MesInfos : quand les “données personnelles” deviennent vraiment… personnelles

Que se passerait-il si, demain, les organisations partageaient les données personnelles qu’elles détiennent avec les individus qu’elles concernent, pour qu’ils en fassent ce que bon leur semble ? Quels usages, quelles connaissances, quels services, quels risques aussi, pourraient-ils émerger si les individus disposaient, non seulement du contrôle, mais de l’usage de ces données : leurs finances, leurs achats, leurs déplacements, leurs communications et leurs relations en ligne, leur navigation web, leur consommation d’énergie, etc. ?

Voilà tout juste un an, la Fing et un petit groupe d’entreprises, d’acteurs publics et de chercheurs décidaient de chercher ensemble les réponses à ces questions un peu iconoclastes : le projet MesInfos était né. Aujourd’hui, celui-ci s’apprête à passer à une nouvelle étape, celle de l’expérimentation.

Rééquilibrer la relation entre les individus et les organisations

L’idée de « restituer » leurs données aux individus émergeait tout naturellement du travail que nous menions en 2010 sur la « confiance numérique » (.pdf). Nous alertions alors sur le risque qu’une approche du marketing fondée sur une connaissance unilatérale et purement quantitative du client n’en vienne à faire disparaître toute possibilité réelle de dialogue entre le client et l’entreprise. Depuis, les « Big Data » (dans leur utilisation marketing) ont poussé la tendance jusqu’à son paroxysme : pourquoi perdre son temps à dialoguer avec un consommateur, puisqu’on sait déjà tout sur lui ?

Or aujourd’hui, les individus disposent des moyens de capter, stocker, traiter et échanger beaucoup d’information. Ils s’en servent pour discuter ensemble de ce qu’ils vivent ou évaluer des produits, pour s’échanger des avis ou des services, pour partager des biens. La seule chose qu’ils ne peuvent pas encore faire, c’est, lorsqu’ils le savent, de dire aux entreprises ce qu’ils veulent : ce pour quoi le britannique Alan Mitchell disait récemment que « le principal déficit que rencontre notre société ne réside pas dans la capacité de traiter un grand nombre de données, bien au contraire. Le défi est celui de la logistique de l’information : comment transmettre exactement la bonne information à, et depuis, les bonnes personnes, au bon format, au bon moment. Une affaire de « Toutes Petites Données » (Small Data). »

Pour des raisons similaires, Doc Searls inventait en 2006 l’expression « VRM » (Vendor Relationship Management), le symétrique côté consommateur du CRM, Customer Relationship Management). Son message : il est tout à fait compréhensible que les entreprises cherchent à devenir plus intelligentes à propos de leurs clients en exploitant des données personnelles – mais pourquoi les clients eux-mêmes ne pourraient-ils pas aussi s’en servir pour le devenir tout autant ? Et en définitive, la relation entre des entreprises et des clients également informés et outillés ne pourrait-elle pas produite plus de confiance et de fidélité que l’asymétrie actuelle ?

Efficacité économique et empowerment

Dans deux grands pays, ce mouvement s’engage déjà. Porté par le gouvernement britannique et 19 entreprises, le projet Midata se fixe pour objectif de « tirer parti du potentiel économique que représente, pour les entreprises, le basculement de leur relation clients d’une approche unilatérale de collecte des données à une approche de partage fondée sur une confiance mutuelle. » La perspective est économique : d’une part, des consommateurs plus exigeants et mieux en mesure d’exprimer leurs intentions rendront les marchés plus efficients ; d’autre part, un marché entièrement nouveau de services personnels fondés sur les données des individus pourrait émerger. Nous en voyons déjà les prémices avec les outils d’agrégation et de gestion de données financières (le Personal Finance Management) et les « coffres-forts numériques » ; des start-ups émergent en France et ailleurs autour du « cloud personnel« , de la gestion de sa vie privée numérique ou d’analyse de sa consommation en scannant ses tickets de caisse. Les Britanniques, eux, imaginent des comparateurs de prix qui, sur la base d’historiques longs de la consommation d’un foyer, pourraient non seulement aider à choisir ses fournisseurs, mais aussi permettre, par exemple, de faire des choix de consommation plus éthiques, ou plus écologiques…

Aux Etats-Unis, l’administration Obama multiplie les initiatives sectorielles de restitution des données aux individus : Blue Button (données de santé), Green Button (énergie), Purple Button (formation). Ici, la perspective est celle de l’empowerment des individus, outillés et mis en capacité de prendre de meilleures décisions, de faire des choix plus éclairés, d’exprimer leurs attentes et aspirations, de prendre en mains leur quotidien comme leur destinée (voir le dossier d’InternetActu.net sur la réutilisation des données personnelles).

Plus à gagner qu’à perdre

Bien sûr, ce véritable retournement de la relation client fait émerger beaucoup d’interrogations.

Les individus vont-ils se saisir de leurs données et des outils qui leur seront proposés et si oui, comment et à quelles fins ? Comment éviter que seuls les consommateurs les plus aisés, équipés, compétents, n’en tirent profit ? Probablement en se concentrant sur leurs préoccupations les plus quotidiennes (faire ses courses, gérer son budget, se déplacer…), ainsi qu’en proposant des applications aux bénéfices concrets, à l’instar du projet de design Refact d’User Studio (video) qui permet d’analyser ses factures de téléphone et, on l’imagine, de « scanner » le marché à la recherche d’offres plus adaptées à ses pratiques réelles. Un des services imaginés lors du premier Hackathon du projet britannique Midata croise les données financières d’un individu et celles de sa consommation énergétique, de son logement, de sa mobilité, pour lui proposer des pistes simples en vue de réduire ses factures et d’améliorer son bilan carbone : un service à valeur ajoutée vraiment personnalisé, permettant de trouver des solutions sur un marché complexe (le projet EmpowerMi de Jason Neylon et Chris Adams, vidéo).

Les organisations accepteront-elles de partager avec leurs clients des données qu’elles considèrent aujourd’hui comme l’un de leurs actifs les plus précieux ? Sans doute pas en l’absence, soit d’une menace (réglementaire ou concurrentielle), soit d’une idée claire de ce qu’elles pourraient y gagner : une relation client plus confiante, voire enrichie, des données plus à jour, la possibilité de proposer de nouveaux services, la perspective de se positionner sur de nouvelles activités rémunératrices, telles que le « Coach de Mobilité » imaginé par les participants d’un atelier MesInfos

Enfin, comment les données personnelles des individus circuleront-elles concrètement, où seront-elles conservées – et comment éviter l’émergence de nouveaux intermédiaires en position de monopole sur les données personnelles de millions de consommateurs ?

Obtenir les réponses du terrain

Pour esquisser la réponse à ces questions, l’équipe Fing et les partenaires de MesInfos ont fait le déplacement à Londres (.pdf) auprès des acteurs de Midata. Ils ont pris part aux discussions du « Project VRM », multiplié les ateliers, nourri un riche dossier de veille. Beaucoup de pistes ont déjà émergé, que nous réunirons prochainement dans un « Livre Vert ».

Pour en faire le tri, pour valider ou invalider certaines hypothèses, il nous faut désormais nous frotter au terrain.

Voilà pourquoi nous lancerons en 2013 l’expérimentation grandeur nature de MesInfos.

L’expérimentation mobilisera d’abord une dizaine (au moins) de grandes organisations détentrices de données personnelles et disposées à tester ce qu’il se passerait si elles les restituaient à leurs consommateurs : banques et assurances, distributeurs généralistes et pure players du web, opérateurs télécoms, transporteurs, fournisseurs d’énergie ou d’eau… La liste n’est pas close !

L’idée de regrouper plusieurs grandes organisations qui « couvrent » une part importante des pratiques quotidiennes des individus est essentielle : une entreprise isolée qui choisirait de partager ses données avec ses clients n’en apprendrait pas grand-chose, parce que la valeur de chaque donnée augmente de manière exponentielle à mesure que l’individu approche d’une vision « à 360° » de sa propre vie. Nous pensons que même les initiatives sectorielles des Américains risquent de rater l’essentiel et de cantonner les effets du retour aux individus de leurs données à une dimension de contrôle (vérifier ce que l’on sait sur moi, contrôler mes dépenses), alors que l’enjeu est de créer de la confiance et de la valeur.

300 individus “testeurs”, volontaires, clients de plusieurs des entreprises partenaires, seront associés à l’expérimentation. Ils accéderont à leurs données personnelles via une plateforme de données. Celle-ci sera alimentée par les organisations détentrices de données, mais aussi par les individus eux-mêmes, selon leur bon vouloir. Mais surtout, elle permettra à des développeurs extérieurs de proposer aux testeurs des applications qui tireront parti de leurs données : calculateurs, agrégateurs, simulateurs, comparateurs, applications thématiques (santé, alimentation, finances…). Les testeurs autoriseront ces applications à demander certaines données à la plateforme, qui leur y donnera accès sans forcément les autoriser à les conserver. Dans le cadre de l’expérimentation, nous chercherons à mobiliser la plus grande diversité possible de développeurs de telles applications, au travers d’une variété de formats : concours, ateliers, hackathons, speed datings entre petits acteurs et grandes entreprises… L’idée est d’amorcer la pompe en mobilisant start-ups, grandes entreprises, communautés du libre, designers et développeurs indépendants, étudiants d’établissements partenaires, chercheurs…

Enfin, des professionnels des études ainsi que des chercheurs observeront en permanence ce qui émerge de l’expérimentation, tant du côté des applications que des pratiques et de la perception des individus testeurs. Comment ceux-ci reçoivent-ils au départ leurs données ? Quels usages en imaginent-ils, quelles applications utilisent-ils ? Et comment évolue leur relation avec les organisations qui font le choix de leur restituer les données qui les concernent ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre.

L’expérimentation vise également à repérer en marchant, à la fois les difficultés concrètes que rencontreront les participants, les problèmes et risques inattendus, les idées ou les réponses pratiques qui émergeront de la pratique.

Lancé avant MesInfos, Midata n’est pas encore entré en phase d’expérimentation. La situation américaine est différente, faite à la fois d’une floraison de start-ups et de quelques initiatives très sectorielles. En nous engageant dès 2013 dans une expérimentation de terrain, nous nous placerions au même niveau que ces pionniers, voire un peu en avant.

Il n’y a plus à attendre : faisons de 2013 l’an 1 de la révolution des relations entre les individus et les organisations !

Marine Albarede, Renaud Francou, Daniel Kaplan

Intéressé ?

L’expérimentation MesInfos courra sur l’année 2013. Elle est aujourd’hui en phase de préfiguration.
> Voir le dossier de présentation (.pdf)

MesInfos cherche encore quelques partenaires, grandes entreprises détentrices de données, désireuses de participer à l’expérimentation. Parmi les domaines : énergie, services urbains, mobilité, distribution spécialisée, e-commerce…

Dans un second temps, avec l’aide des pôles de compétitivité associés au projet (Cap Digital, Industries du Commerce, Finance Innovation), nous proposerons à des entreprises innovantes, des designers, des équipes d’étudiants, des artistes, des chercheurs… de contribuer à faire émerger les concepts d’applications qui créeront de la valeur pour les gens à partir de leurs propres données.

Si vous êtes intéressé-e, n’hésitez pas à vous faire connaître en remplissant ce court formulaire !

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Très intéressant cette expériementation. Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez pas « réstituer » les données personnelles, car elle ont toujours appartenues aux personnes qu’elles concernent. La loi informatique et liberté est d’ailleurs très claire au sujet des droits dont les personnes sont titulaires (opposition au traitement de leurs données, droit d’accès, de modification, de suppression, etc.: voir ici pour le détail : http://www.donneespersonnelles.fr/les-droits).

    Un point qui peut vous intéresser également tient au nouveau projet de loi de l’administration Obama sur la protection des données personnelles qui date de janvier 2011 (bon ok plus si nouveau que ça) et qui justement va dans le même sens que la directive européenne.

    Article très intéressant sinon. Merci !

  2. @Données Personnelles
    Pardon de réagir si tard d’abord…
    En fait on parle ici plutôt d’un droit de « récupération » de ses données plutôt que d’accès ou de rectfication tels que le prévoit la loi de 78.
    Ce droit est rarement appliqué, notamment parce que les entreprises comme les administrations le rendent souvent difficilement utilisable : procédures
    complexes, délais longs, informations inexploitables transmises sur papier…
    En donnant accès aux individus à leurs données d’un clic, on rendrait ce droit
    plus effectif. En transmettant ces données dans un format lisible par des
    machines, on offrirait aussi à chacun une possibilité nouvelle : celle de tirer
    bénéfice de ces données pour son propre compte.
    C’est dans dans ce sens que nous entendons par « restituer ».

    Pour pousser le bouchon, cette voie permet d’éluder la question de la propriété des données.
    Aujourd’hui, les individus diront avec raison qu’elles leur appartiennent, les entreprises démontreront, arguments à la clef, que ces données sont les leurs car elles y ont mis les moyens pour les collecter, les stocker, les conserver, etc.
    Demain, dans un « monde MesInfos », la question n’a plus de sens (bien sûr, j’exagère) : chacune des 2 parties dispose des données et les exploite à ses propres fins.