voir dans la suite de l’article).
Entre deux mythifications, entre puissance et impuissance, on ne peut dénier que notamment le téléphone portable, qui permettra de plus en plus aux habitants des BRIC d’accéder à Internet, rend de précieux services d’économie de temps, de trajets et d’accès à l’information aux habitants des pays en développement. Notamment en matière de santé. De tout ceci, j’en parle dans Mythologie du portable, ed. Le Cavalier Bleu et sur http://www.mobactu.fr.
et pour conclure, la focalisation sur la technologie pour le coup rend aveugle car ce sont les acteurs et leurs alliances et les pays où se déploient les projets de développement par les technologies digitales notamment le mobile, qu’il est intéressant d’observer…cela dit tout des habits neufs du capitalisme mondialisé…à suivre
Ce qui se trame, car il faut bien employer le mot, dans le cadre des débats sur la neutralité du net, et qui tend à établir un fork entre internet fixe et internet mobile, est préoccupant.
Et cela aurait d’ailleurs des probables conséquences sur la capacité du net à contribuer aux réductions des inégalités, ou à la lutte contre la pauvreté.
J’ai été surpris de vous voir simplement traduire cet article de Toyama sans vraiment le critiquer. (Petite remarque en passant: il n’est pas professeur à Berkeley, mais y occupe une position de ‘visiting researcher’. Et le fait qu’il ait donné une conférence à Ted-Tokyo ne rend pas son contenu remarquable). J’attends donc avec impatience la deuxième partie de votre article qui, j’espère, sera plus équilibrée.
La question de départ est de savoir si cela peut aider ou non les pauvres de la planète de leur fournir des ordis ou téléphones portables à bas prix. On peut être tenté de répondre que oui, en notant que les pays qui ont le plus été soumis à l’influence de ces technologies sont ceux qui ont le mieux progressé par rapport aux principaux indicateurs de développement
(pas seulement le PIB, mais aussi l’accès à l’éducation, à la santé etc). Toyama pense que non et c’est son droit, mais ses arguments sont quand même très faibles. Par exemple:
– « la technologie n’a pas diminué la pauvreté dans les pays riches, donc elle ne la diminuera pas dans les pays pauvres ».
L’impact qu’on attend des technologies en question se situe au niveau de l’accès à l’éducation, aux services bancaires et aux informations sur les prix du marché. Le point de départ n’est pas du tout le même ici et là
– « il faut s’assurer que les enfants aient des chaussures aux pieds, de la nourriture dans le ventre et des toilettes dans les écoles avant de leur distribuer des ordis ou des téléphones portables ».
C’est justement ça la question: est-ce que les ordis et les téléphones sont, un peu comme du caviar, un luxe inutile? Si c’est un argument, il me semble bien circulaire (‘begging the question’).
– « La technologie magnifie les intentions et les capacités de l’homme. Or les pauvres de la planète n’ont pas de bonnes intentions ni les capacités nécessaires pour absorber ces technologies efficacement. (La preuve? Donnez leur Internet, ils regarderont du porno. Demandez leur de se servir de leur carnet d’adresses mail pour lever des fonds, ils ne le feront pas aussi bien que vous). »
Que de condescendance…
@François Dongier : il est important que les gens aient accès à la source d’abord, les critiques (mais aussi les apports) viendront après. Sur les 4 points que vous soulignez vous avez me semble-t-il plutôt raison. A quelques remarques près.
Le plus souvent la technologie n’adresse pas la pauvreté, que ce soit dans les pays riches encore plus que dans les pays pauvres. C’est rarement sa finalité.
L’argument du luxe n’est pas nécessairement circulaire non plus. Toyama explique qu’on peut toujours mettre des machines, si on n’a pas répondu à des besoins plus primaires (de l’éducation par exemple), les machines ne feront pas tout toutes seules. Cela ne veut pas dire que c’est un luxe inutile, du tout. Mais cela signifie aussi qu’il faut prendre en compte d’autres éléments.
Sur les intentions, c’est une vision très moralisatrice et condescendante, oui. Pourtant, on constate bien des usages très différents selon le milieu social, le niveau de revenu, le niveau d’éducation. Même chez nous, dans les pays développés. On peut se masque les yeux bien sûr. Cela signifie quand même que les solutions technologiques ne sont pas magiques. Comme je le dis souvent ailleurs : le livre numérique ne fait pas lire ceux qui ne lisent pas. Il rempli d’énormes services aux gros lecteurs. Mais il ne s’adresse pas vraiment aux autres.
heu –« n’adresse pas la pauvreté » : je suppose que c’est un anglicisme mal maîtrisé ? 🙂 De fait, les pauvres sont la cible directe de certaines applications, comme les services financiers sur mobile ; et, de fait, ces applis sont beaucoup plus développées dans certains des pays du Sud que chez nous. Mais uniquement parce que ça sert l’intérêt des grandes compagnies : abaisser drastiquement les coûts de transaction pour « donner » accès à ces services… qui seront très rentables à terme pour les compagnies en question.
A ces conditions, ils apprennent très vite, « les pauvres ». Il manque juste un peu d’accompagnement social des technos et de critères du bien public, sinon ils se feront bouffer –comme en inde par exemple avec la nouvelle génération des Loan Sharks qui osent se nommer « microfinance » !
Merci pour cet article complet et de qualité.
Je vous invite aussi à consulter l’article « Netbooks, au-delà des enjeux du marché » sur Locita.com: http://fr.locita.com/actualite/netbooks-au-dela-des-enjeux-du-marche/
Continuons à croire en l’intelligence de l’Homme (l’innovation technologique) pour combattre son propre égoïsme (la pauvreté dans le monde)!
A monsieur Benoit Granger qui écrit – avec un sens de la nuance qui l’honore » – François Bellanger a tort, la pauvreté a reculé ces dernières décennies comme jamais. » (voir supra), je voudrais juste l’inciter à lire
« Le nombre de pays très pauvres a doublé en quarante ans » article publié dans le monde d’aujourd’hui (voir là : http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/26/le-nombre-de-pays-tres-pauvres-a-double-en-quarante-ans_1445160_3210.html#xtor=EPR-32280229-%5BNL_Titresdujour%5D-20101126-%5Bzoneb%5D )
» Le rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) est sans ambiguïté : le nombre de pays très pauvres a doublé ces quarante dernières années. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a suivi la même évolution en seulement trente ans. »
Et oui c’est cela le monde d’aujourd’hui et pas les belles fariboles sur la baisse de la pauvreté.
Désolé de sortir ce monsieur Benoit Granger de ses douces illusions et de ses fausses certitudes
Bon week-end ;-)))
Bonjour
J’aurai tendance à penser que nous assistons à un débat de « riches » qui parlent des « pauvres » (l’emploi des mots à toujours un sens, et ce sont ces mots qui peuplent textes)).
Quand je regarde l’initiative française « Sankoré » ‘http://www.sankore.com » en ligne depuis le 25 novembre, j’ai envie de poursuivre le procès. Le progrès technologique sert avant tout, actuellement, les rapports de force entre les pays autour de la richesse de ce monde. Relisons Jacques Ellul, même si sa vision est critiquable, son questionnement est nécessaire en amont de la richesse et de la pauvreté.
Il y va du sens de l’humanité de savoir quelle est la portée du progrès de manière globale. La dérive technologique dans laquelle nous sommes emportés ne doit pas nous aveugler face à ces enjeux.
L’intérêt de ce débat est qu’il doit nous permettre de passer de la valeur des actions au sens des actions. Il me semble que les débats ci-dessus ne vont pas dans ce sens.
Bonjour,
Je vous attrape au vol car je suis tombé là dessus ce matin, en rapport à ce triste programme Chatel, et je vous lirai bien sur ce sujet.
http://www.marianne2.fr/Numerique-a-l-ecole-pourquoi-faire-appel-au-prive_a200073.html
@Bruno: La critique qui a été faite de la technologie (de Marx à Ellul et Illich) comme tyrannie, moyen d’aliénation, d’oppression, etc., freine certainement la poussée de technologie vers les pays en développement:: on hésite en se disant que leur fournir de la technologie équivaut à faire de la propagande pour nos propres intérêts artificiels (la fameuse « efficacité ») qui n’ont rien à voir avec leurs aspirations réelles. La technologie apparaît donc comme quelque chose dont il faut avant tout se méfier. Je me demande si ce genre de scepticisme n’est pas dangereux, dans la mesure où il ne se préoccupe pas du tout de la question – empirique – de savoir si, oui on non, les technologies en question peuvent aider certains pays à sortir plus vite de la pauvreté. Et si oui, dans quelles conditions.
Toyama nous dit que sa propre expérience le porte à croire que ça ne sert à rien de pousser de la technologie tant qu’on ne se sera pas occupé de mettre en place des mécanismes de contrôle des « intentions » des bénéficiaires et de renforcement de leurs « capacités ». Negroponte pense que les résultats actuels d’OLPC montrent qu’il faut d’abord pousser, et que l’organisation suivra. Ellul, lui, nous dit: « Attention! la technologie et le progrès sont des menaces à la liberté. » Je ne suis pas sûr que ça ajoute grand chose d’utile au débat: c’est bien de recadrer, mais là on recadre peut-être un peu trop haut.
Quelques questions bien prosaïques :
1° Ne s’agit-il pas, pour certains et avant tout, d’utiliser cette intention « humanitaire » pour controller économiquement et donc politiquement une majorité de ces pays pauvres qui, à l’évidence, se heurtent à d’autres priorités quand on mesure l’extrème fragilité de ce type de matériel et son obsolescence habilement programmée?
2° Mesure-t-on, pour les populations les plus pauvres, l’importance de la relative autonomie que la tradition ancestrale leur a donnée et que cette technologie risque de balayer alors que leurs conditions de vie matérielle stagneront encore longtemps?
3° Enfin, la confrontation visuelle entre l’opulence de nos sociétés et la précarité de ces populations n’est-elle pas souvent la cause d’un refus de leur condition menant à une émigration particulièrement suicidaire?