Open Data (2/4) : Animer, animer et encore animer

Suite de notre retour sur la semaine européenne de la réutilisation des données publiques qui se tenait à Nantes du 21 au 26 mai 2012.

Open Data : un moyen pour animer le territoire

Laurent-Pierre Gilliard (@lpg), directeur général d’Aquitaine Europe Communication, est revenu dans sa présentation sur l’historique de l’Open Data en Aquitaine. C’est en décembre 2010 aux assises Aquitaine de l’Open Data que le sujet a été lancé par les élus de l’agglomération de Bordeaux, du département et de la Région accompagnés par AEC et la Fing. Deux portails de données ont été mis en place : celui de la communauté d’agglomération et un portail mutualisé pour les acteurs girondins et aquitains. Outres des premiers jeux de données provenant de ces collectivités, les portails présentaient également des jeux de données provenant du Comité régional du tourisme ou de l’Observatoire numérique Aquitain. « Une fois les jeux de données libérés s’est engagé un autre travail tout aussi important : celui de l’animation pour faire la liaison entre les données et les réutilisateurs ». Une dizaine d’ateliers ont été montés de septembre 2011 à mars 2012 dans le cadre d’un Open Data Lab et d’Open Data School accueillis par l’Auberge Numérique, rassemblant des prémices de communauté constituée de quelques 130 participants, pour l’essentiel assez geeks. AEC a animé également des ateliers avec des écoles comme l’école de journalisme de Bordeaux, l’Epitech, les Beaux Arts, Ingesup… qui ont produit plus de 26 projets.

Animer, c’est faire se croiser les acteurs, comme dans le cadre d’un travail sur l’eau intitulé Bord’eau réalisé en partenariat avec la Lyonnaise des Eaux, l’IUT de Bordeaux et le laboratoire de recherche de la Lyonnaise des Eaux. Laurent-Pierre Gillard est critique sur la production d’applications depuis les jeux de données ouverts par les collectivités (notamment les données de transports). En Aquitaine, quelque 34 applications de transports ont été produites… Aucune n’a démontré de modèle économique viable… « Pour les entreprises qui les ont développés, l’enjeu était plus un enjeu de communication finalement qu’un enjeu économique », estime Laurent-Pierre Gilliard. Les applications ne reposant que sur les données publiques ne suffisent pas à créer de la valeur pour elles-mêmes.

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Image : De gauche à droite : Stéphane Martayan, Charles Nepote, Laurent-Pierre Gilliard et Romain Lacombe sur la scène de l’Open Data Week, photographiés par Mathieu Drouet pour la Fing.

Laurent-Pierre évoque également de nombreux projets. Comme iMove qui agrège les données des transports publics et des places de parking en temps réel. Comme encore les productions du Datajournalisme Lab et notamment la Gironde Sportive, une visualisation qui met en regard le nombre de pratiquants d’un sport avec celui des complexes sportifs dédiés à ce sport implanté sur le territoire. Ou encore la réflexion initiée lors de l’OpenDatathlon avec l’IUT de Bordeaux autour d’Agend’Aqui, une application qui s’appuie sur une base de données de 25 000 dates de fêtes et d’évènements dont il faudrait inventer des formes de réutilisation. Ou encore Bord’eau ou Feed the Green pour favoriser le recyclage des bouteilles en verre…

De nouveaux jeux de données vont continuer à être publiés. D’autres applications vont naître. Un appel à projet va être lancé. Les projets ne manquent pas. A Bordeaux comme ailleurs, il est néanmoins difficile de dépasser « le cercle des initiés à l’ouverture », reconnaît Laurent-Pierre Gilliard. Des étudiants cherchaient une cartographie des arceaux de parkings de vélos. Une association locale en disposait, mais a préféré la garder pour eux comme outil de lobbying auprès des élus. Qu’importe, les étudiants ont pris leurs vélos, parcouru la ville et ont cartographié en quelques heures tous les arceaux pour créer leur propre base de données. Comme quoi, documenter les données du territoire n’est parfois pas si compliqué.

L’Open Data est-il un levier stratégique du territoire ?

Un territoire peut-il se lancer dans une politique d’ouverture des données publiques sans politique numérique globale ? Pour Stéphane Martayan (@smartayan), chef du service Innovation et économie numérique du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est nécessaire d’avoir une politique numérique cohérente. Quand bien même, confesse-t-il, la Région PACA est encore néophyte dans le domaine de l’ouverture des données par rapport aux collectivités pionnières…

Le programme Open Data de PACA s’inscrit dans une décennie de politique numérique qui s’ancre par un soutien aux filières TIC régionales, aux PME innovantes (organisées en Clusters, incubateurs et pépinières fédérées dans le programme PACA innovation, @pacainnovation), par un travail de médiation dispensé par quelques 160 ERIC, des espaces numériques répartis sur tout le territoire, enfin par un travail de stimulation de l’innovation via l’appel à projet permanent PACALabs pour faire travailler ensemble sur des expérimentations grandeurs nature et des prototypes innovants, PME, labos de recherche et citoyens.

La décision politique d’investir l’Open Data en PACA a donné lieu à une forte mobilisation des services pour repérer et préparer les jeux de données à libérer, explique Stéphane Martayan dans sa présentation. Dès à présent, des clauses Open Data ont été introduites dans les cahiers des charges des études commandées par l’acteur public, afin d’en libérer les données. Le portail de données publiques de la Région PACA ouvrira en juillet 2012 : il hébergera et référencera des données provenant de multiples acteurs régionaux et s’ouvrira aux départements, villes et territoires de projets. La Région va mettre à disposition de ceux-ci des ressources pour les accompagner dans leurs projets et programmes d’ouvertures de données.

Bien sûr, la question, là encore, après l’ouverture des données, va reposer sur l’animation. Outre les écoles et universités, la Région compte mobiliser son réseau d’ERIC pour accompagner la démarche. Des Hackathons, des trophées sont déjà prévus à l’agenda… Début 2013, à la veille de Marseille Provence 2013, la Région souhaite également lancer un concours d’applications innovantes, mais aussi un appel pour développer les usages.

Pour Stéphane Martayan, « la libération des données publiques est un projet stratégique et catalyseur, car il permet de faire bouger les lignes. Il engage l’acteur public dans une nouvelle posture qui nécessite d’avoir une vision sur les modes d’appropriation citoyenne pour mieux les accompagner ». C’est certes une occasion pour mettre en acte les partenariats territoriaux. Mais c’est surtout une occasion pour accompagner la transformation de l’administration.

La modernisation de l’information, c’est également sous cet angle que Pierre-Paul Penillard, directeur du projet Open Data de la Saône-et-Loire, analyse le projet d’ouverture des données de ce département de la Bourgogne (voir sa présentation). Ouvert depuis septembre 2011, l’enjeu démocratique autour des données s’est révélé difficile à relever, confesse le directeur du projet. Par contre, pour lui, l’Open Data est un formidable levier de modernisation. La réalisation de l’inventaire des données a été l’occasion d’impliquer et responsabiliser les services dans les processus de création et de mise à jour des données, où se sont mises en place des procédures de qualité. Non seulement, l’Open Data a un impact sur le management, mais il a également un impact immédiat sur le pilotage et le monitoring du département. Les responsables du projet ont mis en place un outil de visualisation des données en interne permettant d’accéder à un tableau de bord, à un outil de pilotage dont l’administration ne disposait pas jusqu’alors.

Animer, animer et encore animer

Il est intéressant de remarquer que l’Etat se pose les mêmes questions que les acteurs locaux. Là encore, la publication des jeux de données ne suffit pas à ce que les gens s’en emparent. Ils sont un prétexte pour se mettre en relation avec une communauté de développeurs, pour faire que ces jeux de données soient utilisés et trouvent de nouvelles fonctionnalités. Le portail Data.gouv.fr a été l’occasion d’une réorganisation de l’administration des services de l’Etat, souligne Romain Lacombe (@rlacombe_fr), chargé de l’innovation et du développement au sein de la mission gouvernementale EtaLab (@etalab). « C’est plus de 200 agents qui contribuent, mettent à jour et publient des jeux de données sur le Portail national ». En ce sens, EtaLab est une couche de coordination entre divers services de l’Etat, que ce soit en terme de situation, de structure ou de thématique. EtaLab est chargé de coordonner le travail des administrations. Il fournit le site et son moteur de recherche, le cadre, mais les agents d’EtaLab ne produisent pas les données, explique Romain Lacombe. EtaLab a une autre mission. Celle d’organiser le dialogue entre les producteurs de données et les réutilisateurs. La dernière version de Data.gouv.fr a d’ailleurs ajouté une fonctionnalité de communauté pour commenter, suggérer des jeux de données et donner un cadre à ce dialogue.

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Image : Page d’accueil de Data.gouv.fr.

C’est la communauté des agents qui a identifié les jeux de données, travaillé les questions juridiques et techniques pour les rendre accessibles, les décrire pour les rendre accessibles et réutilisables. EtaLab a nommé des coordinateurs dans chaque ministère (14 personnes) qui ont constitué un réseau de correspondants qui travaillent à la mise en ligne de données. « Data.gouv.fr est donc un réseau profondément ancré dans la structure administrative du pays », estime Romain Lacombe.

Dataconnexions est une initiative lancée par EtaLab mais portée par la communauté pour encourager la réutilisation des données publiques qu’elles qu’elles soient. « L’Etat s’est lancé dans un processus d’ouverture des données qui va continuer… Mais il ne s’est pas désintéressé pour autant de la question des usages. Pour encourager la réutilisation, on a voulu non pas créer un évènement ponctuel ou des applications, mais inscrire la pérennité de l’ouverture des données dans la durée et faire que les différents acteurs économiques, associatifs et publics s’emparent du sujet ». Dataconnexion ce sont des rencontres qui mettent en relation plus de 30 grands partenaires (investisseurs, grandes entreprises, associations…) et développeurs avec les jeux de données libérés par la puissance publique. Plus de 200 projets de réutilisation de données publiques ont vu le jour.

« Dataconnexion a pour but de faire émerger les projets prometteurs et de leur donner de la visibilité », conclut Romain Lacombe, en pointant sur les projets réalisés par les premiers lauréats du concours comme Place de l’immobilier qui agrège des informations immobilières pour les professionnels, Fourmi Santé, un portail de maîtrise de son budget de santé, Home’n’Go, un portail de recherche de logements personnalisable pour les particuliers, CitizenUp, un portail citoyen de données gouvernementales, WebShell, un outil pour gérer les interfaces de programmation, Open Data Ware, une plateforme sociale permettant de partager avec d’autres utilisateurs les améliorations apportées sur des jeux de données publiques et Voxe, une application de comparaison des programmes politiques internationaux… Tous utilisent des jeux de données issus de Data.gouv.fr.

On voit bien que la sensibilisation du grand public à ces nouvelles ressources est un vrai défi lancé aux acteurs publics de l’Open Data, à quelque niveau que ce soit. Il y a un enjeu fort à montrer le potentiel de la libération de données publiques, comme pour justifier de son utilité, pour démontrer sa nécessité. Mais le fossé de l’acculturation est là.

Le grand public ne semble pas concerné par les questions technologiques sous-jacentes à ces projets. Ils attendent des services personnels, des applications qui leur soient utiles. La donnée semble une brique technologique qui ne leur parle pas vraiment, qui reste loin de leurs préoccupations immédiates. Pourtant, c’est seulement en favorisant le lien entre le besoin du grand public et les jeux de données publiés, par un effort constant d’animation des communautés, que l’Open Data montrera tout son potentiel comme levier de développement de services innovants. Comme nous le disions déjà : l’ouverture des données n’est que le début d’un processus de discussion entre l’acteur public et le public pour refonder la relation institutions-citoyens. Reste que c’est un lien entre les deux encore bien ténu : passer par le prisme des données ne simplifie par forcément une rencontre avec le plus grand nombre.

Hubert Guillaud

Retrouvez notre dossier réalisé à l’occasion de la semaine européenne de l’Open Data :

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