L’analyse des grandes quantités de données – le Big Data – est appelée à révolutionner bien des domaines. L’emploi et les ressources humaines pourraient même devenir l’un de ses premiers terrains d’application.
Bien sûr, rappelle Steve Lohr dans Bits, le blog techno du New York Times, « la science de la force de travail » – comme on commence à l’appeler – n’est pas nouvelle. Le management « scientifique » et la mesure statistique de l’efficacité du travail ou du recrutement ont déjà connu bien des méthodes… (et pas que des succès) : « Ce qui est différent aujourd’hui », explique Mitchell Hoffman, économiste et chercheur à l’école de Management de Yale, « est le montant et le détail des données sur les travailleurs qui sont recueillies ».
L’étude de Hoffman et de ses collègues, intitulée « La valeur de l’embauche par les références » (.pdf) a fouillé les données de plusieurs sociétés dans trois secteurs différents (les centres d’appels téléphoniques, le transport et le secteur logiciel) portant sur plus d’un million de demandeurs d’emploi et plus de 70 000 employés sur plusieurs années.
Les chercheurs ont ainsi constaté que les embauches recommandées par des employés étaient 25 % plus rentables que les embauches non recommandées, mais seulement quand ces recommandations provenaient des travailleurs dont la productivité était supérieure à la moyenne. Une recommandation provenant de votre pire employé est pire que l’embauche d’un travailleur non recommandé, ironise Mitchell Hoffman.
Selon une autre étude (.pdf) menée par Evolv, une société qui utilise la science des données pour conseiller les entreprises qui embauchent des travailleurs à la tâche, et le Centre des ressources humaines de la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, dans les centres d’appels téléphoniques où les travailleurs gèrent un flux constant d’appels dans des conditions difficiles, les compétences de communication et de chaleur humaine du superviseur sont souvent cruciales pour la performance de l’employé. En fait, l’étude montre que la qualité du superviseur peut être plus importante que l’expérience individuelle et les attributs des travailleurs eux-mêmes. A contrario des idées reçues, une autre étude d’Evolv (.pdf) souligne que l’histoire passée d’un candidat n’est pas un bon moteur pour estimer ses résultats futurs. Ainsi, les employeurs ont tendance à éviter les candidats ayant des antécédents d’instabilité ou ceux qui ont été au chômage trop longtemps… sans que ces présupposés ne se vérifient dans les faits. Au contraire, les données révèlent qu’ils s’avèrent bien souvent de meilleurs employés que les autres.
Vers la science de la force de travail
Jusqu’à présent, les études sur le comportement des travailleurs étaient basées sur l’observation de quelques centaines de personnes, alors qu’aujourd’hui, elles peuvent inclure des milliers voire des dizaines de milliers d’employés, explique encore Steve Lohr dans un autre article livré au New York Times : Comment les Big Data tentent de fabriquer de meilleurs travailleurs.
« Nous assistons à une révolution dans la mesure, et cette révolution va transformer l’économie de l’organisation et l’économie personnelle », estime Erik Brynjolfsson, directeur du Centre des affaires numériques à la Sloan School of Management du MIT. La science de la force de travail a déjà ses champions, comme Peter Cappelli, directeur du Centre des ressources humaines à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie. L’analyse des e-mails, des messageries instantanées, des appels téléphoniques, du moindre clic de souris des employés peut désormais être mise au service d’une plus grande efficacité de l’entreprise. Les données produites par les travailleurs sont en passe de devenir un atout précieux.
IBM a récemment finalisé l’acquisition de Kenexa, pas tant pour son corps de psychologues et de spécialistes du management, mais surtout pour ses données : Kenexa a des données sur plus de 40 millions de demandeurs d’emplois et d’employés. eHarmony, le service de rencontre en ligne, a annoncé en janvier qu’il allait adapter son algorithme pour étudier les affinités des relations employeurs employés…
Tim Geisert, directeur du marketing pour Kenexa, a observé qu’une personnalité extravertie a toujours été supposée être le trait marquant du succès des vendeurs. Mais sa recherche, basée sur des données provenant de millions d’enquêtes, a montré que la caractéristique la plus importante reposait sur le « courage émotionnel », c’est-à-dire la capacité à poursuivre même après qu’on vous ait répondu non !
Google, qui a toujours utilisé les données avec beaucoup d’attention pour faire ses recrutements, a longtemps privilégié les résultats scolaires… Mais celles-ci ne se sont pas avérées un synonyme de réussite et elles ne sont désormais plus utilisée comme principal critère d’embauche, explique Prasad Setty, vice-président du département People Analysis (« l’analyse des gens »), le laboratoire des ressources humaines de Google. Depuis 2007, Google a mené des enquêtes approfondies sur ses équipes et a constaté que les employés les plus innovants sont ceux qui ont un fort sens de leur mission tout en ayant une large autonomie personnelle. « Nos décisions sur nos employés ne sont pas moins importantes que nos décisions sur nos produits », confit Prasad Setty, qui tente d’appliquer la même rigueur à l’humain qu’à l’ingénierie.
Evolv utilise la science des données pour conseiller les entreprises qui embauchent des travailleurs à la tâche. Pour son directeur général, Michael Housman, la science de la force de travail est appelée à être appliquée à de plus en plus de métiers et de professions. Evolv a d’abord travaillé pour des centres d’appels, un secteur où l’employabilité est souvent difficile. Le but, confie le directeur général était de commencer là où il y avait des opportunités pour apporter des améliorations. Neil Rae, vice-président de Transcom, un opérateur international de centres d’appels, a été impressionné par les résultats obtenus. Dans les centres d’appels, les taux d’abandon sont très forts, alors qu’il faut 4 à 6 semaines pour former un employé. Grâce à Evolv, Transcom a augmenté la durée de rétention des employés, faisant par la même une économie sur la formation, tout en assurant un meilleur service à la clientèle. Un système comme celui-ci rend l’embauche moins subjective, plus proche d’une science, estime Neil Rae.
Demain, votre score d’employabilité
L’analyse des données ne sert pas seulement à faire des études sur la force de travail, mais dès à présent, révolutionne le recrutement. Matt Richtell pour le New York Times revenait quant à lui sur « Comment les Big Data recrutent-ils les travailleurs spécialisés ? » en évoquant l’exemple de Jade Dominguez, un autodidacte de la programmation de 26 ans qui a appris seul à programmer sans jamais avoir fait d’études brillantes et qui est pourtant sorti en tête de la fouille de données menée par le programme d’analyse automatique Gild et que la firme, en mal de programmeurs, comme toute la Silicon Valley, a rapidement recruté.
Gild est une start-up qui ambitionne de révolutionner le recrutement de développeur par les Big Data. Parmi les principaux indicateurs pris en compte par la société, l’évaluation par les pairs des développeurs sur des sites de programmation communautaires comme Google Code, Github ou Bitbucket : le code proposé par le développeur est-il apprécié, réutilisé ? Comment communique-t-il ses idées ? Que dit-on de lui dans les réseaux sociaux ?…
Pour la directrice scientifique de Gild, Vivienne Ming, l’exemple de Jade montre que trop souvent les gens sont mal évalués par les processus classiques de recrutement. Même la Silicon Valley n’est pas aussi méritocratique qu’on l’imagine. Le genre, le nom, l’origine géographique ou ethnique, l’expérience passée ou les résultats scolaires sont trop souvent pris en considération par les employeurs…, et ce, sans raison. L’idée de l’algorithme de Gild est d’éliminer le biais humain pour le remplacer par quelque 300 facteurs plus raisonnés : les sites que les candidats utilisent, les types de langages informatiques qu’ils maîtrisent vraiment, la manière dont ils parlent des technologies, les projets sur lesquels le développeur a travaillé… Même l’école où il est passé n’est pas mesurée selon des critères subjectifs, mais selon le classement annuel des écoles américaines mis à jour.
Gild a déjà de la concurrence comme TalentBin, Remarkablehire ou Entelo … Pour Vivenne Ming, les Big Data n’éliminent pas le jugement humain, mais l’ordinateur permet d’appliquer un autre type de filtre pour trouver les gens compétents. Gild a accumulé une base de sept millions de programmeurs les classant selon un score et souhaite se développer sur d’autres métiers comme les concepteurs de sites web, les analystes financiers voire même les vendeurs…
Pour Bryan Power, directeur du recrutement de Square, qui a eu recours aux services de Gild sans embaucher les candidats recommandés, Gild offre de nouveaux outils de recrutement, mais son classement n’est pas assez spécifique pour les besoins de Square. « Gild a une opinion sur qui est bon, mais ce n’est pas si simple », explique-t-il en reconnaissant discuter avec Gild pour qu’ils affinent leur modèle. Pour Steve Goodman, PDG de Bright, une autre start-up de l’emploi à l’heure des Big Data, les Big Data sont une réponse au mauvais fonctionnement des sites d’annonces, expliquait-il sur GigaOm et notamment des très nombreuses offres d’emploi non pourvues. A l’heure où les recruteurs n’ont pas assez de temps pour lire tous les CV qu’ils reçoivent (ils passent en moyenne 6 secondes par CV, nous rappelle le spécialiste), et où les systèmes automatisés peinent à trier les candidats, les Big Data et les systèmes d’apprentissage automatique permettent de réduire les biais humains à la sélection en permettant d’identifier de meilleurs candidats… Reste que bien peu sont ceux qui s’intéressent aux candidats qui n’émergent pas de ces outils. Ne risque-t-on pas en démultipliant l’agrégation de données de nous focaliser toujours plus sur certains candidats – les mieux pourvus – au détriment des autres ? Ou élargit-on vraiment le choix ?
Candidats sous contrôle
Bien sûr, ces nouveaux outils posent des questions de vie privée sur les limites de la surveillance des travailleurs. « Le plus grand problème auquel nous confrontent les mesures en milieu de travail est qu’elles sont recueillies derrière un miroir sans tain », explique Marc Rotenberg, de l’Electronic Privacy Information Center. « Vous ne savez pas quelles données sont collectées ni comment elles sont utilisées ».
C’est particulièrement le cas du nouvel algorithme de Linked-in, le réseau social professionnel, nous explique Clara Leonard pour Zdnet.fr.
Linked-in, fort de quel que 200 millions de profils, a mis en place un algorithme qui se base sur les actions des recruteurs afin de leur proposer « les utilisateurs qu’ils devraient embaucher » dans la vaste base de CV dont le réseau social dispose. Le service baptisé « Recruiter » (recruteur, voir la vidéo promotionnelle qui détaille le fonctionnement du service) n’est accessible qu’aux entreprises ayant souscrit un compte premium payant – 16 000 entreprises en disposeraient déjà, ce qui, à 8000 euros par an, génère plus de la moitié des revenus de la start-up. Recruiter permet ni plus ni moins d’espionner les profils que le recruteur consulte, de les ajouter à des listes de candidats potentiels, d’entrer en contact avec les anciens employeurs ou d’être tenu au courant de qui s’attarde sur le profil d’un candidat, et ce…, sans que les utilisateurs eux-mêmes ne le sachent ! L’algorithme mis en place se base sur les actions du recruteur et se complexifie à mesure que l’employeur l’utilise, notamment en recommandant des utilisateurs à la formation et aux compétences similaires de ceux mis en sélection.
Comme le résume Alexandra Chang pour Wired, Recruiter propose plusieurs fonctionnalités uniques qui sont difficiles à construire ou à trouver ailleurs pour les entreprises : avoir accès à plus de 200 millions de profils (notamment de gens qui ne sont pas nécessairement à la recherche d’un emploi), un système permettant d’impliquer les employés passifs et la capacité à construire une image de marque de société (même si la fouille des données peut se faire aussi au détriment de votre société). L’avantage et la domination de Linked-in semblent sans conteste.
Quelles régulations à l’heure des Big Data ?
Ces nouveaux outils posent de fortes questions de régulation. Gild peut-il aspirer des forums ou des sites comme Github pour classer les développeurs, sans autorisation ? Peut-on autoriser des croisements de données, de critères, sans limites aucunes – non pas nécessairement en quantité, mais bien en qualité, c’est-à-dire non pas sur le nombre de croisements de données possibles, mais sur le fait de lier par exemple des données de compétences à d’autres liées à l’écoute de musique que font les gens par exemple ? Pourquoi l’utilisateur lambda n’est-il pas au courant de l’utilisation qui est faite de ses données par des services tiers ? Pourquoi ne recevons-nous pas de messages d’alertes nous informant que notre profil a été aspiré par telle société dans tel but, afin de donner notre accord ou pas ?
Dans le cas de Recruiter, il demeure étonnant que certains puissent avoir accès à nos profils sans que nous soyons au courant d’une activité sur celui-ci. Si la fonction existe sur Linked-In, l’utilisateur lambda n’a pas accès au détail de ceux qui ont consulté son profil et les utilisateurs de Recruiter peuvent se rendre invisibles à cette fonction (les utilisateurs lambda également). Même si Linked-In vient d’être relativement bien classé par l’Electronic Frontier Foundation dans son enquête sur les entreprises qui protègent le mieux les données de leurs utilisateurs des requêtes de justice et de police, nous sommes loin de la symétrie dans l’accès aux données qu’appelait de ses voeux Kevin Kelly.
Ce n’est peut-être pas très étonnant quand on sait que Reid Hoffman, le fondateur de Linked-in, ne semble pas tenir la vie privée en grande considération, rapporte Marc Cenedella, PDG de the Ladders, un service de mise en relation entre employeurs et demandeurs d’emplois (rappelant par là-même les déclarations de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ou Eric Schmidt le PDG de Google). En fait, ce qui paraît le plus gênant dans ce système, c’est bien l’asymétrie de service, c’est-à-dire que les usagers ne sont pas sur un pied d’égalité. Que les recruteurs aient des outils dédiés pour se faciliter la tâche, certes. Mais que le candidat n’ait pas accès dans le détail à qui consulte son profil ne peut que générer une tension, un déséquilibre…
Mesurer la productivité des employés
La surveillance des employés dans les entreprises quant à elle ne cesse de progresser. Mais après s’être intéressée aux e-mails, aux documents, et à l’utilisation d’internet (et notamment à l’utilisation des réseaux sociaux) par les employés, elle s’intéresse désormais à de nouveaux types de capteurs.
Tesco, le leader de la grande distribution, a récemment été l’objet d’une polémique quant à l’utilisation de brassards électroniques pour surveiller la productivité de ses employés, en donnant une durée pour accomplir certaines tâches et en établissant un score pour chacun des employés, rapportait The Independant.
Mais ce n’est pas la seule société à utiliser de nouveaux types de capteurs pour mesurer la productivité des employés, explique Rachel Emma Silverman pour le Wall Street Journal. La Bank of America a ainsi équipé 90 de ses employés des badges développés par Sociometrics Solutions (dont nous parlions déjà ici et là). Le but : étudier les mouvements et les interactions des employés afin de comprendre la façon dont ils travaillent et interagissent.
La récolte de données a montré que les travailleurs les plus productifs appartenaient à des équipes soudées qui parlaient souvent entre elles. Pour obtenir le même brassage, la Banque a donc décidé de favoriser les pauses en groupes plutôt que solitaires. Résultat : la productivité a augmenté de 10 %. D’autres entreprises qui ont utilisé cette technologie pour observer le comportement de leurs employés ont ainsi constaté que ceux qui au déjeuner mangeaient à des tables pour 12 étaient plus productifs que ceux qui mangeaient à des tables pour quatre personnes ; une autre que ses salles de réunions prévues pour 10 étaient utilisées en majorité par des groupes de 3 à 4 personnes…
Ben Waber, directeur général de Solutions sociométriques, fait signer à ses clients un contrat qui précise qu’il ne peut leur donner d’informations sur un employé en particulier, afin de garantir que le système ne serve pas à la surveillance particulière d’employés. Lewis Maltby, président de l’Institut national pour le droit du travail américain, souligne que ces technologies ne sont pas illégales… Mais que peu de fournisseurs de services refuseront de donner une information individuelle à un employeur qui paye la facture. Même avec des garanties (pas d’analyse de données nominatives, étude basée sur le volontariat…), pour les employés, le sentiment d’être tracé persiste, d’autant que l’étude de ces données permet par exemple de déterminer si un salarié est susceptible de démissionner à partir de ses seuls comportements…
Mettre des badges sur les travailleurs n’est que le début d’une tendance plus large, affirment les chercheurs du secteur. Beaucoup d’entreprises s’intéressent aux technologies des bâtiments intelligents leur permettant de surveiller l’emplacement des travailleurs en temps réel… D’autres s’apprêtent à aller plus loin encore, rapporte Klint Finley pour Wired. Chez Citizen, une société de technologie mobile de Portland, les employés de l’entreprise sont désormais invités à télécharger des données sur ce qu’ils mangent, leurs activités sportives et leur sommeil dans le cadre d’une étude visant à mesurer si la bonne santé les rend plus heureux et productifs. Le but ultime est de montrer explicitement aux employés comment ils peuvent améliorer leur travail en acquérant de meilleures habitudes personnelles. Le service baptisé C3PO (pour Citizen Evolutionary Process Organism) collecte des données de traceurs dont sont équipés les employés (comme Fitbit ou Runkeeper), mais également du système de gestion de projet interne, de RescueTime, une application qui mesure les logiciels que vous utilisez, de Sonos, un système hi-fi sans fil utilisé dans l’entreprise pour diffuser de la musique et de Happiily, un système d’enregistrement d’humeur auquel les employés sont invités à participer. L’idée est que le système permette bientôt de savoir si l’écoute de certains types de musique augmente la productivité, ou de savoir si les employés qui sont entrés dans une nouvelle relation amoureuse sont plus productifs que les célibataires (sic). Le directeur de l’entreprise envisage même d’afficher les statistiques de santé des employés sur le site web de la société !
Pour Beth Givens, directeur de Privacy Rights Clearinghouse, une organisation de défense de la vie privée, les employés ne devraient pas accepter d’utiliser un tel système, sauf s’il y a une convention de confidentialité qui empêche l’entreprise de prendre des décisions en matière de ressources humaines sur la base de données de santé. Pour l’instant, force est de concéder que le programme vient à peine de commencer. Il est volontaire et seulement 8 des 80 employés de Citizen y participent.
Les employés n’échapperont pas au développement de la mesure de leur activité
Chris Dancy, directeur de BMC Software, pense qu’il est temps pour les employés de prendre en main ces métriques, plutôt que de laisser les entreprises le faire pour vous, expliquait-il récemment à Wired. « Si vous pouvez le mesurer, quelqu’un le fera… et il serait mieux que ce quelqu’un soit vous ».
Adepte du quantified self, de la mesure de soi, Chris Dancy mesure son sommeil, sa tension et sa température. Mais pas seulement. Il note aussi tout ce qu’il fait dans le cadre de son travail, sur un simple Google Calendar : chaque réunion auquel il participe, chaque document qu’il créé, chaque tweet qu’il envoie, chaque fichier qu’il partage, chaque capture d’écran qu’il prend (très régulièrement) sont archivés et consignées dans son calendrier… lui permettant de répondre avec la plus grande précision si on lui demande ce qu’il a fait tel ou tel jour. Et il pense que chaque travailleur devra bientôt adopter un régime semblable. Regarder la courbe de son rythme cardiaque après un appel téléphonique peut vous donner une meilleure idée de la teneur de l’appel que vous venez de passer, explique-t-il. Pour Dancy, bientôt, les entreprises vont commencer à mesurer leurs employés de la même façon qu’il se mesure lui-même. Nous n’aurons pas le choix, constate-t-il, fataliste. « Les entreprises ont besoin de nouvelles mesures pour saisir la productivité des travailleurs de la connaissance. » Même si les travailleurs rejettent la surveillance orwellienne de leurs employeurs, les travailleurs individuels seront contraints d’utiliser l’autosuivi pour acquérir un avantage concurrentiel sur les autres.
Tomas Chamarro-Premuzic, cofondateur de MetaProfiling, concluait lui aussi, sur la plateforme de blogs de la Harvard Business Review que nous n’échapperions pas au recrutement par les algorithmes. « Nous allons bientôt assister à la prolifération des systèmes d’apprentissage automatique qui feront automatiquement correspondre les candidats aux emplois. Imaginer qu’au lieu de recevoir des recommandations de films de Netflix ou de vacances d’Expedia, vous receviez des propositions d’emploi de Monster ou Linked-in – et que ces emplois soient effectivement bons pour vous. » Demain, être absent des réseaux sociaux professionnels signifiera s’écarter du marché du travail – même s’il va falloir encore convaincre les jeunes de l’importance de ce type de réseaux. Demain, les recruteurs sauront synthétiser l’ensemble des informations disponibles en ligne pour générer des profils d’individus et cibler les talents.
Les Big Data s’apprêtent à améliorer l’embauche et le bien être des employés… Reste à savoir au bénéfice de qui ?
Hubert Guillaud
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La collecte aveugle de données finit toujours par être interpellée par son propre pourquoi.
Il s’agit-là de la recherche maximum de productivité personnelle.
Que va-t-il se passer lorsque des études montreront, par exemple, que les gens les plus productifs sont moins créatifs que la moyenne ou qu’ils transmettent moins le savoir, qu’ils s’adaptent moins bien au changement… en un mot que la maximisation de cet indice individuel est susceptible de nuire à la performance globale ?… On pénalisera sans doute ceux que l’on selectionnait auparavant.
Puis il aura d’autres études qui prouveront autre chose. Une autre mode pour d’autres algorithmes.
Il y a, et y aura sans doute toujours, un énorme fossé entre les capacités de recueil de données personnelles (pouvant être posées comme sans limite) et le caractère très primaire de la problématique de leur utilisation (plus facile à faire comprendre aux exécutants et aux décideurs).
Dans tous les domaines, la compilation des données personnelles est une arme surpuissante fournie aux approches bêtes… et c’est surtout çà qui fait peur.
Excellent article. Certes, il peut y avoir des dérives dans l’usage du Big Data, mais il faut reconnaître cependant qu’il est dans beaucoup de domaines source de progrès (la médecine par exemple).
Mon dernier ouvrage « Enjeux et usages du Big Data » (Editions Hermes Science – Lavoisier) permet d’approfondir le sujet. Il comporte entre autres une partie consacrée à la protection des données personnelles.
Lien : http://www.amazon.fr/livres/dp/2746245205
Un très bon article de fond. Intéressant, « open-minder » et quelque peu effrayant. A certains moments il m’a fait penser au film « Bienvenu à Gattaca »
Article passionnant Hubert ! et qui vient corroborer – pour le meilleur ou pour le pire 🙂 – un scénario fictif imaginé dans le cadre de l’expédition FING Dgiwork « 4-4 Effets collatéraux du capitalisme cognitif – “Venez avec tout ce que vous êtes, nous saurons vous récompenser”. A découvrir ici en bas de page : https://docs.google.com/forms/d/1HBl_9m-ZzPOOt8iGaW0P49uw8MvHzzGMp8wDiH-TxUI/edit
Finalement, le département ressources humaines de Google, rapporte Numerama, n’automatisera pas les promotions depuis un algorithme. « Des gens devraient prendre les décisions sur les gens ».