Sur Slate.com (@slate), la journaliste Amanda Hess (@amandahess) livre un long article sur l’état de la prévention au suicide en ligne aux Etats-Unis. Si les Etats-Unis ne sont pas le pays le plus touché par le suicide (cf. Wikipédia), la question de la prévention et des transformations des formes d’intervention à l’ère d’internet se posent avec autant d’acuité qu’ailleurs.
Elle revient en détail sur SuicideWatch, un espace dédié du forum géant Reddit qui compte quelques 35 000 abonnés, qui a été créé par les utilisateurs eux-mêmes parce qu’il était naturel pour beaucoup d’entre eux de pouvoir en parler sur Reddit. Elle rappelle que si le premier service d’assistance par téléphone est né en 1953 aux Etats-Unis, aujourd’hui, les plus jeunes ne l’utilisent pas beaucoup. Pour eux, il est devenu plus simple, plus naturel d’utiliser la messagerie instantanée ou les SMS que de passer un coup de fil. Pourtant, les associations de prévention ont encore du mal à intégrer le numérique dans leurs services. Sur les 165 centres d’appels locaux de prévention du suicide américains, seuls 36 disposent de services d’assistance par SMS et 45 par tchat. Mais nombre de centres bataillent déjà pour financer leur ligne téléphonique et n’ont pas les moyens pour développer leurs services en ligne. L’association nationale de prévention du suicide américaine a mis en place un compte Twitter en 2009 (@800273TALK) qui publie régulièrement quelques messages d’une grande platitude (du type « votre vie est importante ») et le rappel fréquent de son numéro de téléphone vert. Pas sûr que ce soit une communication très adaptée…
Cette relative défaillance des services sociaux n’a pas empêché l’internet de se mobiliser. Sur Google quand vous cherchez « Je veux mourir » ou « Suicide », le premier résultat vous propose un numéro de téléphone pour vous mettre en relation avec l’un des acteurs de la prévention du suicide. Le collectif d’activistes DoSomething.org a récemment lancé un service par SMS, Crisis Text Line. Dans le New Yorker, Alice Gregory revenait récemment en détail sur le lancement de Crisis Text Line et soulignait la force de ce mode de communication auprès des plus jeunes. Crisis Text Line reçoit jusqu’à 15 000 SMS par jours. Pour le psychologue Fred Conrad, directeur du programme de techniques d’enquête pour la recherche sociale à l’université du Michigan, les gens sont « plus susceptibles de révéler des informations sensibles via SMS que lors d’entretiens téléphoniques ». La messagerie offre un niveau de confidentialité que la voix humaine rend impossible : on n’a pas à s’entendre dire nos problèmes. Depuis son lancement, Crisis Text Line a multiplié les analyses de données pour aider sa cinquantaine d’employés à mieux répondre aux appels au secours, notamment en personnalisant les réponses pour mieux engager la conversation. Selon l’heure et l’origine géographique des textos, elle tente de prédire à quel type de difficultés vont être confrontés ses conseillers.
Mais ces services en ligne peinent à se connecter avec le principal groupe qui passe à l’acte : celui des jeunes hommes. 70 % des utilisateurs de Crisis Text Line sont des jeunes femmes et ce, alors que les jeunes hommes ont 4 fois plus tendance que les femmes à mourir suite à un suicide et ont moins tendance à appeler à l’aide avant qu’il ne soit trop tard.
Pour Amanda Hess, la prévention du suicide en ligne est très différente des hotlines traditionnelles. Alors que celles-ci proposent une oreille attentive à vos problèmes, les forums en ligne ont tendance à s’auto-organiser entre utilisateurs qui souffrent des mêmes maux. Sur SuicideWatch de Reddit, où les jeunes hommes semblent majoritaires, les utilisateurs y livrent leur désespoir auquel répond celui des autres, comme une manière de ne plus se sentir seul en partageant les mêmes douleurs. Des conversations se tissent, et c’est bien souvent l’une des meilleures réponses à ceux qui en manquent. Or, la présence en ligne des organisations de prévention du suicide est souvent différente, analyse Amanda Hess. L’association nationale de prévention du suicide encourage les amis de gens déprimés à leur envoyer des cartes électroniques avec des messages un peu naïfs et leur blog YouMatter se contente de phrases toutes faites, un peu creuses, sensées être encourageantes. Le Tumblr Suicide Watch par exemple est décoré de jolis petits papillons… Autant de réponses qui semblent inadaptées et ce d’autant que les recoins les plus sombres du net regorgent de sites pro-suicide, où jeux, blagues, GIF violents et moqueries répondent bien mieux aux stéréotypes masculins.
Toutes les réponses institutionnelles ne sont pas aussi inadaptées, estime la journaliste, en pointant le site ManTherapy, un site un peu décalé qui tente de demander à ceux qui l’utilisent s’ils estiment leurs problèmes « normaux » pour amorcer le dialogue. En effet, selon les psychologues, plus on est capable de reconnaître que d’autres éprouvent le même problème, plus on a tendance à accepter de l’assistance. Or, le problème des gens en dépression est de penser trop souvent que les autres ne les comprennent pas et le listing de questions auxquels ils doivent parfois répondre lors d’appels à l’aide téléphoniques les dissuade de parler plus que ne les encourage. En fait, estime Amanda Hess, l’immédiateté des forums en ligne permet de réduire le coût à y entrer.
SuicideWatch de Reddit a établi ses propres règles de modération : ceux qui modèrent le forum doivent éviter les réponses faciles et la culpabilisation, le prosélytisme de solutions religieuses ou médicamenteuses… Les modérateurs qui s’y impliquent font le lien entre les méthodes de prévention du suicide traditionnelle et la culture internet. Sur les hotlines comme sur les forums, la plupart des gens viennent exprimer leur détresse émotionnelle à la recherche de quelqu’un avec qui parler. En cela, l’internet offre une plus grande diversité de partenaires de discussion permettant de mieux adresser la diversité de ceux qui appellent à l’aide. SuicideWatch est différent à la fois par sa mixité de genre et à la fois par son équilibre entre assistance professionnelle et amateure.
Amanda Hess revient bien sûr sur les solutions technologiques développées par les entreprises de technologies. Samaritans Radar est une application qui fouille Twitter à la recherche de propos suicidaires. Reste à savoir si le fait que son désespoir soit remarqué par un robot permet de tendre la main à quelqu’un de désespéré ou lui fait ressentir plus vivement sa solitude…
Facebook a récemment lancé une nouvelle fonctionnalité pour prévenir le suicide permettant de signaler un message de détresse aux robots modérateurs de Facebook qui invite celui qui transmis le message à contacter son ami ! Mais cette personne peut également demander au réseau social d’intervenir en le signalant à un centre de prévention ou en lui faisant passer un message comme quoi ses amis s’inquiètent pour lui.
Une étude de psychologues de l’université de l’Alberta, en 2010, s’intéressant à une communauté en ligne d’adolescents parlant du suicide, a montré que les participants, en s’entraidant, dépassaient leurs propres tourments. Ceux qui appellent à l’aide se transforment en support des autres. Reste que les communautés informelles sont aussi confrontées à leurs problèmes : celui de laisser des messages sans réponses ou celui d’en faire trop, celui de ne pas distinguer un malaise d’un appel à l’aide urgent… Une récente méta-étude d’une revue de psychiatrie estime que les communautés en ligne de ce type ont tendance à entretenir le sentiment suicidaire plutôt que conduire au rétablissement. Une autre étude a montré que les bénévoles formés avaient tendance à apporter des réponses plus sophistiquées visant à encourager un changement dans l’attitude des suicidaires, alors que les pairs ou les bénévoles s’arrêtaient à l’empathie et à l’encouragement. Mais cela ne signifie pas que l’un n’est pas complémentaire de l’autre… La méta-étude a conclu que si les communautés en ligne ne sont pas en mesure de remplacer les services professionnels en termes d’apport de solutions, elles ne posent pas pour autant de risque pour les participants. Elles offrent le plus souvent un soutien précieux aux utilisateurs pour partager leurs problèmes et se sentir acceptés et compris. Et l’anonymat des forums en ligne est bien souvent la ressource la plus accessible des personnes en difficultés.
Hubert Guillaud
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Sur Cyborgology, la chercheuse Jenny Davis revient sur le développement d’un système automatisé de prévention du suicide sur Facebook. Derrière l’image de bienveillance dont cherche à se parer FB, c’est surtout des poursuites judiciaires dont cherche à se prémunir la firme de Zuckerberg. Jenny Davis pointe vers un intéressant article sur les affordances, c’est-à-dire les possibilités d’action des objets techniques qui se distinguent de ses propriétés et de ses effets. Une typologie qu’elle utilise pour analyser le dispositif mis en place par FB pour prévenir automatiquement le suicide. Pour elle, le dispositif est l’algorithme, qui détecte les émotions négatives et l’inquiétude des relations sociales. La fonction est la surveillance. Mais les résultats, eux, sont multiformes allant de la capture de plus de données, à la normalisation de la surveillance. Pour elle, quand FB demande aux utilisateurs s’ils ont besoin d’aide, il requiert de nouvelles données qu’il peut utiliser pour intervenir comme pour améliorer son système de détection. Pour la chercheuse, la dynamique de soi croise les logiques froides de l’économie de marché sans produire de catégorisation morale claire. Au contraire !