A quoi doivent servir les données ? Réfuter ou confirmer les théories ?

Dans la revue Nature, le physicien Avi Loeb nous met en garde contre une trop grande confiance dans l’accumulation des données. Il rappelle tout d’abord les succès de l’astronomie maya (ils avaient calculé avec précision les orbites de Venus, Mars et Mercure, et avaient mis au point un calendrier solaire de 365 jours qui ne déviait qu’une fois tous les cent ans). Et pourtant, pour eux, la terre restait au centre de l’univers. La perfection de leurs calculs n’avait jamais remis en cause leur modèle cosmologique conçu essentiellement pour fournir des prédictions d’ordre astrologique. Mais nous avons dépassé ce stade, pas vrai ? En fait selon Loeb, pas vraiment. La structuration actuelle des sciences autour d’une pure recherche de données pourrait elle aussi, nous maintenir enfermés dans des modèles incomplets, voire carrément faux.

« La plupart des fonds de recherche sont alloués en supposant que les données de la plus haute qualité fourniront inévitablement des interprétations scientifiques et des concepts théoriques utiles susceptibles d’être testés et affinés par les données futures. La division Astronomie de la National Science Foundation, par exemple, consacre la plus grande partie de ses fonds à la création de gros équipements et à l’élaboration de larges études, effectuées par de grandes équipes afin de recueillir de meilleures données se situant dans les paradigmes traditionnels. D’autres champs de recherche, allant de la physique des particules à la génomique, font de même. »

Et, continue-t-il, « Ces projets ont un objectif étroit – fixer les paramètres d’un unique modèle théorique. Ce modèle est basé sur un univers en expansion composé de matière noire, d’énergie noire et de matière normale (à partir de laquelle sont formées les étoiles, les planètes et les humains), avec des conditions initiales dictées par une phase rapide d’expansion appelée inflation cosmique. Les données sont réduites à quelques nombres. Les surprises qui peuvent apparaître sont rejetées ».

En fait quand une anomalie parait dans les chiffres, on a tendance à considérer que c’est parce que les données sont incomplètes. Il faudrait procéder complètement différemment, insiste Loeb. Les données devraient être fouillées pour trouver des aberrations qui pourraient nous donner des indices sur la nature de phénomènes comme la matière noire ou l’inflation cosmique (sur la nature desquels nous restons encore très ignorants). Et il faudrait encourager la compétition entre les différentes interprétations possibles.

Ce faisant, Loeb ne fait qu’aller dans le sens d’un des principes de la méthode scientifique : les données devraient être utilisées pour réfuter des théories, pas pour les confirmer. Et Loeb ne parle que d’astrophysique, une « science dure » aux méthodes anciennes et éprouvées. Que penser du rôle exagéré des données dans des domaines beaucoup plus imprévisibles que la physique, comme celui des sciences humaines ?

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