Technologies et prostitution

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article paru dans le numéro de février du magazine américain Wired. On le doit à Sudir Venkatesh, professeur de sociologie de l’université de Columbia, New York. Et l’article s’intitule : « Comment les technologies ont transformé la prostitution à New York ? ». Si cette question rejoint les questions qu’on se pose aujourd’hui, c’est parce qu’il en va d’abord de « la forme d’une ville », comme dirait Baudelaire.

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Image : Evolution de la prostitution à New York entre 1991 et 2010 via Wired.

Venkatesh raconte dans son papier qu’il a commencé par s’intéresser aux effets qu’avaient sur la prostitution les efforts qui étaient fournis par les autorités locales pour ramener dans le centre de la ville les classes moyennes aisées, qui l’avaient largement désertée depuis des décennies. C’était en 1999. Sa question était : qu’advient-il des prostituées quand la gentrification les empêche de travailler dans la rue ? Son hypothèse était que la prostitution n’allait pas disparaître, mais qu’elle allait se transformer, et qu’il allait documenter l’apparition d’un nouveau marché du sexe en intérieur, dans lequel les filles des rues allaient laisser place à des professionnelles.

De fait, Venkatesh raconte avoir assisté à une transformation de la prostitution. Les prostituées de la rue ont laissé la place à des escort girls ou des hôtesses de salon de massage. Cela a eu pour effet de rendre le sexe tarifé plus cher, mais aussi, écrit-il avec quelques précautions, de le rendre plus respectable.

Et, ajoute Venkatesh, la technologie a joué un rôle fondamental dans ce changement. Aucun bourgeois respectable ne va trouver une fille en baissant la fenêtre de sa voiture et en la sifflant à un feu rouge. L’internet et les téléphones mobiles ont permis à ces travailleuses du sexe de professionnaliser leur pratique. Aujourd’hui, explique Venkatesh, elles peuvent contrôler leur image, fixer leurs prix, et éliminer les maquereaux, maquerelles et autres intermédiaires avec lesquels elles partageaient jadis leurs revenus. Mais, tout aussi intéressante, cette évolution a changé la provenance sociologique de ces prostitués du centre de New York. A mesure que le métier est devenu moins risqué et plus lucratif, explique encore Venkatesh, il a attiré des femmes de la classe moyenne à la recherche d’argent rapidement acquis et non imposable.

Avant de proposer quelques chiffres montrant comment cette nouvelle prostitution se distingue de l’ancienne, Venkatesh garantit le sérieux de sa méthode et tempère les bouleversements : « [mes travaux], prévient-il, montrent aussi que certaines choses n’ont pas changé : même si elles ne travaillent plus dans la rue, ces femmes le cachent à leur famille et subissent des viols. »

Dans les détails de cette étude, et en ce qui concerne particulièrement les technologies, on relève quelques faits intéressants.

Sur la manière dont les prostituées trouvent leur client, l’évolution est très nette, même dans les toutes dernières années. En 2003, 40 % des clients leur venaient des agences d’escorts. Ces agences, si elles sont prisées des hommes, parce qu’elles les rassurent et qu’elles leur fournissent de faux reçus qui permettent de justifier la dépense, ne sont pas appréciées des prostituées parce qu’elles prélèvent une part de leur revenu, c’est évident, mais aussi parce qu’elles ne garantissent pas pour autant plus de sécurité. Donc, si en 2003, 40 % des clients provenaient des agences, cette part est tombée à 31 % en 2008. En 2003, les clubs de strip-tease apportaient un quart des clients, 5 ans plus tard, ce chiffre est tombé à 10 %. Et cette baisse concerne toutes les autres sources : les relations personnelles, les bars, les clubs, etc.

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Au profit de quoi, vous demandez-vous ? Eh bien de Facebook ! N’existant pas en 2003, Facebook représente, en 2008, un quart de l’apport en client. 83 % des prostituées interrogées par Venkatesh en 2008 ont un profil Facebook. Ce qui lui laisse penser que d’ici la fin 2011, Facebook deviendra la première source de recrutement de clients.

L’étude du sociologue de Columbia montre aussi que le web permet de contourner certaines difficultés du métier. Par exemple cette question des agences dont j’ai parlé plus haut. Comme les agences d’escorts rassurent les clients, beaucoup de prostituées créent sur l’internet une fausse agence avec des photos récupérées à droite et à gauche et y intègrent leur profil. Elles donnent l’impression au client d’appartenir à une structure, ça le rassure.

Ensuite, les technologies, ce sont aussi des objets et elles ont leur part dans le côté pratique du métier. Par exemple, les prostituées interrogées expliquent à Venkatesh qu’elles ont toujours deux téléphones mobiles sur elles. Il leur arrive souvent de s’en faire voler par un client qui cherche ainsi à affirmer son pouvoir et sa volonté de contrôle. Mais, sur aucun des deux téléphones, elles ne laissent la trace d’un contact. Ils doivent être vierges de toute information.

Autre détail intéressant : quel type de téléphone ces nouvelles prostituées ont-elles sur elles ? Le iPhone ne remporte que 20 % des parts de marché. La grande majorité, 70 %, ce sont des Blackberries. Comment expliquer cette domination du Blackberry dans la population des prostituées du centre de NY ?

Parmi les actes ou objets qui font monter les prix d’une prostituée, ont expliqué ces femmes au sociologue, il y a des choses qu’on peut deviner (la blondeur, la taille des seins…) mais aussi, et c’est plus étonnant, la possession d’un BlackBerry. Symbolisant aux Etats–Unis la vie professionnelle, le BlackBerry rassure le client, lui laissant penser que la prostituée ne se drogue pas, et n’est pas malade. Une raison suffisante pour augmenter le tarif.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 12 mars était consacrée à « l’internet et la géographie : les imaginaires de l’espace », en compagnie de Henri Desbois, maître de conférences en géographie à l’université Paris-X Nanterre, membre de l’équipe Réseaux, Savoirs & Territoires de l’Ecole nationale supérieure, auteur notamment de « Quand les cartes se numérisent » pour la revue Sciences Humaines.

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0 commentaires

  1. Récupérer ses clients sur Facebook , pas mal ! Bientôt un tweet pour informer que la place est libre ! 😉

    En ce qui concerne Paris voici un article sympa sur lequel je suis tombé ce matin qui concerne la prostitution chinoise :

    http://chineconquerante.com/2011/03/21/520/