Les déconnexionnistes – New Inquiry

Pour le New Inquiry, le sociologue Nathan Jurgenson (@nathanjurgenson), prolongeant sa critique du fétichisme IRL explique que le mouvement déconnexionniste ne vise pas tant à se retrouver soi-même qu’à étouffer le désir d’autonomie que la technologie peut inspirer. 

Jurgenson passe en revue les innombrables discours sur la panique morale provoquée par “l’addiction” aux technologies. D’où viennent ces juges autoproclamés qui viennent faire la morale à notre connexion immodérée ? Chez eux, la connexion est décrite comme quelque chose visant à nous avilir, quelque chose de contre nature. Elle est dépeinte comme un désir dangereux, un plaisir malsain, une toxine addictive… qui met en danger notre intégrité humaine elle-même. Elle décrit une tension entre le soi comme produit d’une construction individuelle et le soi comme produit d’une construction sociale. Or, nous avons du mal à admettre que nous sommes le résultat d’interactions sociales. Le discours de la déconnexion pourtant propose surtout de revenir à des interactions sociales réelles (IRL) plus que de s’en défaire. 

“L’inauthenticité” semble le nouveau problème technologique que la déconnexion propose de résoudre, réduisant par la même la complexité de l’authenticité à son degré de connexion numérique. Mais ne sommes-nous pas là face à un réductionnisme, à un solutionnisme un peu facile qui rappelle la responsabilisation néolibérale décrite par la chercheuse Laura Portwood-Stacer visant à transformer les problèmes sociaux en problèmes personnels auxquels le marché saura toujours apporter des solutions ? 

Certes, les médias sociaux changent les “performances identitaires”, rendant les processus plus explicites : nous sommes désormais conscients d’être un objet aux yeux des autres ; mais cela ne devrait pas pour autant nous aveugler sur le fait que le théâtre identitaire ne date pas de Facebook et ne se termine pas quand on éteint son téléphone… Le journaliste Paul Miller qui avait fait l’expérience d’une déconnexion durant un an avait d’ailleurs reconnu que l’abstinence numérique ne rendait pas plus réel. Reste que “plus nous soutenons que la connexion numérique menace le soi, plus le concept de soi s’impose”. 

Mais d’où vient et que veut dire cette obsession de “l’authenticité” ? D’où vient ce désir de délimiter le “normal”, le “sain” ? Les propos prônant l’austérité numérique passent par la pathologisation des comportements. La connexion est en passe de devenir une maladie, un problème de santé. Ostracisée comme l’a été la folie, la délinquance ou la sexualité – comme l’a montré Foucault – la connexion et son remède, la déconnexion, sont en passe de devenir le nouveau concept pour organiser le contrôle et la régulation des nouveaux désirs et plaisirs sociaux. Or, le smartphone est une machine, une machine de stimulation qui produit désirs et plaisirs qui viennent toujours perturber le statu quo. La vertu d’austérité, de déconnexion, nous ramène à ce qui est humain, réel, sain, normal. Les déconnexionnistes établissent une nouvelle gamme de tabous comme un moyen d’établir de nouvelles distinctions sociales. “Le vrai narcissisme des médias sociaux ne porte pas sur l’amour de soi, mais plutôt sur notre préoccupation collective à la réglementation de ces rituels de connectivité”. La déconnexion est comme un officier de police qu’on télécharge dans nos têtes pour nous rendre toujours conscients de notre relation personnelle à nos désirs. 

Pour Jurgenson, les appareils numériques ne doivent pas nous dispenser de poser des questions morales quant à leur utilisation, mais les discours des déconnexionnistes demeurent de mauvaise foi en s’intéressant plus aux différences insignifiantes de quand et comment on regarde l’écran plutôt qu’aux dilemmes moraux de savoir ce qu’on fait avec les écrans. 

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