Quest to learn : l’école où l’on joue à apprendre

Malgré les multiples de tentatives de réformer l’éducation en France et ailleurs, le rapport entre l’élève, le professeur et la connaissance n’a guère changé : l’enseignant reste l’unique diffuseur du savoir. Quant à l’intégration des technologies, elle se limite souvent à la salle d’informatique où l’on apprend péniblement quelques fonctionnalités de Word. Ne parlons même pas des jeux vidéos, qui restent le grand Satan.

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Image : Katie Salen lors de la conférence Hacking Education organisée par l’Union Square Ventures en 2009.

Autant d’attitudes dont Katie Salen prend le contrepied. Dans le cadre des rencontres organisées par le CRI (Centre de recherche interdisciplinaire), autour des nouveaux modèles d’apprentissage à l’école et de la place de l’enfant, elle a défendu le rôle de la technologie dans l’élaboration de projets communs dans lesquels l’expertise des élèves est reconnue au même titre que celle du professeur.

Cette conceptrice de jeux a créé en 2009, à New York, l’école Quest to learn, un établissement public, qui n’accueille donc pas forcément des enfants issus de familles privilégiées.

A terme, cette institution réunira des jeunes de la 6e à la première, avec 75 élèves par niveau. Aujourd’hui, elle entre dans sa deuxième année, ce qui signifie que seuls les deux premiers niveaux (6e et 5e) sont opérationnels.

La caractéristique d’une classe de Quest to learn est qu’à l’enseignant traditionnel s’adjoint un concepteur de jeu qui aide les enfants à développer leur projet : car chaque classe doit mettre en place un jeu correspondant aux enseignements qu’elle reçoit. Le concepteur conçoit l’environnement ludique, mais les jeunes sont aux manettes pour élaborer les règles du jeu et les divers événements.

Comment la diffusion des savoirs s’articule-t-elle avec l’attitude ludique ? En fait, les programmes sont les mêmes que dans l’enseignement traditionnel : l’enfant acquiert des compétences en maths, en physique, en histoire, en lettres, mais en passant par des procédures radicalement différentes. Pour l’année 2011, par exemple, le programme de physique est exploré à travers un module de 10 semaines, Invisible Pathways (.pdf), les chemins invisibles ».

« Le défi proposé par cette mission consiste à placer les étudiants dans le rôle de scientifiques qui doivent élaborer et tester une théorie sur le comportement de la lumière. Ils étudieront donc ses interactions avec la matière (réfraction, absorption, diffusion et réflexion) à l’aide de caméras numériques pour enregistrer les résultats. Ensuite, via une simulation 3D (appelée Enigmo 2), ils modéliseront le mouvement à travers l’espace en utilisant la connaissance qu’ils auront acquise dans le monde réel pour l’appliquer à un environnement virtuel. Ils analyseront alors des données afin de comprendre les couleurs de la lumière, et ils étudieront l’œil en tant que dispositif optique. Tout au long du processus, ils emploieront la méthode scientifique pour proposer et tester des théories, observer et recueillir des résultats, et appliquer cette compréhension à l’élaboration de nouvelles théories. La mission se terminera par une épreuve scientifique demandant aux élèves de collaborer en petites équipes. Le but : construire le parcours d’un faisceau jusqu’à une cible, en opérant au moins cinq changements de direction. »

Mais s’il paraît relativement « facile » de faire adopter aux élèves cette attitude d’expérimentateurs pour les sciences, qu’en est-il de l’apprentissage des « humanités », par exemple l’histoire ? Ici aussi Quest to learn développe des projets ludiques, comme celui de « l’espion spartiate » (.pdf).

« Cette mission demande aux élèves de voyager dans le temps, vers la Grèce antique et la naissance de la première démocratie du monde, et d’étudier le moment ou Sparte doit prendre une décision concernant les relations avec Athènes. Ils devront étudier les différences entre Sparte et Athènes et examiner le rôle de la géographie dans le développement des sociétés et des relations qu’elles entretiennent entre elles. Ils se pencheront également sur les événements historiques spécifiques qui ont affecté les Cités Etats avant 432 av. J.-C.. Ils s’attacheront à créer et livrer un document de politique générale à la direction de Sparte (le Conseil des Anciens) indiquant quelle stratégie est la meilleure. Et ce, en utilisant des preuves pour étayer leurs idées. Afin de les aider à construire leur argumentaire, les jeunes s’immergeront dans différentes simulations numériques afin d’étudier les possibles ramifications de leurs décisions. La présentation finale (devant le Conseil des Anciens) les amènera à collaborer avec d’autres étudiants, à recueillir des faits provenant de sources multiples et à examiner plusieurs points de vue. »

La pédagogie de Quest to learn met en jeu d’autres principes, comme la « gamification ». Des jeux, des énigmes, sont incorporés à l’enseignement scolaire : Jane McGonigal, qui consacre plusieurs pages de son livre Reality is Broken aux méthodes de Quest to learn, explique par exemple qu’un défi mathématique peut être caché dans un livre de classe. Les élèves qui le découvrent peuvent alors chercher la solution à l’énigme. Clive Thompson, dans un article de Wired raconte, pour sa part, que de minuscules messages avaient été placés sur des lames de microscopes, comme s’il s’agissait de cultures de cellules. Pour prendre connaissance de ces messages, il était nécessaire de savoir régler et utiliser le microscope. A noter que ces épreuves n’ont rien d’obligatoire ! Au contraire, précise Jane McGonigal celui qui découvre le puzzle gagne le droit de chercher à le résoudre !

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Image : La home page de présentation de Quest to lean.

Autre point souligné par Katie Salen dans sa conférence, la possibilité pour chacun des élèves de se proclamer « experts » dans un domaine ou un autre. Dans un exemple fictif, Jane McGonigal imagine qu’une élève pourrait ainsi se déclarer spécialiste en « cartographie », une discipline qu’elle aurait pu acquérir indépendamment en dessinant des cartes de mondes virtuels, mettant ainsi ses compétences au service d’un groupe d’enfants travaillant sur un jeu en géographie.
Autre point très important souligné par Jane McGonigal : il n’existe pas de notation ou de classement. Ici, les élèves « changent de niveau ». Quelle différence ? On ne se situe plus par rapport à une classe ou à une moyenne, mais par rapport à ses propres efforts. « Tout le monde peut changer de niveau en travaillant dur », note-t-elle. Bref, seule la récompense existe. Que du bonheur, dirait-on.

Un environnement technologique sophistiqué mais maitrisé

Comme on le voit, si la technologie joue un rôle dans ces projets éducatifs, son rôle n’est pas déterminant. Il ne s’agit pas de faire de la technologie à tout prix, mais d’en tirer le meilleur parti en termes de pédagogie.

Les élèves ont ainsi accès au SMALLab, un espace de réalité augmentée, ou, comme le baptise le site de Quest to learn, « un espace d’apprentissage incarné » (vidéo). Des « objets numériques » sont projetés sur le sol, et les enfants peuvent interagir avec eux, via des capteurs sans fil, et élaborer divers scénarios avec leur aide.

Un autre « labo » Short Circuit, est également intégré à Quest to learn. On décrira ce lieu comme un petit « Fablab », où les élèves peuvent « bricoler » selon leurs désirs tous les systèmes interactifs qu’ils imaginent. On le voit, le rôle fondamental du corps dans l’apprentissage n’est pas oublié. Pas question d’employer la technologie pour fabriquer un monde entièrement « virtuel » dégagé des contraintes matérielles, comme dans les vieilles théories cartésiennes de la connaissance.

Quest to learn (ainsi d’ailleurs que la Small Lab et Short Circuit) est l’un des nombreux projets de « l’Institute of Play » dont Katie Salen est la directrice exécutive. Cet organisme se veut un tremplin pour promouvoir le jeu comme activité d’intégration sociale et de développement personnel.
Quest to learn changera-t-il les méthodes traditionnelles d’éducation ? En tout cas, le concept a l’air de plaire, puisqu’une seconde école s’ouvrira en septembre, à Chicago.

Véronique Routin et Rémi Sussan

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  1. Ce qui me frappe, dans ce genre d’expériences, c’est que les démarches d’apprentissage côtoient de très près ce que l’on peut voir et entendre dans l’art contemporain. Je me demande si la notion de « jeu » ne recouvre pas provisoirement ce rapprochement peut-être plus profond et plus important.

  2. Je trouve ces exemples très intéressants, et je suis souvent d’accord avec les conclusions. Mais aujourd’hui – en France je veux dire – plus aucune école n’a les moyens d’appliquer de telles pédagogies.

    Pas plus tard qu’hier, on parlait de mise sous tutelles par leur rectorat d’écoles d’ingénieurs célèbres, tellement les caisses sont vides.

    À l’heure où nos ministres ne font pas leurs cours, et sont pourtant payés, et quand cela se sait, ce sera le contribuable qui remboursera vient-on de me souffler dans l’oreillette.