Comment l’Islande a vaincu l’addiction ?

Mosaïc Science (@mosaicscience), une publication scientifique du Wellcome Trust britannique (Wikipédia), cette fondation dédiée à la promotion de la recherche sur la santé, a publié un long article qui explique comment l’Islande a réussi à combattre l’addiction des plus jeunes au tabac, à l’alcool et aux drogues. Il y a 20 ans, les adolescents islandais étaient parmi ceux qui consommaient le plus d’alcool, de tabac et de drogue en Europe. Or le pourcentage des 15-16 ans qui se sont alcoolisés est tombé de 42 % en 1998 à 5 % en 2016, ceux qui ont pris du cannabis sont passés de 17 % à 7 %, et ceux qui fument sont passés de 23 % à 3 %. Comment expliquer un tel succès des politiques de prévention ?

Pour le psychologue américain Harvey Milkman, spécialiste des comportements addictifs, tout l’enjeu a été de s’intéresser à la dépendance comportementale et de regarder pourquoi et comment les jeunes cherchaient à modifier leurs états de conscience. A la tête du programme Self-Discovery, à Denver, dans les années 80, l’enjeu a été de permettre aux adolescents qui avaient des problèmes d’addiction de leur proposer des alternatives pour altérer leurs capacités cognitives via le sport ou la musique, et les aider ainsi à faire face à leurs problèmes, en leur permettant de trouver d’autres moyens pour réduire leur anxiété. L’enjeu était de leur apporter des formations pour améliorer leur perception de la vie et d’eux-mêmes et la façon dont ils interagissaient avec les autres.

En 1991, invité à parler de son programme en Islande, Milkman y devient consultant pour un centre de traitement contre la drogue pour adolescent. « L’enjeu était de donner aux jeunes de meilleures choses à faire », explique-t-il. Une étude Islandaise sur les comportements des adolescents montre alors que les adolescents qui ne prennent ni drogue, ni alcool, ni cigarette ont une plus forte tendance à participer à des activités organisées (notamment le sport, 3 à 4 fois par semaine), à passer du temps avec leurs parents, se soucient de leurs résultats scolaires et ont tendance à moins sortir ou traîner en fin de journée ou le soir. Pour Milkman ces études préliminaires montraient aussi que l’information sur les dangers de l’alcool ou de la drogue n’avait pas beaucoup d’effets concrets.

Au début des années 2000, l’Islande a lancé un programme intitulé Jeunes en Islande (Youth in Iceland). Ce programme a interdit la vente d’alcool et de tabac aux plus jeunes ainsi que leur publicité. Il a également renforcé le lien entre l’école et les organisations de parents d’élèves, invitant les parents à des conférences sur l’importance à passer du temps avec ses enfants et à leur parler. Une loi a également interdit aux plus jeunes de sortir le soir, après 10h en hiver et minuit l’été. Ces innovations ont eu pour effet à la fois d’éduquer les parents et de les aider à réaffirmer leur autorité à la maison. En même temps, l’Etat et les collectivités ont augmenté le financement des activités culturelles et sportives pour les adolescents. A Reykjavik, la capitale, une carte offre à chaque parent l’équivalent de 290 euros d’aides pour financer les activités des adolescents. Dans le même temps, les études ont continué à mesurer l’évolution, montrant que non seulement les addictions chutaient, mais également que le temps passé par les parents avec les enfants en semaine doublait et que l’activité sportive s’améliorait.

Pour Jón Sigfússon, qui tente d’essaimer le succès du programme islandais en Europe (via le programme Youth in Europe), les enquêtes préliminaires permettent de montrer que de Malte à Bucarest, les mêmes facteurs que ceux identifiés en Islande entrent en jeu. Il n’y a que dans un pays de la Baltique pour l’instant, ou la participation à des activités sportives organisées est ressortie comme un facteur de risque – cela s’expliquerait par le fait que les clubs sportifs semblent principalement tenus par d’ex militaires qui valorisent le fait de fumer et de boire. Reste que pour l’instant aucun pays n’a décidé de se lancer sur un changement de même ampleur que l’Islande… La culture suédoise par exemple a beaucoup de mal avec l’idée de couvre-feu pour les enfants. En Europe, les taux d’alcoolisation et de consommation de drogue ou de cigarette ont généralement baissé ces 20 dernières années, sans avoir recours au programme islandais, mais ces baisses ne sont pas partout homogènes et restent parfois limitées. Au Royaume-Uni par exemple, on estime que le fait que les jeunes passent plus de temps à la maison à interagir avec leurs amis en ligne expliquerait la baisse de la consommation d’alcool. Certaines villes qui ont rejoint le programme en ont vu les bénéfices : à Bucarest le taux de suicide des adolescents a chuté. A Kaunas en Lituanie, le nombre de crimes des adolescents a chuté d’un tiers.

Les défis à relever de certaines villes et pays sont bien sûr d’une autre ampleur que ceux d’un petit pays comme l’Islande où la présence de l’Etat est très forte. Cela nécessite pour les villes et Etats d’être capable d’investir sur le long terme, de coordonner les actions et les programmes. Les programmes de ce type, même s’ils sont souvent applaudis et récompensés quand ils rencontrent des succès, ne sont pas pour autant soutenus ou étendus. Enfin, les stratégies doivent aussi être adaptées : impliquer les parents d’élèves dans des programmes ou promouvoir un couvre-feu pour les enfants n’est pas si simple. Cela nécessite de construire une vraie relation et de réfléchir aussi à comment promouvoir ce qui semble mieux marcher que d’autre, autour de questions qui déchaînent les passions et où les réponses sont plus souvent idéologiques et incantatoires qu’appuyées par la science.

MAJ : Le Monde revient sur le développement d’expérimentations de programmes psychosociaux en classe en France. Plus ponctuels et plus limités, ces programmes s’appuient sur des mesures et la démonstration de leurs résultats pour faire école, à l’image des politiques publiques basées sur la preuve.

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