En route pour la dé-extinction (2/3) : les techniques

Les chercheurs ont envisagé plusieurs méthodes pour effectuer une dé-extinction.

La première d’entre elles ne nécessite aucune technique génétique particulière. Elle consiste à entamer un processus de sélection « à l’envers » sur des espèces domestiques qui descendent de l’animal à obtenir.

Les chiens descendent des loups, les vaches des aurochs, les chats de plus gros félins… Dans tous ces cas, au cours de milliers d’années de sélection par les éleveurs, ces animaux ont perdu une bonne part de leurs qualités existant à l’état sauvage pour devenir, peu à peu, les créatures domestiques (et souvent de plus petite taille) qu’on connaît. Peut-on, par un processus inverse, sélectionner et faire se reproduire les animaux possédant le plus de restes de ces caractéristiques antiques, pour petit à petit récupérer l’animal original ou originel ? Bref, peut-on obtenir un loup des steppes à partir d’un chihuahua ?

Le retour des aurochs ?


Comme la technologie ultra-moderne n’est pas nécessaire à l’élaboration d’un tel projet, il a pu être tenté dans le passé, et il l’a été… par les nazis. Deux frères, Lutz et Heinz Heck, directeurs des zoos de Berlin et de Munich, se sont lancés dans une tentative de recréation de l’auroch, ce bovidé sauvage qui parcourait les plaines de l’antique Europe. Selon Beth Shapiro, on dit qu’ils auraient agi sur l’ordre de Goering lui-même, grand amoureux de la chasse. Mais d’après un article paru dans Undark sous la plume de M.R. O’Connor (auteure d’un livre sur la dé-extinction, Resurrection Science : Conservation, De-Extinction and the Precarious Future of Wild Things) les objectifs auraient été tout à fait idéologiques :

« Alors que la science naturelle et le national-socialisme commençaient à se rencontrer, ressusciter les aurochs sauvages et indomptés – considérés comme un « sinnbild der Urkraft », ou «symbole de la force primitive» et un exemple de la faune primordiale qui incarnait les véritables idéaux germaniques – devint une mesure du pouvoir nazi lui-même. »

Succès ? Selon Beth Shapiro, Heinz Heck aurait affirmé avoir réussi lorsqu’il a donné naissance, en 1932, à un veau à l’apparence effectivement plus « primitive ». Cette race bovine continue aujourd’hui à exister, elle supporte effectivement mieux le froid que ses cousines, mais elle reste plus petite et différente par bien des aspects de l’auroch original.

Reste que l’idée de faire revenir l’auroch ne s’est pas arrêtée avec le nazisme, et aujourd’hui des chercheurs bien plus sérieux continuent à travailler sur ce mode de sélection artificielle. Ainsi, nous apprend le site Futurism, le projet Rewilding Europe développe ainsi un programme pour faire revenir les aurochs dans nos contrées.

Clonage et modification génétique


Une autre technique de dé-extinction demande des moyens plus modernes, c’est le clonage classique.

Pour effectuer un clonage, on prend le noyau d’une cellule somatique et on l’introduit à l’intérieur d’un ovule. On introduit ladite cellule dans le corps d’une mère porteuse, qui mènera à terme la constitution du nouvel organisme.

C’est une méthode qu’on a tentée avec le bouquetin des Pyrénées, espèce qui s’est éteinte en 2000. Mais avant la mort de sa dernière représentante nommée Celia, on a pris des cellules de cette dernière pour tenter de faire survivre sa descendance. En 2003 naquit ainsi un clone de Celia, qui ne vécut malheureusement que quelques heures avant de succomber.

Pour les espèces plus anciennes, en revanche, le processus est bien plus difficile. C’est là qu’il faut recourir aux techniques de modification génétique de type CRISPR.

Tout d’abord il faut retrouver les échantillons les plus susceptibles de contenir des parties importantes du génome, mais la plupart du temps, les chromosomes sont réduits en purée. En effet, l’ADN se dégrade dès les premières heures suivant le décès. Alors, imaginez ce qui reste après des centaines d’années, voire des milliers ! Ceci dit, la durée de survie de la molécule varie grandement selon les conditions. Par exemple, le froid a tendance à la conserver plus longtemps. Encore une raison pour s’intéresser au mammouth, dont la plupart des restes sont enterrés en région arctique, dans le permafrost (c’est-à-dire des couches souterraines gelées en permanence).

Il va sans dire qu’un seul échantillon de l’animal ne suffit pas : il en faut souvent des milliers, pour récupérer un maximum de ces toutes petites séquences d’ADN. Naturellement, il y a des tas de complications. Bien souvent, l’ADN récupéré est le produit d’une contamination et appartient à d’autres organismes, tout à fait contemporains. Et le fait que les chercheurs travaillent dans des conditions ultra-stériles n’y change pas grand-chose. Cette contamination s’est généralement opérée bien avant que l’échantillon soit repéré par les chercheurs. Par exemple les moutons sont arrivés en Nouvelle-Zélande bien des siècles après la disparition des Moas. Cela n’empêche pas l’ADN de mouton contenu dans leurs urines d’avoir pénétré profondément dans le sol, jusqu’à un niveau où les fossiles de Moa étaient enterrés.

Une fois qu’on a récupéré suffisamment d’ADN et éliminé les éventuels éléments étrangers, comment procède-t-on pour remettre le puzzle en ordre ? On utilise pour cela un « génome de référence », autrement dit le code génétique d’un animal très proche de celui sur lequel on travaille. L’équipe qui a séquencé le génome du Moa s’est basée sur celui de l’émeu, un autre oiseau de l’hémisphère sud, proche cousin de l’espèce disparue. Pour le mammouth, ce serait l’éléphant d’Asie. Et pour l’homme de Neandertal, évidemment le génome de référence est l’être humain contemporain.

Mais évidemment, ce n’est pas si simple ; si les deux génomes étaient totalement identiques, eh bien ce serait le même animal et il n’y aurait rien à faire ! Beth Shapiro compare la situation avec une boite de puzzle. L’image à reconstituer est représentée sur la boite, mais il peut y avoir quelques différences avec le puzzle réel : les couleurs peuvent être différentes, etc. Évidemment, plus les cousins sont éloignés, plus la représentation « sur la boite » s’éloigne du puzzle à réaliser. Dans le cas du néandertalien, par exemple, cela apparaît comme – relativement – facile. L’homo sapiens n’est éloigné de lui que par un demi-million d’années maximum, le processus d’évolution darwinienne n’a pas eu le temps de séparer franchement les deux espèces (la preuve en est d’ailleurs que les sapiens et les néandertaliens pouvaient se reproduire entre eux).

Reste ensuite à recréer le génome en question. Pour cela, on se servira encore de la « référence ». On réintroduira dans l’ADN de l’organisme contemporain des gènes appartenant à la race de son ancêtre. Autrement dit, par exemple, on insérera chez l’éléphant des caractéristiques propres au mammouth, comme la résistance au froid, ou la capacité d’avoir de longs poils. En fait, on ne « dé-éteindra » pas complètement le mammouth. On créera plutôt un éléphant modifié ayant des caractéristiques du mammouth. Pour faire naitre le spécimen, on recourra à la technique déjà utilisée par le clonage classique, c’est-à-dire le transfert du noyau « modifié » dans un ovule d’une mère porteuse appartenant à l’espèce de référence.

Cette étape possède aussi son lot de difficultés. Par exemple, la femelle éléphant produit très peu d’ovules. Il serait scandaleux, sur le plan éthique, de prélever des centaines d’ovules sur les éléphantes d’Asie (car rappelons, un clonage ne marche pas systématiquement, et il faut souvent répéter l’opération des centaines de fois pour obtenir un embryon viable), alors que cette espèce est elle-même menacée. Par chance, nous dit Shapiro, on a réussi à faire produire des ovules d’éléphantes par des souris !

Enfin, cette technique ne fonctionne que sur les mammifères. La reproduction ovipare des oiseaux est beaucoup plus difficilement manipulable. Pour le pigeon migrateur, il faudra procéder autrement. La technique envisagée par Beth Shapiro consisterait à modifier les cellules germinales de l’oiseau à naître, c’est-à-dire les cellules, masculines ou féminines, qui lui serviront plus tard à sa reproduction. L’animal ainsi modifié appartiendrait complètement à l’espèce de ses parents, mais certains de ses enfants, eux, devraient posséder des caractéristiques appartenant à l’espèce disparue.

Modifier l’ADN ne suffit pas


Reste qu’il ne faut pas se cantonner à la génétique : l’ADN n’est pas tout ! Même si un jour on réalise une telle dé-extinction, rien ne garantit que des éléments appartenant à l’épigenèse, voire à la culture animale, ne vont pas manquer et modifier profondément le nouvel organisme. Comme se le demande Beth Shapiro : « L’épigénétique compliquera-t-elle les efforts de dé-extinction ? Nous ne savons pas. Si nous modifions un gène d’éléphant contenant des séquences d’ADN de mammouth, il commencera à se développer et contiendra l’épigénome d’une l’éléphante. Dans l’utérus, il sera exposé à l’environnement de développement d’un éléphant : une mère qui a une alimentation d’éléphant, vit dans l’habitat de l’éléphant et exprime des gènes d’éléphant. Il survivra grâce au placenta de l’éléphante, qui exprimera des gènes d’éléphant modifiés par l’épigénome de cette éléphante. »

Et la vie prénatale n’est pas le seul problème : « Qu’en est-il de l’environnement après la naissance ? Les changements épigénétiques s’accumulent tout au long de la vie et sont influencés par l’environnement dans lequel vit un organisme. Jusqu’où ressembler à un mammouth et agir comme lui est-il dû à un génome de mammouth, et jusqu’où cela est-il causé par la vie dans la toundra ? C’est quelque chose qu’il nous faudra apprendre avec le temps. »

Rémi Sussan

Le dossier « En route pour la dé-extinction »

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