Le marché florissant de la censure

La lecture de la semaine a pour titre « The booming business of Internet censorship » soit « le marché florissant de la censure d’Internet ». Il s’agit d’un résumé d’un rapport écrit par Jillan York et un collègue du nom de Helmi Noman. Jillian York travaille au Centre Berkman pour l’Internet et la société, à l’Ecole de droit d’HarvardGlobal Voices et elle signe ce résumé pour Al-Jazira.

Dans presque tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, la censure d’Internet est la norme, commence Jillian York. Le niveau de cette censure varie : au Maroc, seule une poignée de sites concernant le Sahara Occidental, ainsi que Google Earth et Livejournal, sont jugés suffisamment subversifs pour être censurés, alors que d’autres pays – comme Bahreïn, le Yémen, la Syrie – censurent allègrement, tant les sites à contenus politiques que sociaux.

Si le filtrage est régi par les pays eux-mêmes, il est rendu possible par des technologies qui sont principalement importées des Etats-Unis et du Canada. C’est le coeur du rapport de Jillian York, dont elle détaille quelques éléments.

A Bahreïn, en Arabie Saoudite, à Oman, au Soudan et au Koweït, les censeurs utilisent le SmartFilter de McAfee (McAfee est une société californienne). C’était aussi le cas de la Tunisie, avant la révolte.

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Image : La page de bloquage de Qatar Qtel quand quelqu’un demande à accéder à un site non autorisé.

Au Yémen, jusqu’à récemment, c’était le logiciel Websense qui était préféré, mais le gouvernement a récemment opté pour un logiciel canadien, Netsweeper, qui est aussi utilisé au Qatar et dans les Émirats Arabes Unis.

Ces outils – Websense, SmartFilter et Netsweeper – tout comme Cisco, qui a les préférences de la Chine – permettent aux censeurs de faire facilement leur travail. Au lieu de bloquer des adresses URL une par une, ils peuvent identifier des catégories (comme pornographie, drogue, tenues provocantes…) et bloquer des milliers de sites d’un seul coup. Rien de surprenant, le système de catégorisation est imparfait, des sites tout à fait inoffensifs se trouvant pris dans la masse. « Mon propre site, explique Jullian York, ainsi que celui de OpenNet Initiative, ont tous les deux étés bloqués par le gouvernement yéménite, qui à l’époque utilisait Websense, soi-disant parce qu’ils accueillaient des contenus pornographiques. Ce n’était le cas pour aucun des deux, et quand on a sommé Websense d’expliquer ce qui se passait, ils ont raconté que des sites avec un nombre significatif de spams contenant des liens vers des sites pornographiques pouvaient se retrouver dans la catégorie pornographie. »

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Image : La page de bloquage des Emirats Arabes Unis quand quelqu’un demande à accéder à un site non autorisé.

Ce qui est très problématique, continue Jillian York, car cela suppose qu’en faisant sur un blog quelques commentaires pointant vers des contenus interdits, on peut facilement faire en sorte que le système le bloque, avec tous les effets imaginables sur la liberté d’expression.

Les technologies de filtrage du web utilisées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont les mêmes que celles que l’on trouve dans les écoles, les bibliothèques ou les bureaux, d’Europe ou d’Amérique, où le blocage des contenus pornographiques est la norme. Si cette norme est justifiable, il y a là un potentiel pour un blocage plus massif.

Le fait que Websense et Smartfilter soient des logiciels américains pose problème : le programme pour la liberté de l’internet du Département d’Etat américain subventionne, entre autres initiatives, des technologies servant à contourner des logiciels analogues à ceux qui sont exportés par ces mêmes entreprises. Et la Secrétaire d’Etat Américaine Hillary Clinton a fait mention des entreprises américaines spécialisées dans le filtrage lors de son premier discours sur la liberté d’internet en janvier 2010. Elle a déclaré à cette occasion que ces entreprises devaient « prendre une position de principe ». Mais aucune action publique n’a suivi pour freiner l’exportation de logiciels de filtrage. A part Websense – qui stipule que l’usage de son logiciel est interdit aux Etats, à l’exception du filtrage de la pornographie illégale -, aucune de ces entreprises n’a pris de mesures pour interdire l’usage de leurs logiciels aux gouvernements étrangers. Jillian York conclut : « Si le but du programme pour la liberté de l’internet est, comme l’a exprimé Hillary Clinton, d’exporter la liberté du Net, peut-être faut-il commencer par ne plus exporter la censure de l’Internet. »

Xavier de la Porte

« Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 11 avril était consacrée aux technologies dans l’agriculture avec Rémy Serai, rédacteur en chef de Machinisme & Réseaux, mensuel qui dépend du groupe de presse La France Agricole et au générateur poiétique (site), ce dispositif d’interaction graphique collectif en réseau d’Olivier Auber, cofondateur du Laboratoire Culturel A+H.

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0 commentaires

  1. Belle pertinence, je trouve que l’utilité de cet article est de mettre en avant ce concept de win/win pour tout le monde. Un produit ou un service ne doit pas seulement bénéficier aux employés/clients/actionnaires mais aussi à d’autres « stakeholders ». Exemple criant, l’iPhone: employés, clients et actionnaires contents, mais certainement pas les ouvriers de l’usine chinoise (où les suicides ont récemment été mis en avant par le magazine Wired).

    C’est sans doute le débat de la « valeur réelle » d’un produit ou d’un service telle que définie par exemple par Umar Haique de Harvard (« thick value »).

    Un petit nota bene: d’autres technologies permettent de contourner la censure technologique. Twitter en est le meilleur exemple.
    Au final, on ne peut arrêter la progression d’une lame de fond, comme par exemple la révolution dans le Magreb.