SimCity, un outil de modélisation urbaine ?

Des jeux comme SimCity peuvent-ils nous aider à comprendre la croissance des cités ? C’est la question que se pose le mathématicien Samuel Arbesman. Il explique son point de vue dans le blog qu’il tient pour Wired, ainsi que dans un article paru dans Atlantic Cities.

Mais comment calculer une chose aussi abstraite que la complexité d’une ville ? Qu’est-ce d’ailleurs que la complexité ? En science, il existe un nombre, nous explique-t-il, qu’on peut utiliser pour la décrire : c’est ce qu’on appelle la « complexité de Kolmogorov« . Grosso modo, ce nombre détermine la complexité d’un phénomène en fonction de la longueur de l’algorithme destiné à le décrire. Ainsi, continue Arbesman, la chaîne de nombres « 121212121212121212 » peut être extrêmement longue, mais l’algorithme destiné à la définir est des plus simples. Il suffit de dire : « cela répète 12 un nombre de fois spécifié ».

Il existe en revanche des chaînes qui ne peuvent être générées qu’en utilisant des algorithmes bien plus longs avec des équations très complexes (Arbesman donne en exemple une chaine constituée par les décimales de Pi). Elles possèdent alors une plus grande complexité de Kolmogorov. Un autre exemple, familier à tous les internautes passionnés d’images et de vidéos, est celui de la compression d’images. Qu’est-ce après tout qu’une image compressée, sinon une description de cette dernière de manière raccourcie ? Un graphisme constitué de grands aplats de couleurs peut aisément être représenté par un programme tandis qu’une photographie sera beaucoup plus difficile à modéliser. Cette dernière possède une plus grande complexité de Kolmogorov. Une image ou une chaine générée de manière purement aléatoire ne peut autoriser de description plus petite que la chaîne elle-même. En ce sens, on peut dire que l’aléatoire possède une « complexité de Kolmogorov » maximale (ce qui fait d’ailleurs douter certains de la valeur d’une telle définition de la complexité : comment quelque chose d’absolument aléatoire peut-il être considéré comme absolument complexe ?).

La taille des fichiers, mesure de la complexité

Mais même en connaissant cette théorie il est difficile de calculer un tel nombre pour de véritables cités. Il faudrait un nombre gigantesque de données pour obtenir une évaluation fiable… « ou alors », écrit Arbesman, « nous pouvons utiliser SimCity… bien que ce jeu ne soit en aucun cas une simulation de véritables mégalopoles (par exemple, la découverte scientifique au sein d’une ville semble imparfaitement modélisée), il est aussi bon qu’une première version globale de la manière dont les cités fonctionnent que la plupart des autres systèmes que j’ai rencontrés ».

simcity
Image : SimCity existe depuis 1989 et la nouvelle version est attendue pour cette année.

Avantage de Sim City, il est assez facile de calculer la complexité de Kolmogorov, puisqu’on peut utiliser la longueur des fichiers de sauvegarde. Ceux-ci constituent en effet une description raccourcie de la cité simulée : plus ils sont gros, plus leur complexité est importante.

Selon Arbesman, ce travail lui a permis de découvrir que la complexité d’une cité suivait une croissance linéaire en fonction de la population. Autrement dit, elle augmente d’une manière constante à chaque nouveau citoyen simulé.

En fait, remarque-t-il, lorsqu’on examine les fichiers en détail, on observe que les facteurs de complexité s’accroissent différemment. Par exemple, l’usage de l’énergie croit sous-linéairement. Ainsi, le nombre de stations d’essence nécessaires s’accroît moins vite que le nombre d’habitants. En revanche, l’innovation (représentée par le nombre de brevets dans le jeu) connaît une courbe supérieure à la linéarité : plus il y a de citoyens, plus ce nombre augmente rapidement.
« Peut-être », conclut-il, « la croissance en complexité d’une cité dépend-elle d’un équilibre entre l’usage de l’énergie et les retours sur l’innovation ».

Ou alors, admet-il, voit-on trop de choses dans SimCity. Il espère que la prochaine version du jeu donnera des résultats encore plus précis.

Ce n’est pas la première fois qu’on utilise les mathématiques pour explorer la signification d’un jeu dans le monde réel. Dans son blog pour Wired, Arbesman cite notamment le travail d’un artiste, Vincent Ocasla (@imperar), qui a créé après plusieurs années d’études un monde SimCity plutôt inquiétant rapporte Vice magazine, Magnasanti (vidéo), une gigantesque cité de six millions d’habitants, sans pollution ni crime, et capable de durer ainsi pendant un temps indéterminé. Le paradis ? Plutôt l’enfer. Non seulement les habitants de Magnasanti vivent parqués dans un espace extrêmement confiné, mais il s’agit de surcroit d’un état policier et où la surveillance est généralisée.

Les difficultés de la prédiction

Mais, hors Magnasanti et SimCity, la question des « simulations légères » de phénomènes complexes se pose. Les chercheurs inspirés par la vie artificielle cherchent depuis longtemps à construire des modèles informatiques des sociétés et élaborer ainsi une « sociologie artificielle ». La question qui se pose restant de savoir si des « modèles jouets » suffisent à comprendre des mécanismes aussi compliqués.

Sur ce thème, deux points de vue s’affrontent. Le premier consiste à dire qu’aucune simulation n’est possible sans une quantité de données particulièrement importante. C’est la voie choisie par Dirk Helbing et son projet de simulateur de monde par exemple.

Pour d’autres chercheurs, comme Axtell et Epstein, auteurs du programme de sociologie artificielle Sugarscape : « le but de ces expériences est de voir si certaines microspécifications sont suffisantes pour générer les macrophénomènes qui nous intéressent ». Autrement dit, on crée un système très simple, et si on voit émerger, à partir de ces quelques règles, des choses complexes qu’on observe dans le monde réel, alors on est peut-être sur la bonne voie pour les comprendre. Stephen Wolfram va dans le même sens lorsqu’il affirme dans son livre A New Kind of Science : « essentiellement, l’approche que je choisis consiste à créer le modèle le plus simple possible pour chaque système ». En ce sens, il se pourrait même que SimCity soit trop sophistiqué pour faire réellement comprendre le mécanisme de croissance des cités. Mais l’usage de ces « modèles simples », s’ils permettent d’expliquer et de comprendre certains phénomènes complexes, ne sont pas pour autant susceptibles de nous aider à prédire l’avenir d’une cité réelle comme New York, Rio ou Bangkok. Elles nous permettraient (si la théorie est juste) d’élaborer une espèce de mathématique abstraite de la complexification, mais certainement pas de faire de la prédiction.

La question est de savoir si l’approche inverse, celle des grosses simulations regorgeant de données, est vraiment plus efficace.

Rémi Sussan

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  1. Quel est la complexité algorithmique de Zanzibar tel que décrit dans le livre de SF de John Brunner ? Elle n’est peut être pas loin de l’Omega de Gregory Chaitin.