Les robots : technologie sociale ?

Que veut dire d’avoir des robots personnels ? Quelles sont les conséquences pour nous, en tant qu’être humain ? Allons-nous tomber amoureux d’eux ?… Retour sur nos relations aux robots à l’occasion de la première édition d’InnoRobo et des conférences RoboLift qui lui étaient associé.

Dans un article de 2007 qui est resté une référence (Dawn of the Age of Robots – « A l’aube de l’ère des robots »), Bill Gates comparait l’évolution de la robotique à celle des ordinateurs et prédisait qu’un jour nous aurions tous un robot chez nous, comme nous avons tous fini par avoir un ordinateur dans nos maisons. Mais force est de reconnaître qu’ils n’ont pas encore vraiment franchi la porte de nos foyers, estime Cynthia Breazeal du Personal Robots Group du Media Lab du Massachusetts Institute of Technology. Et cela est certainement dû au fait que, contrairement à ce qu’on pense, ils ne sont pas comme les ordinateurs.

L’impact de l’expressivité des robots sur notre perception est primordial

Les robots savent pénétrer notre « cerveau social », explique la chercheuse lors de sa présentation (.pdf) en faisant référence aux travaux des psychologues Fritz Heider et Marianne Simmel sur la perception de l’animéité, c’est-à-dire, dans le domaine de la cognition, le fait de pouvoir distinguer un être animé d’un être inanimé. Quand on regarde un robot bouger, ses expressions, nous regardons un être plutôt qu’une chose. La manière dont les formes du robot bougent est d’abord ressentie comme des intentions ou des buts, avant que d’être des angles ou des accélérations. Nous interprétons les mouvements du robot en terme psychologique, comme nous interprétons les mouvements d’autres êtres humains. Nous véhiculons nos propres perceptions psychologiques dans ce que l’on regarde et cela affecte notre jugement social, c’est-à-dire que la manière dont nous percevons quelqu’un a une influence sur notre jugement. Et pour Cynthia Breazeal cette perspective ouvre de nouvelles applications pour les robots.

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Image : Cynthia Breazeal sur la scène de RoboLift, photographiée par Pierre Metivier.

Elle évoque alors une expérimentation qui a lieu avec Nexi, un robot humanoïde particulièrement expressif développé au MIT. Souvent, explique Cynthia Breazeal, les patients sont embarrassés par le problème qu’ils viennent évoquer avec un médecin. Parfois ils ne disent pas tout, même quand on le leur demande. Seraient-ils plus enclins à parler à un robot qu’à un infirmier ? Les chercheurs du Personal Robots Group du MIT ont ainsi mis Nexi en contexte. Le robot se présentait à un patient, expliquait son fonctionnement pour faire connaissance. Après avoir discuté un peu, le robot demandait à poser des questions sérieuses d’abord d’ordre général (« quel est votre livre préféré ? Où avez-vous grandi ? ») avant de poser des questions plus personnelles. Les chercheurs ont modifié plusieurs fois son comportement pour mesurer l’impact de celui-ci et comprendre quels sont les facteurs qui influencent l’interlocuteur. Et savoir si les paroles émouvantes, la profondeur des propos, la démultiplication des sourires… avaient un impact sur la perception que les gens avaient du robot. Les utilisateurs étaient amenés à évaluer le robot et leur réponse à été claire : plus le robot a d’expressions et de gestes différents et plus la perception des gens était positive.

En cela, estime Cynthia Breazeal « l’incarnation sociale » permet de développer des interactions qu’on n’aurait pas imaginées. C’est la démonstration qu’a faite Sigurdur Orn Adalgeirsson du même laboratoire avec MeBot, un système permettant de robotiser un iPhone lors d’une téléconférence avec une personne distante, le robot bougeant à l’unisson avec la personne distante, pour renforcer « l’incarnation » (vidéo). Bien évidemment, le dispositif expressif et mobile favorise l’empathie, l’engagement et la collaboration. La mobilité, l’expression corporelle renforcent l’implication de manière significative par rapport à un système de téléprésence fixe et inexpressif.


Vidéo : MeBot, « une plate-forme robotique pour la téléprésence sociale incarnée ».

En suivant cette voie, Cynthia Breazeal imagine bien d’autres applications. Les petits-enfants sont souvent peu à l’aise avec le téléphone et ont du mal à parler avec leurs grands-parents distants, alors que bien souvent ils voudraient pouvoir jouer avec eux. Les grands-parents pourraient-ils être plus présents par l’intermédiaire des robots ? Autre exemple, des chercheurs ont constaté que lors de l’apprentissage linguistique, l’audio ne suffit pas. L’apprentissage linguistique est éminemment social, comme l’expliquait brillamment Patricia Kuhl à TED, montrant notamment que nous avons plus de mal à apprendre une seconde langue après 7 ans qu’avant 7ans. Pour approfondir les questions d’apprentissage de la langue, les chercheurs du MIT ont construit un ourson expressif, Huggable, qui facilite l’apprentissage : car les expressions du visage et du corps aident à comprendre le sens des mots. « Si on s’ouvre à ces possibilités, l’internet va devenir le corps structurant de la robotique pour accueillir de multiples applications que ce soit dans le domaine de la santé, du jeu, de l’apprentissage, de l’interprétariat… Ils ne seront non plus des intermédiaires, mais bien des partenaires. »

Engagement dans la durée selon le dispositif choisitEt Cynthia Breazeal de prendre un autre exemple, celui d’Autom, un robot coach pour aider les gens à perdre du poids. « Que se passe-t-il si on une bonne conscience, un Jiminy Cricket, vous accompagne dans votre régime pour vous aider à prendre les bonnes décisions au bon moment, à la manière d’un entraîneur comportemental ? » Cinq minutes d’interaction quotidiennes avec Autom suffisent à instaurer un dialogue régulier. Le robot pose des questions sur ce que son propriétaire a mangé, sur le sport qu’il a accompli, félicite, encourage ou réprimande… Bref, introduire un dialogue pour modifier le comportement social. Vous aurez peut-être tendance à penser que vous faire féliciter, encourager ou réprimander par un robot n’a aucune incidence… Et bien, plus qu’on ne le pense. Car Cynthia Breazeal est soucieuse de montrer la différence qu’il y a entre les robots et les autres technologies. On a donc fait suivre le même programme à des patients équipés du robot, à d’autres, équipés seulement d’un ordinateur, et à un troisième groupe qui devait écrire ses progrès sur une simple feuille de papier. Les chercheurs ont constaté qu’avec les robots, les gens ont eu tendance à perdre un peu moins de poids, mais que l’engagement était nettement plus fort et plus durable. En lui donnant un nom, en ayant un support pour focaliser leur attention, en lui disant bonjour, au revoir… le robot a facilité l’engagement émotionnel. Tant et si bien qu’il s’apprête à être commercialisé (vidéo promotionnelle).

Le problème demeure que les robots ont du mal à comprendre ce que nous disons en terme réellement humain. Leonardo, le robot expressif le plus avancé démontre la capacité d’un robot à pouvoir capter l’attention, apprendre de nouvelles expressions et surtout montrer ses émotions. Pour Cynthia Breazeal, les robots ne doivent pas nécessairement avoir une forme humanoïde, mais ils doivent nous ressembler : de grands yeux, des poils ou des cheveux (qui évoquent la douceur), une bouche expressive sont des attributs différents. Mais la chercheuse défend plutôt des robots différents. Comme on le constate en observant ses créatures, elle reconnaît s’être beaucoup inspiré de l’animation. Dans l’animation, on peut donner vie à une fleur ou une tache d’encre. L’important est d’imaginer des robots adaptés à la niche psychologique visée, comme Tofu un robot pour les plus jeunes dont le corps est très expressif, comme une marionnette (vidéo) ou Aur, la lampe robotique qui se dirige là où elle doit vous être utile (vidéo).


Vidéo : Aur, la lampe robotique.

La conception permet beaucoup de marche de manoeuvre.

On ne connait pas encore la relation qui lie le robot à l’humain, mais en partant de ce qu’on connait des relations que nous avons avec les humains, les animaux ou la technologie, on peut dire qu’à l’intersection de ces rencontres, il y aura les robots. Cynthia Breazeal ne dit pas que les robots vont remplacer les interactions sociales, mais que cette technologie va venir les compléter.

L’important, c’est l’interaction !

patriziamartiPatrizia Marti est designer et enseigne les interactions homme-machine au département de Design interactif de l’université de Sienne en Italie. Son travail consiste à monter des expérimentations avec des robots dans des environnements naturels, pour mesurer si les robots, à l’image des humains, ont une prédisposition pour s’associer avec ce qui bouge, ce qui vit ou mime la vie… Le domaine d’intervention de Patrizia Marti concerne surtout la robotique éducative et sociale, c’est-à-dire qu’elle s’intéresse avant tout à introduire des robots auprès d’enfants malades ou de personnes âgées – voir sa présentation (.pdf).

Le robot thérapeutique Paro, ce petit phoque en peluche qui réagit au toucher, a été introduit au Japon depuis 7 à 8 ans, essentiellement dans des écoles et des hôpitaux. En les utilisant dans un hôpital italien auprès de patients souffrants d’Alzheimer avancé, l’idée était de regarder si Paro pouvait être une alternative aux traitements médicamenteux, si son utilisation permettait de réduire l’utilisation de médicament en proposant une autre forme de thérapie.

Paro réagit principalement aux caresses. Il sait tourner sa tête vers un bruit et est très expressif, explique Patrizia Marti avant de montrer une vidéo très forte, celle d’un patient âgé qui geint sur son lit d’hôpital, ce qui est une marque d’anxiété chez les malades atteints d’Alzheimer. Un médecin introduit alors Paro. La personne âge lui dit bonjour et le caresse comme l’y invite le médecin. Il parle de l’animal. Le câline. Un moment plus tard, on lui enlève Paro : le patient ayant déjà dit plusieurs fois qu’il allait devoir le quitter. Deux minutes après, le patient geint à nouveau. Patrizia Marti explique que cette personne était très agressive et quand elle ne l’était pas, qu’elle geignait sans arrêt. Le robot ici est le médiateur de la relation humain/humain. Le thérapeute touche le robot, mais également le patient pour l’inviter à toucher le robot ensemble, alors que ce patient a horreur qu’on le touche. Le robot a permis de le calmer. « Les gens n’ont rien à attendre d’un robot, ce qui permet finalement un comportement très relaxant », estime Patrizia Marti. Dans cet établissement médico-social, il y des temps réservés pour des groupes de discussions spontanées dans une salle commune. Le plus souvent des personnes âgées s’y déplacent, mais elles ne se parlent pas. Elles restent assises à ne rien faire. En introduisant Paro, tout a changé. Les personnes âgées se sont mises à le caresser et il les a aidés à focaliser leur attention. Il permettait d’introduire une discussion, avant de ne devenir qu’une présence rassurante, pendant que les gens évoquaient leurs souvenirs. Le rôle du robot est de faire du lien social, comme un animal de compagnie. Il permet d’engager la conversation…


Vidéo : L’utilisation de Paro face à un malade atteint de la maladie d’Alzheimer.

Patrizia Marti évoque un autre projet de recherche développé pour des enfants handicapés via le projet européen Iromec. Le but du projet était d’utiliser des robots pour amener des enfants handicapés à jouer et développer leur potentiel communicationnel et social. D’où l’idée de développer un robot modulaire pour l’adapter aux différentes formes de handicap comme aux besoins et aux attentes des enfants. L’équipe de chercheur a construit des scénarios de jeux. Pour les enfants autistes par exemple, qui ont du mal à interpréter l’intention de leurs interlocuteurs, l’idée était de développer un jeu leur amenant à comprendre l’intention du robot – qui est bien plus prévisible qu’un être humain.

Les chercheurs ont développé plusieurs jeux assez simples : un jeu où l’on s’envoie le robot et où on doit se le renvoyer, où il faut apprendre à respecter le tour de chacun, un jeu d’imitation où l’on doit faire la même chose que le robot et inversement. Un jeu où l’un doit suivre l’autre et inversement. Un jeu de coordination des mouvements nécessitant de contrôler son corps pour contrôler celui du robot (on tape une fois dans ses mains il va droit, deux fois il va à gauche, etc.). Un jeu de danse où l’enfant doit imiter la danse du robot ou inversement… Ainsi qu’un jeu où il fallait deviner l’état émotionnel du robot et voir si on pouvait y remédier (vidéos 1 et 2).


Vidéo : Quelques-uns des scénarios d’utilisation d’Iromec avec des enfants handicapés.

« Ces exemples montrent qu’il est important de bien concevoir l’activité que l’on veut accomplir avec le robot, l’importance qu’il y a à la tester en environnement naturel », souligne Patrizia Marti. « Le robot stimule certes l’exploration, mais ils s’adressent aussi ici à des individus vulnérables. L’utiliser comme médiateur entre deux humains est intéressant. Mais enfants comme adultes n’agissent pas de la même manière avec les robots et avec les humains. Nous sommes face à un nouveau genre de technologie qui redéfinit nos catégories cognitives. »

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