Femme et pouvoir, un manifeste

Rachel Cooke (@msrachelcooke) pour le Guardian livre une passionnante critique du dernier livre de Mary Beard (Wikipédia, @wmarybeard), Women & Power : a manifesto. Universitaire, professeure d’humanités à l’université de Cambridge, elle est l’une des personnalités féministes les plus connues de Grande-Bretagne. Dans son nouveau livre, elle s’intéresse au silence des femmes, c’est-à-dire à la façon dont les femmes ont été contraintes au silence dans la prise de parole et le débat public.

« Quand il s’agit de rendre silencieuse la parole des femmes, notre culture occidentale a des centaines d’années de pratique », lance Beard en introduction de son livre. Pour elle, le diagnostic de la misogynie de nos sociétés est paresseux et ne suffit pas à expliquer ses racines. Suite à la prise de parole féminine dans le sillage du scandale Harvey Weinstein, « le silence des femmes, la brutalité des hommes, la honte comme mécanisme de contrôle, l’androgynie et l’évitement comme stratégie de survie », sont des mécanismes que l’on retrouve depuis les mythes antiques jusqu’à aujourd’hui dans le rapport des femmes à la sphère publique. Un constat plus pertinent que jamais. A l’image de Télémaque qui disait à sa mère de se taire, ou de la déesse Athéna qui incarnait l’autorité au prix du refoulement de ses attributs féminins, elle souligne, en regardant la place des femmes dans la littérature classique, que le silence des femmes était un élément essentiel du pouvoir des hommes. L’exclusion des femmes du discours public était réel. Les voix des femmes étaient subversives, menaçantes. Pour Beard, aujourd’hui encore, personne n’entend les femmes même quand elles parlent.

Dans son livre, elle s’intéresse aussi à la misogynie de Twitter et souligne que les abus sont le résultat de la fausse promesse que nos outils font de mettre les gens en contact direct avec ceux qui détiennent le pouvoir. Les femmes ne sont pas les seules à se sentir sans voix sur les réseaux sociaux. Le sociologue Antonio Casilli ne disait pas autre chose quand il soulignait que la radicalité des trolls était une réponse aux blocages des formes d’expression publiques. Dans The Atlantic, l’ingénieur et designer Debbie Chachra @debcha) évoquant le récent boycott de Twitter par un grand nombre de femmes qui y sont harcelées, s’en réfère également aux propos de Mary Beard. Rappelant que depuis l’Antiquité, les voix des femmes sont toujours considérées comme illégitimes dans la sphère publique, y compris les nouveaux espaces des médias sociaux.

Mais Beard ne se contente pas du constat, souligne Cooke. Elle se demande aussi comment les femmes peuvent être entendues. « Si les femmes ne sont pas perçues comme étant totalement intégrées dans les structures du pouvoir, n’est-ce pas plutôt le signe qu’il faut redéfinir le pouvoir plutôt que les femmes ? », interroge Mary Beard avant d’en appeler à découpler les structures de pouvoir. Les femmes ne doivent pas seulement être resituées à l’intérieur du pouvoir, mais le pouvoir lui-même doit être redéfini. Pour Mary Beard, il est nécessaire de découpler pouvoir et prestige, de penser le pouvoir comme un attribut plutôt que comme une possession. De redonner du pouvoir aux partisans plus qu’aux leaders, pour redonner de la puissance à tous ceux qui se sentent « sans voix » dans la société, et pas seulement les femmes. Et cela passe assurément par nous défaire de la figure du leader… que magnifie les nouvelles technos.

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