Transports autonomes : le double risque de l’explosion du transport et du développement des inégalités

Les camions autonomes de UberEt si le développement des transports autonomes favorisait l’emploi ? C’est la thèse que défend une étude menée par Uber – qui est loin d’être un acteur neutre sur cette question puisque la licorne américaine est l’un des acteurs les plus actifs dans le développement de véhicules autonomes. Selon les experts d’Uber, rapporte Alexis Madrigal pour The Atlantic, les camions autonomes devraient développer l’emploi plus que le réduire. En effet, l’efficacité induite par le déploiement de camions autonomes devrait stimuler la demande et réduire le coût du fret… ce qui devrait se traduire par davantage d’activités et donc une augmentation du transport routier plutôt qu’une diminution.

L’autonomisation des véhicules ne signifierait pas pour autant la disparition des chauffeurs estime Uber, qui doute que les véhicules puissent rapidement se déployer au-delà des autoroutes. Il faudra donc des chauffeurs pour leurs faire accomplir les premiers et derniers kilomètres.

Enfin, souligne l’étude, les chauffeurs ne font pas que conduire : ils prennent soin à la fois du véhicule et de ce qu’ils transportent, deux activités qui ne seront pas facilement automatisables. En fait, le développement des camions autonomes pourrait bien améliorer l’existence des chauffeurs routiers, en leur permettant de se reposer plus souvent, souligne non sans cynisme Uber. Les camions autonomes pourraient également améliorer la vie des conducteurs qui passent beaucoup de temps loin de leur famille ce qui rend la profession assez peu attractive. En permettant l’automatisation du transport au long cours, on pourrait imaginer développer des espaces de transit, permettant aux conducteurs de récupérer des camions pour qu’ils n’aient qu’à accomplir les voyages locaux.

Ce scénario idyllique proposé par Uber n’est heureusement pas du goût de tout le monde, on s’en douterait. Le sociologue américain Steve Viscelli, auteur d’un livre sur les routiers et le déclin du rêve américain, rappelle par exemple que dans les ports, ce type de conducteurs, chargés d’amener les marchandises à leurs propriétaires locaux, existent déjà. Ce sont des emplois très précaires, payés le plus souvent à la charge. Pour le syndicaliste routier Doug Bloch, cette perspective risque surtout encore plus de dévaloriser le métier, en généralisant les chauffeurs indépendants et contractuels ! Pour Karen Levy, sociologue à Cornell, ce modèle n’a de sens qui si l’on réforme profondément le métier et qu’on s’en empare comme une question sociale, économique et politique. Le risque est plutôt qu’Uber s’arroge le marché des conducteurs précarisés avec des applications pour maximiser les roulements. A croire qu’Uber n’a pas encore fini d’ubériser !

Rappelons tout de même que la majorité des études sur le développement des camions autonomes ne sont pas très optimistes pour l’emploi. Goldman Sachs, McKinsey ou le Forum international des transports évoquent plutôt des pertes conséquentes d’ici les 10 prochaines années. Et les perspectives plus globales sur l’avenir de l’emploi lié à l’automatisation sont le plus souvent apocalyptiques, comme le résume une récente synthèse menée par la Technology Review (qui pointe surtout le fait que les experts ne savent pas vraiment ce qu’il en sera, tant les écarts varient d’une hypothèse à l’autre).

Dans un autre article pour The Atlantic, Alexis Madrigal pointe un autre risque que fait peser le développement de transports publics automatisés. Si le sujet est un peu différent du précédent, ce qu’il dit des transformations à venir n’en est pas moins intéressant. En effet, aux États-Unis, les chauffeurs de bus proviennent majoritairement de la communauté afro-américaine. Pour la sociologue Katrinell Davis, auteure de Travailler dur ne suffit pas : des inégalités de genre et de race dans l’espace de travail urbain, la technologie des véhicules autonomes s’annonce comme une extension de l’oppression économique à l’encontre de cette communauté : l’automatisation menace plus les Afro-Américains que les autres notamment parce qu’ils sont principalement employés dans des professions peu qualifiées vulnérables aux innovations technologiques. Alors que des expérimentations de transports publics autonomes ont déjà lieu dans plusieurs villes américaines, l’administration des transports américaine a lancé une consultation pour réfléchir à comment lever les barrières à leur automatisation.

En attendant le déploiement des bus et camions autonomes, la ville de Pittsburgh s’est investie d’une nouvelle responsabilité : établir des règles pour les voitures autonomes. Pour cela, rapporte Jessica Gourdon pour Le Monde, la ville a ouvert ses portes au laboratoire de R&D d’Uber et a autorisé la circulation d’une centaine de VTC autonomes en test. Elle héberge également tout un écosystème de startups autour de la voiture autonome, essaimage du célèbre département d’informatique et de robotique de l’université Carnegie-Mellon, comme Argo AI, Aptiv, Aurora… Pour le maire de Pittsburgh, la voiture autonome va redessiner la ville de demain, et notamment les transports publics, d’où l’intérêt d’observer très directement leur impact – notamment sur l’emploi -, explique-t-il. Pas sûr pour autant que l’expérimentation en cours permette de mesurer ce que donnera l’avenir de la voiture autonome, puisque pour l’instant, les voitures sans chauffeurs en test disposent d’un chauffeur, du fait des contraintes légales.

Sur Medium enfin, Paris Marx rappelle que la voiture vraiment autonome (capable de circuler dans toutes les conditions de conduite, de circulation et de météo – une voiture qui ne dispose d’ailleurs même plus de volant – on parle de stade « 5 » dans le niveau de développement de l’autonomie) n’est certainement pas pour demain. Il souligne que son arrivée ne cesse d’être repoussée. Google l’a promettait pour 2017. Musk également avant qu’il ne demande un nouveau délai. Volvo l’avait promis pour 2017 également et vient de repousser la date pour 2021. Ford a fait des promesses pour 2021, mais a ensuite annoncé que ça prendrait plus de temps. Seul GM maintient la date de 2019, mais ses modèles en tests ont connu plusieurs accidents en 2017… ce qui laisse planer des doutes sur son annonce. La raison de cet échec annoncé ? Les progrès qui restent à faire sont trop compliqués et trop spécifiques : le brouillard, la neige et la pluie notamment, les conditions de circulations très complexes… semblent rendre l’automatisation totale très difficile à approcher.

Pour Paris Marx, il va nous falloir nous contenter d’un niveau 3 où l’humain doit toujours être prêt à reprendre le volant, voire d’un niveau 4 ou l’autonomie n’est assurée qu’en conditions délimités (sur autoroute notamment ou sur des voies réservées). De quoi donner du crédit au scénario d’un renforcement de l’ubérisation de la conduite…


Image : les 5 niveaux d’automatisation des véhicules.

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