La seconde édition de la semaine européenne de l’open data se tenait cette année à Marseille du 25 au 28 juin 2013 (voir notre compte-rendu de la première édition qui se tenait à Nantes en mai 2012). Et l’impression d’ensemble est très différente de l’année dernière. Si la semaine était plus européenne (certainement du fait du partenariat avec le projet Homer, un projet européen qui travaille à l’harmonisation des politiques de réutilisation des données publiques), elle était aussi plus technique : la plupart des intervenants, porteurs de projets Open Data pour des collectivités publiques, étaient venus évoquer comment ils mettent en place leurs portails de données publiques. En parlant d’harmonisation, qui était le thème de la journée de conférence, l’Open Data est apparu sous un angle particulièrement austère : celui de spécialistes parlant à d’autres spécialistes. Comme si les problématiques techniques avaient pris le pas sur toutes les autres questions qui découlaient de ce sujet. C’est peut-être ce qu’il advient des projets quand ils mûrissent, quand les techniciens s’en emparent… et le font avancer. C’est peut-être une phase que connaissent nombre de projets avant de se rouvrir à des problématiques plus abordables, plus grand public.
Philippe Mussi, conseiller régional au Conseil Régional de Provence Alpes Côte d’Azur (Paca) qui introduisait la journée puisait dans l’actualité récente de l’ouverture des données publiques pour démontrer combien elles pouvaient être l’occasion d’ouvrir le débat politique et citoyen. Les conséquences de l’ouverture des données publiques ne sont pas sans effets de bords, comme au Brésil où les Brésiliens ont pu toucher l’ampleur des abus de leur fonction publique (notamment via la publication des salaires, primes, traitements et avantages en nature des élus). Ils ne sont peut-être pas la seule raison des mouvements sociaux que connaît le pays, il n’empêche, estime l’élu Vert du Conseil Régional : « l’ouverture des données, c’est la reprise en main par le citoyen de l’espace démocratique. Elles doivent être ouvertes, car c’est politique, et parce que c’est dangereux. Oui, les nouvelles libertés présentent des dangers. Dans un paysage général où le monde s’ouvre, où la transparence est à la fois demandée et imposée par la société, la transparence de la gestion publique est de toute première importance. On ne peut plus imaginer de démocratie fermée sur la propriété de la connaissance de la chose publique. Nous devons tous contribuer à cet objectif-là ! » Avant de reprendre une casquette plus locale pour vanter les réalisations de l’Open Data en Paca et son rôle pour stimuler l’économie locale.
Les enjeux de l’harmonisation ?
Gérald Santucci (@GeraldSantucci) est responsable de l’unité « partage des connaissances » à la Direction générale pour les réseaux de communication, les contenus et la technologie de la Commission européenne (la « DG Connect »). Son rôle est de conseiller la transformation de l’administration européenne, ses 13 000 agents et partenaires pour la rendre « plus ouverte, plus transparente et plus efficace ».
L’histoire de l’Open Data à la Commission européenne est récente rappelle Gérald Santucci, puisque ce sujet n’y a été ouvert qu’en décembre 2011 en présentant une stratégie en trois volets : une communication sur le sujet (.pdf), une proposition de révision de la directive de 2003 sur la réutilisation des données ouvertes (.pdf) et un travail de la commission sur le sujet. La récente charte sur l’Open Data adoptée par le dernier G8 a suivi l’adoption par l’Union européenne de la révision de la directive de 2003 sur l’ouverture des données du secteur public. Le problème est que les 5 grands principes définis par la charte du G8 et les 8 objectifs et critères de la révision européenne ne se recoupent pas forcément et que les délais de transposition dans les fonctionnements nationaux vont être longs à mettre en oeuvre. C’est ce à quoi s’attèlent les experts de la Plateforme de l’information du secteur public européen.
Pour la Commission européenne, l’Open Data est un levier économique et d’emploi. Selon une étude que les membres de la Commission européenne reprennent sans arrêt, l’ouverture et la réutilisation des données publiques pourraient occasionner chaque année 40 milliards de gains directs et 140 milliards de gains indirects. Certes, reconnaît Gérald Santucci, ces chiffres sont certainement inexacts, mais « ils nous donnent une responsabilité à faire de notre mieux pour les réaliser et les dépasser ». Pour lui, l’Open Data est un moyen pour trouver des solutions innovantes pour traiter les questions de société qui s’adressent à nous, qu’elles portent sur la santé, la mobilité, l’inclusion… Enfin, bien sûr, elle doit aider à rendre les administrations publiques « plus efficaces, plus transparentes, plus participatives », répète-t-il… « L’Europe a la responsabilité de donner l’exemple ».
Aujourd’hui en Europe, les initiatives sont multiples : Etats, régions, municipalités ouvrent leurs portails de données. La Commission européenne a également ouvert son portail. Depuis les données disponibles, il est possible de suivre par exemple l’évolution des 13 grands indicateurs européens d’activité, de compétitivité, de croissance, de santé… pays par pays. Pas sûr que ce soit un exemple éclairant… Bien moins en tout cas que les initiatives d’associations et de citoyens, comme celle de LobbyPlag qui permet de comparer des documents de lobbyistes avec les amendements de députés européens.
Pour l’avenir, l’Europe travaille à l’interopérabilité des données avec tous les niveaux de gouvernements et le projet LOD2 augure d’un portail de recherche de données publiques paneuropéen à partir de données liées.
« L’Europe est plus ambitieuse encore. Car le but ultime, derrière la croissance et l’emploi, est de contribuer par des services publics innovants, ouverts, transparents, coopératifs pour atteindre les objectifs stratégiques. Pour cela, il faut passer par l’Open Data, mais également, demain, par des services, processus et décisions ouverts. Nous devons travailler à établir la transparence. Les décisions des administrations doivent demain être fondées sur des preuves scientifiques et non pas sur des intuitions. »
Pour Gérald Santucci, les données doivent permettre de mettre en place des processus techniques fournissant des éléments de preuves pour piloter l’action publique conclut-il. Mais c’est peut-être là qu’il nous égare définitivement. De quoi les données sont-elles la preuve, à part de l’objectif pour lequel elles sont produites ? Tout le monde semble croire que la mesure, les indicateurs ont une valeur en soi, généralisable et unique… Comme le disait le sociologue Donald Campbell, cité par Dominique Dupagne : « Plus un indicateur quantitatif est utilisé pour prendre des décisions, plus il va être manipulé et plus son usage va aboutir à corrompre le processus qu’il était censé améliorer ». Et c’est finalement cela le plus effrayant dans le gouvernement algorithmique que dénonçait le philosophe Thomas Berns et que nous propose la vision de Gérald Santucci et de la Commission Européenne : croire que des données sortiront l’objectivité parfaite permettant de piloter la société. Ne sommes nous là pas en train de nous tromper d’objectifs ?
L’Open Data européen
De nombreux intervenants sont venus présenter ce qu’il se passait en Europe dans le domaine de l’Open Data.
Gabriella Serratrice, de la Région Piémont, a dressé le tableau de l’Open Data italien. Le portail national Dati.gov.it a été lancé en novembre 2011 et rassemble 2007 jeux de données provenant de 32 administrations (en France, à titre de comparaison, le portail Data.gouv.fr a été lancé le 5 décembre 2011 et compte à ce jour plus de 350 000 jeux de données). En Italie comme en France, ce sont là encore les régions qui ont bien souvent été pionnières, avec le portail de données du Piémont ouvert en 2010, puis celui de l’Emilie-Romagne, de la Vénétie… Dans le Piémont 419 jeux de données ont été ouverts sur des sujets très variés, 91 municipalités (sur 1200, souvent très petites) et plusieurs chambres de commerce y participent. En Italie également les acteurs travaillent avec les communautés de développeurs et s’initient à la coproduction de données avec les citoyens, tout en tentant de trouver des indicateurs de qualité pour mesurer l’impact de l’ouverture. Pas seulement au niveau de la transparence et de l’amélioration de l’administration, mais également comme facteur de développement de l’écosystème économique.
Luca Gueretta de la région Piémont a présenté le projet Homer, d’harmonisation des politiques d’ouverture des données de 8 pays européens (Italie, France, Espagne, Slovénie, Monténégro, Chypre, Grèce et Malte). Homer est né en 2011, alors que les technologies et les politiques d’ouverture des données n’étaient pas encore bien définies. Le réseau permet aux experts de partager leurs expériences et les bonnes pratiques. Il travaille à un guide opérationnel, à l’harmonisation des licences, à la fédération des portails de données publiques (via un moteur commun) et bien sûr, comme tous, à tenter de mesurer les impacts socio-économiques de l’ouverture des données. Homer s’apprête à lancer un projet pilote, Hack4Med pour encourager le développement d’application via des hackathons, c’est-à-dire des rencontres entre programmeurs pour exploiter les données publiques libérées.
Pour Hadley Beeman (@hadleybeeman) – qui travaille à la fois au Cabinet Office du gouvernement britannique et pour le W3C, et qui a fondé LinkedGov, une association qui rassemble la communauté qui travaille sur le sujet de l’Open Data au Royaume-Uni -, le rôle des gouvernements et des administrations publiques qui publient des données est, une fois ce travail fait proprement, d’organiser la communauté en tant que « leader ». Pour cela, ils doivent d’abord publier des données fiables, anonymisées, renseignées par des métadonnées et des licences qui permettent l’utilisation commerciale. Celles-ci doivent être gratuites ou peu chères afin que les gens qui souhaitent les utiliser puissent trouver leur modèle d’affaires. L’essentiel du travail consiste à accompagner les administrations qui détiennent des données (parfois sans le savoir), les aider à identifier celles qui peuvent avoir le plus de potentiel, les aider à les publier correctement. Les administrations doivent également aider les entreprises et les chercheurs à réutiliser les données et à ouvrir eux aussi leurs propres données. Si elles sont au coeur du mouvement Open Data, les administrations doivent en demeurer les leaders et continuer à montrer l’exemple.
Les acteurs des données publiques semblent convaincus de leur rôle. Ils semblent tous conscients que les données publiques sont un levier pour transformer l’acteur public et sa relation à la population. Mais les difficultés techniques sont partout : dans la publication des données, dans leur mise en relation, dans la difficulté à mesurer les effets qu’elles produisent, dans les nouvelles formes de relations avec les citoyens qu’elle force à inventer… Et également, dans la manière même dont elle demande à l’acteur public de remettre en cause et réévaluer sa propre politique. Rendre concret les grandes promesses de l’Open Data (l’ouverture, la transparence, l’efficacité, la participation…) n’est décidément pas si simple.
Hubert Guillaud
Retrouvez le dossier sur l’Open Data week 2013 :
- 1e partie : la technique a-t-elle pris le pas ?
- 2e partie : dépasser l’Open Data ?
- 3e partie : Et les gens ?