Mobilité connectée et changements dans les pratiques de déplacement

Le dernier numéro de la revue Réseaux est consacrée à Internet et mobilité. On y trouve notamment un article (en accès ouvert sur HAL) de Anne Aguiléra et Alain Rallet qui s’intéresse à comment le smartphone a modifié les pratiques de déplacement.

L’usage des technologies n’a pas réduit les déplacements, rappellent les chercheurs, mais les assurément modifiés. Le smartphone notamment aide aux déplacements, élargit l’utilité du temps de transport et favorise le développement de nouveaux services comme l’autopartage ou le covoiturage. Le constat le plus intéressant que dressent les auteurs, c’est l’implication que favorisent ces transformations : l’optimisation et le partage qui reposent les questions de régulation.

Pour que les services numériques de mobilité aient des effets sur les pratiques de déplacement, il faut qu’ils soient massivement adoptés. Mais le report modal sur des formes de transports publics n’est pas si évident, insistent-ils : si la mobilité connectée (c’est-à-dire le fait de pouvoir faire autre chose durant son déplacement) contribue à augmenter la qualité de service des transports en commun, elle ne semble pas en mesure de véritablement modifier l’arbitrage entre la voiture et d’autres modes de transports, et ce d’autant que l’avènement à venir de la voiture autonome risque de rendre les trajets autonomes plus confortables encore.

Sur la question des services d’aide à la mobilité, comme Waze ou CityMapper…, on constate que leur adoption reste variable : beaucoup d’applications sont téléchargées, mais peu sont utilisées en réalité. Si elles apportent une réelle utilité, elles semblent plus bénéficier aux habitants des plus grandes villes. Reste que les pouvoirs publics ont encore une forte attente dans la capacité de ces applications à modifier le changement des modes de transports des usagers et favoriser le report vers des modes doux au détriment de la voiture. Pour cela, il faut encore que les pouvoirs publics favorisent l’accès aux données, alors que pour nombre d’acteurs, et notamment les nouveaux entrants, leurs données de mobilité constituent un avantage concurrentiel. Le risque est de devoir se contenter de services toujours partiels d’aide à la mobilité, « à moins que la puissance publique, considérant qu’il s’agit d’un bien commun, fixe des règles de partage ou offre elle-même le service ». Mais surtout, insistent-ils, le fait de fournir une information temps réel plus complète ne suffit pas à faire basculer une part significative des usagers de la voiture vers d’autres modalités de transports… voire renforce plutôt la part de marché de la voiture en permettant par exemple de mieux adapter ses horaires et ses trajets. Le choix d’un mode de transport ne se fait pas trajet par trajet, mais dans une projection de déplacements qui ne se résout pas dans une rationalité économique ou temporelle. « Il est plus vraisemblable que les applications d’aide à la mobilité vont être utilisées par les individus pour améliorer ou ajuster aux mieux leurs pratiques actuelles de déplacement, et non modifier de façon substantielle leurs modes de transport ». En fait, l’effet sur la diminution de l’usage de la voiture semble plutôt inexistant.

Quant à la question du développement des formes de partage (autopartage, covoiturage, location entre particuliers…), leur succès semble se limiter au centre des grandes villes et aux trajets réguliers à forte demande. La pratique du covoiturage pour les trajets quotidiens est tendanciellement en baisse depuis longtemps et l’arrivée du numérique n’a que très partiellement levé les contraintes qui pèsent sur ces formes de déplacements. Malgré le développement d’applications et de services permettant de rendre ces pratiques plus dynamiques, le covoiturage quotidien ne semble pas décoller. Le seul vrai succès de la mobilité partagée sur courte distance est le fait des VTC, et ne concerne surtout que les centres des plus grandes villes, mettant de côté les villes plus petites qui ne permettent pas d’assurer la fluidité du service. Dans les territoires les moins denses, le passage à des formes de mobilité plus partagé signifie faire un choix véritable de changement de transport, alors que dans les grandes villes, elle demeure toujours une option de plus. Pour les territoires moins denses, l’enjeu repose certainement sur la mise en place de lignes de covoiturage sur les trajets où la demande est la plus forte, comme on commence à le voir dans de petites villes américaines où les pouvoirs publics subventionnent Uber pour proposer ce type de services

Par contre, en ce qui concerne les trajets longue distance, on constate que des services comme Blablacar génèrent de la mobilité et qu’ils prennent des parts de marchés à d’autres modalités de transports. Mais ils bénéficient surtout à des trajets peu réguliers, de distance intermédiaire (100 à 400 km).

Pour les chercheurs ces constats risquent de s’accentuer à l’avenir. A savoir, un creusement de l’écart entre les habitants des grandes villes aux pratiques toujours plus multimodales et le reste, dépendants toujours plus de la voiture. Les attentes fortes envers la technologie se heurtent au fait que les nouveaux services de mobilité connectée n’ont qu’un pouvoir d’action limité. Et l’inflation d’information multimodale ne devrait pas changer radicalement les comportements qui se heurtent aux logiques d’organisation de la vie quotidienne des ménages ou aux besoins de flexibilité en cas d’imprévu. Les gains économiques offerts par les services de mobilité sur les trajets quotidiens sont par ailleurs trop faibles. Les effets sur la modification du choix de mode de transport des services d’aide à la mobilité semblent également incertains. « La réalité se heurte aux habitudes en matière de mobilité », soulignent-ils. Ils semblent agir plus sur des trajets occasionnels que réguliers. Or ce sont ces derniers qui pèsent le plus sur le bilan carbone des transports. Pour les chercheurs, les acteurs publics devraient surtout se concentrer sur la coordination des acteurs, la qualité de service des transports en commun, la prise en compte des inégalités sociospatiales…

MAJ : Sur Metropolitiques, Teddy Delaunay, Gaële Lesteven et Jean-Baptiste Ray, plaident pour le nécessaire développement d’un covoiturage de proximité de ligne. Le covoiturage dynamique, spontané, temps réel, montre ses limites et ne parvient pas à s’ancrer sur les courtes distances expliquent-ils. Pour eux, la puissance publique a un rôle à jouer pour institutionnaliser et territorialiser le covoiturage, en le structurant comme un réseau de transport collectif.

MAJ : Une étude relayée par Planetizen (intitulée « Disruptive transportation » et signée Regina Clewlow et Gouri Mishra) montre que les services de transport à la demande aux Etats-Unis réduisent l’utilisation du transport en commun et ne fait pas augmenter l’occupation des voitures. Sans une coordination plus forte entre les villes, les organismes de transport en commun et les services de covoiturage, le scénario d’une réduction du trafic automobile ne se réalisera pas estiment les chercheurs de l’Institut d’étude sur le transport de l’université de Californie. Si l’adoption des nouveaux services de transports à la demande que sont Uber ou Lyft ont effectivement été massifs (par rapport aux anciens modèles de co-voiturage). Ceux qui adoptent ces nouveaux services explique que la difficulté de stationnement est la raison principale de leur passage au transport à la demande au détriment du covoiturage traditionnel.

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