Les weblogs : du phénomène à la révolution

par Daniel Kaplan et Hubert Guillaud

Le mouvement des pages personnelles n’est pas nouveau, au contraire. Depuis les tous premiers temps du web, des chercheurs, puis très vite toute sorte de gens se sont saisis du web comme d’un mode d’expression, de partage d’idées voire de publication personnelle. La croissance exponentielle du nombre de pages personnelles [1] s’est accompagnée d’une multitude d’outils pour aider à leur réalisation. Les fournisseurs d’accès et les hébergeurs proposent depuis longtemps des outils pour faciliter la création et la gestion des sites personnels, mais ceux-ci restaient soit limités, soit difficile d’utilisation. Pour publier sur le web, il restait nécessaire d’apprendre le maniement d’un logiciel de mise en page et d’un outil de publication, le langage HTML, la synchronisation entre online et offline…
Désormais, avec les blogues (ou weblogs), l’internaute n’a besoin que d’un navigateur et de ses codes d’accès. Il peut publier, mettre à jour, corriger ses informations à partir de n’importe quel ordinateur, n’importe où dans le monde, même depuis son téléphone mobile. Les blogues permettent à tout un chacun de structurer son site, non plus sous la forme d’une collection de pages, mais sous celle d’un système de navigation dans des bases de données – comme le font depuis des années les sites professionnels. Finies les pages personnelles et statiques de papa : via les Spips, Wikis et autres Bloggers, le dynamisme et la réactivité sont désormais accessibles à tous, d’un clic.

Etymologiquement, le weblog vient de l’anglais to log, c’est-à-dire se connecter, mais aussi enregistrer une suite d’événements, garder une trace au fur et à mesure. D’où souvent l’impression d’une avalanche d’informations dépareillées cachée derrière cette accumulation, avec comme point commun ce regard un tantinet narcissique porté sur soi-même et sa production. Pourtant ces outils intègrent la plupart du temps la possibilité de proposer aux lecteurs de "réagir" à chaque information, voire de publier eux-mêmes ou encore de modifier certaines pages. Si le weblog permet avant tout de « montrer son nombril », il appelle aussi, concomitamment, à la réaction. Aujourd’hui, ces réactions sont encore souvent le fait de happy fews, les débats ressemblent encore beaucoup à des dialogues, certes parfois intéressants… Certains blogueurs s’appuient sur cette fonction pour susciter le débat autour de leurs écrits, enrichir l’analyse ou encore inciter les visiteurs à soumettre des papiers. D’autres s’essaient à des démarches à plusieurs mains, voir pleinement communautaires et ouvertes, avec des systèmes de validation et de cooptation plus ou moins poussés. Certains sites apparaissent comme les successeurs des newsgroups, dont l’usage a considérablement décliné depuis les premiers temps de l’internet. Mais les usages communautaires réussis sont encore rares. Le ciment d’une construction à plusieurs est toujours plus difficile à prendre.

Pour ses plus chauds partisans, le blogue devient ainsi une attitude, une démarche, plutôt qu’un outil : certains parlent même de révolution. Au sein de la « blogosphère », les sites et leurs auteurs communiquent entre eux de mille manières, unis non pas par des thèmes particuliers, mais par la passion du blogue. Des protocoles tels que RSS (voir ci-dessous), des annuaires, des moteurs de recherches… relient les blogues entre eux et permettent à chacun de référencer les informations des autres dans une chaîne potentiellement infinie… mais aujourd’hui vite circulaire. Au cœur de la blogosphère, parmi les militants du blogue, se développent ainsi une culture commune, des codes et parfois, le sentiment que seuls les plus actifs blogueurs sont en mesure de s’exprimer sur ce phénomène et d’en comprendre l’importance [2].

Cependant les choses bougent. D’abord parce que cette simplicité, cette souplesse sont à l’origine d’une extraordinaire floraison de sites, d’une qualité inégale mais croissante. A côté de milliers de journaux (pas si) intimes, les blogues sont aussi les supports d’information de communautés de tous ordres, ou encore, comme les warblogs l’ont démontré pendant la guerre en Irak, de véritables outils d’information alternatifs. Les blogues quittent les communautés des passionnés d’informatique pour gagner d’autres communautés et par là même d’autres thématiques que celles des nouvelles technos [3]. Avec des blogues de projets, des sites de villes, des carnets de voyages, ou même des sites de naissances, on voit poindre la même diversité de sujets que celle que l’on trouve dans les annuaires de pages personnelles.
Ensuite, parce que de nouveaux types d’outils dédiés à de nouveaux types d’usages apparaissent sans cesse : moblogs (blogues administrés depuis des outils mobiles), audioblogs (blogues avec des posts et des commentaires audios enregistrés par téléphones), photoblogs, …
Au total, le panel d’usage des blogues n’arrête pas de s’élargir. Avec les weblogs, un nouveau web se dessine, qui n’est pas que de la technicité en moins et de la liberté en plus. C’est aussi un web ordonné différemment : là où régnait parfois le classement alphabétique ou l’ordonnancement thématique, s’impose plus volontiers le classement temporel [4]. L’actualité, la nouveauté priment. C’est enfin, un web qui retrouve l’esprit de ses origines : la réactivité, qui était jusqu’alors l’apanage du courrier électronique, des forums ou de la messagerie instantanée, est en train d’envahir le web. Et peut-être que ce nouvel angle sous lequel voir le monde explique en partie l’engouement – certes encore quantitativement relatif – que rencontrent les weblogs. En tout cas, parions que de liens en liens, se dessine une nouvelle cartographie du web : plus réactive c’est sûr, et, on l’espère, plus participative encore.

Daniel Kaplan et Hubert Guillaud

 

Au sommaire de notre dossier sur les blogues
Just post it par Guillaume Chazouillères
Vous avez dit wiki  ?
Spip toujours  !
Syndication et agrégation de contenus : les RSS (Rich Site Summary)
Pour aller plus loin

[1]. En juin 2002, l’AFA recensait 3 275 000 pages personnelles hébergées en France sur les serveurs de ses adhérents, un chiffre considérable, mais une goutte d’eau dans l’océan mondial des pages perso qu’on estime à près de 100 millions de pages.
[2]. Ainsi par exemple, quand nous avons confié à Guillaume Chazouillères le soin de préparer un article sur le sujet, la communauté s’est agitée. Après que notre journaliste eut envoyé des mails pour préparer son enquête, les blogueurs se sont fait passer l’info et se sont répondus les uns les autres. Qu’importe si ces posts étaient critiques ou bienveillants, dans le petit monde de la blogosphère, l’article prenait une résonance que rarement une préparation d’article a pu prendre, alors qu’aucune ligne n’était encore écrite.
Les réactions à l’enquête de notre journaliste, chronologiquement  :
http://immersion.monblogue.com/2003/04/11#12750 puis http://mediatic.blogspot.com/2003_04_01_mediatic_archive.html#200134916 et http://mediatic.blogspot.com/2003_04_01_mediatic_archive.html#200141585 puis http://chryde.free.fr/2003_04_13_archive.php3#200149194 et http://mediatic.blogspot.com/2003_04_01_mediatic_archive.html#200149292 et http://immersion.monblogue.com/2003/04/15#13143 et http://mediatic.blogspot.com/2003_04_01_mediatic_archive.html#200152197
[3]. Ainsi par exemple, quand on regarde la liste des sites déclarant utiliser Spip (http://www.uzine.net/article884.html), on reste surpris de la diversité des thématiques abordées.
[4]. Tous ces systèmes de publication ont comme critère de classement par défaut la date de publication.

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