En route pour la dé-extinction (3/3) : restaurer l’écosystème

S’il y a une chose à retenir du livre de Beth Shapiro, et par extension de l’ensemble des recherches en dé-extinction, c’est bien l’idée qu’il s’agit de restaurer des interactions écologiques plus que des espèces proprement dites. Et qu’il s’agit moins de ressusciter de « vrais mammouths » que d’enfanter des éléphants susceptibles de vivre dans un environnement analogue à celui des mammouths…

Créer une population


Mais avant de lâcher ces animaux modifiés dans la nature, il faudra vaincre les difficultés de la dernière étape : créer toute une population viable. Et là encore, c’est loin d’être une chose facile.

Ce ne sera déjà pas évident d’obtenir le premier ovule ! A partir de là, plusieurs solutions s’offriront aux chercheurs. La première consistera à cloner cette cellule embryonnaire. Opération somme toute assez facile, mais qui donnera naissance à une population totalement dénuée de diversité génétique. Cela peut rendre sa survie à long terme assez hypothétique, car en cas d’événements catastrophiques (maladie, bouleversement écologique) tous les animaux auront le même type de réaction, et l’espèce pourrait s’éteindre en cas de mauvaise adaptation. Ceci dit, Shapiro nous rappelle que des espèces peuvent très bien survivre avec une faible diversité génétique, comme les ours blancs et… les êtres humains – qui est l’espèce de primate possédant le taux de diversité le plus pauvre ! Autre possibilité : créer une petite population et la laisser se reproduire avec les membres de l’espèce de « référence » ; mais alors les modifications génétiques obtenues après tant de difficultés risquent d’être perdues. Reste la dernière solution : recommencer la première opération en modifiant des cellules différentes de l’individu d’origines, pour créer une population la plus variée possible. Mais rien ne garantit que les modifications donneront les mêmes résultats sur des cellules différentes.

Une fois qu’on aura obtenu une population, pourra-t-on la lâcher immédiatement dans la nature ?

Évidemment non ! Même si le but n’est pas de maintenir les animaux enfermés dans un zoo, il y aura tout de même une phase de captivité. Et là, autre problème tous les animaux ne réagissent pas de la même manière face à celle-ci. Les éléphants, par exemple, la vivent très mal, ce qui augure mal du comportement des futurs « mammouths »…

Il faudra aussi « éduquer les petits », ce qui peut s’avérer facile s’il s’agit d’espèces très « câblées » génétiquement, beaucoup plus difficile pour les animaux très sociaux (comme, encore eux, les éléphants). A noter que la question s’est déjà posée lors de la sauvegarde d’espèces en voie de disparition, en dehors de tout projet de dé-extinction. Beth Shapiro mentionne l’exemple du condor de Californie. Donné comme pratiquement disparu en 1982, les écologistes avaient capturé les derniers spécimens restants, et avaient réussi par une astuce à faire pondre aux dernières femelles condor plus d’oeufs qu’elles ne pouvaient éduquer d’oisillons. Ce sont donc des humains qui se sont chargés de l’éducation, mais ils risquaient, s’ils se présentaient sous leur aspect réel, de favoriser une attitude des nouveaux nés par trop favorables à l’espèce humaine, ce qui pourrait s’avérer dangereux par la suite. Les éleveurs utilisèrent alors des marionnettes à l’effigie de condors pour dispenser leur enseignement !

Par la suite les condors ont été relâchés dans la nature et l’opération a été un succès.

L’impact écologique


Imaginons que tous ces problèmes aient été résolus. Quel sera l’impact de ces nouvelles espèces sur les écosystèmes ? Quel intérêt de ressusciter le pigeon migrateur ? Ou le mammouth laineux ?

Pour le premier cas, la fondation Revive and Restore donne une explication assez complète du rôle de ces oiseaux dans l’écosystème nord-américain. C’est assez paradoxal comme souvent avec les systèmes complexes, mais il se trouve que les vols de milliers de ces volatiles avaient tendance à perturber la stabilité des forêts américaines, parce qu’ils détruisaient le sommet d’un grand nombre d’arbres, ouvrant ainsi la canopée, ce toit vert qui recouvre les forêts les plus denses. Loin d’en faire des animaux nuisibles, cette « destruction créative » favorisait la variation et le renouvellement de la flore forestière.

Comme l’explique la légende de l’image ci-dessous :

« Après une perturbation de la canopée, un habitat ouvert dans celle-ci permet au soleil de stimuler la colonisation successive des herbes, des fleurs, des arbustes et des fourrés. Les communautés d’insectes, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères changent à mesure que les vieux arbres se régénèrent, que de nouveaux arbres germent et mûrissent, et que la forêt referme de nouveau sa canopée. »

Malgré toutes les difficultés mentionnées pour les ressusciter, les mammouths auront au moins une chance, celle de disposer d’un lieu où se développer, le parc du pléistocène de Sergey Zimov. Celui-ci cherche à redonner vie à la toundra en réintroduisant des animaux qui proliféraient dans cette région il y a plus de 12 000 ans. Il ne s’agit pas, précise Nikita Zimov, le fils de Sergey Zimov dans la vidéo ci-dessous (an anglais, mais avec des sous-titres), de créer un lieu touristique ou en tout cas sans utilité immédiate. La théorie derrière ce projet, est, comme l’explique encore Nikita Zimov, que « les animaux peuvent maintenir l’écosystème, créer l’écosystème, développer l’écosystème ».

Le retour de gros herbivores dans cette partie du globe pourrait transformer un écosystème appauvri en un environnement beaucoup plus riche. En paissant, les mammouths renouvelleraient le sol, déplaceraient les graines et reverdiraient très vite la région. Mais ce n’est pas tout. Dans le sol de la toundra se trouve enfermée une grande quantité de gaz carbonique : environ 1400 gigatonnes, soit deux fois plus qu’il n’en existe dans l’atmosphère actuelle. Par chance, ce gaz est bloqué par le sol gelé, qui l’empêche de s’échapper… Pour l’instant.

Mais aujourd’hui, les étés sont plus chauds tandis qu’en hiver, la neige qui s’accumule (et qui n’a qu’une température de zéro degré) empêche le permafrost de conserver un niveau de froid suffisant pour maintenir prisonnier le gaz dans le sous-sol. Il y a plusieurs années, le permafrost possédait une température de -6 degrés. Aujourd’hui, il est à -3. S’il gagne encore trois degrés, explique Sergey Zimov dans la vidéo, le carbone qui y est capturé s’échappera dans l’atmosphère… »Nous sommes assis sur une énorme bombe de gaz carbonique », renchérit son fils.


Image : dans le permafrost, au parc du pléistocène..

Si de grands herbivores parcouraient la toundra en hiver, ils auraient tendance à déplacer la neige. Le sol serait alors en contact plus direct avec le froid arctique (à la température bien plus basse que celle de la neige). Ces animaux aideraient donc à maintenir l’intégrité du permafrost… et donc à sauver la planète d’une catastrophe climatique supplémentaire. Aujourd’hui, il y a déjà de grands herbivores dans le parc du pléistocène, comme des bisons, des rennes… Mais de très gros animaux, comme les mammouths ou les rhinocéros laineux, contribueraient encore plus au refroidissement du permafrost.

Que penser finalement de toutes ces recherches sur la dé-extinction ? On l’a vu, rien n’est impossible dans cette initiative, bien que de nombreuses difficultés existent à toutes les étapes du projet, qui, si elles ne sont pas résolues feront capoter entièrement la tentative.

Ce qui me frappe le plus dans ces travaux, cependant, c’est la manière dont ils permettent de repenser complètement des sujets qu’on croyait bien connaître, tels que la définition d’une espèce animale, comment fonctionne un écosystème, etc. Le simple fait de penser le projet met en lumière une multitude de phénomènes qui étaient connus auparavant (le rôle des pigeons migrateurs sur la canopée, par exemple, le problème de gaz carbonique séquestré dans toundra, etc.), mais qui n’avaient pas forcément été intégrés dans une vision globale. Il me semble que la dé-extinction pourrait bien être un exemple de la science de demain, celle qui se développera lors de ce que Danny Hillis a nommé « l’âge de l’intrication », précisant que nous entrons dans une époque où : « contrairement aux Lumières, où les progrès ont été analytiques et consistaient à séparer les choses les unes des autres, les progrès dans l’âge de l’intrication seront synthétiques et consisterons à réunir les choses. Au lieu de classifier des organismes, nous les construirons. Au lieu de découvrir de Nouveaux Mondes, nous les créerons. » (Re)créer une espèce, construire des écosystèmes comme le parc du pléistocène, nous aide à comprendre un système complexe comme la biosphère.

Peu importe finalement que les opérations de « dé-extinction » aient vraiment lieu comme imaginées, ou que nous découvrions des moyens plus efficaces ou plus aisés de sauvegarder la biodiversité et le climat. Le projet aura fait avancer les choses : il nous aura permis d’augmenter notre compréhension des interactions écologiques et il aura produit de la pensée originale et stimulante – n’est-ce pas ce qui compte le plus ?

Rémi Sussan

Le dossier « En route pour la dé-extinction »

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