« Dossier médical partagé » – mais avec qui ?

Le « dossier médical partagé » est un projet nécessaire. La mémorisation et le partage de l’information, l’immédiateté et le décloisonnement de leur accès, la non-duplication des actes, peuvent améliorer la qualité, la productivité et le pilotage du système de santé – comme de bien d’autres domaines de l’action publique. Cependant, on peut tranquillement prédire que ce projet coûtera plus cher et durera plus longtemps que prévu, et que ses bénéfices ne se situeront pas toujours là où ils sont aujourd’hui attendus.

Pourquoi ? Avant tout parce qu’il s’agit de rassembler une multitude de données hétéroclites, produites par une multitude d’acteurs différents et qui doivent être rendues exploitables par une multitude d’autres acteurs – et de machines –, dans des contextes et avec des finalités extraordinairement diverses. Il faut que chaque intervenant du système entre (correctement) les données ; il faut des standards communs pour décrire, trouver, exploiter et représenter les données ; il faut des outils logiciels qui les assemblent et en tirent des conclusions (ou aident des humains à le faire) ; il faut que se développe une confiance et au-delà, une pratique du partage et de la coopération entre les acteurs du système ; il faut de la sécurité, une gestion fine des droits d’accès, etc.

Le dossier médical informatisé expérimenté à la clinique Pasteur de Toulouse produit des résultats remarquables, mais nous sommes dans le cadre cohérent d’un établissement unique. La difficulté d’étendre le même dispositif à l’ensemble du système de santé et de sécurité sociale est d’un tout autre ordre. Pour s’en faire une idée, il suffit de mesurer, dans le domaine des affaires, à quelle distance nous sommes encore de la perspective de marchés fluides et entièrement dématérialisés entre les entreprises, 30 ans après les premiers travaux sur les EDI, malgré XML, malgré les places de marché.

Le risque est que, face à ces difficultés, l’on finisse par s’en tenir au plus simple : la maîtrise comptable, la chasse aux doublons et aux fraudes sur la seule base des feuilles maladie. Cet objectif n’est nullement illégitime. Mais si l’on en restait-là, il serait difficile de créer la confiance entre praticiens, patients et administratifs, à partir de laquelle la dimension « partage » du dossier médical partagé pourrait se développer.

Bref, le débat sur l’étendue du projet, son degré d’intégration et d’ouverture, les standards et l’interopérabilité, les droits et devoirs de ses utilisateurs, promet d’être riche.

Reste enfin la question du rapport des patients-assurés avec leurs données. Tout a été dit sur les questions de confidentialité, d’accès aux données, d’oubli… que soulève le dossier médical partagé. Tout, ou presque : car le rassemblement en un lieu, même virtuel, d’un aussi grand nombre d’informations personnelles et sensibles, posera immanquablement la question de la propriété de ces données et de leur usage par les individus eux-mêmes. Auront-ils accès à tout ? Pourront-ils s’en servir pour tenter de se soigner eux-mêmes ou pour faire jouer la concurrence entre médecins ou cliniques ? Pourront-ils les emporter à l’étranger ? Les vendre à un laboratoire ? Pourront-ils effacer certaines données ? Et si certains de ces droits ne leur sont pas ouverts, sur la base de quels principes fondera-t-on ce refus ?

Le dossier médical partagé va reposer de façon plus vivace que jamais la question des droits des individus sur leur identité et leurs données personnelles numériques.

Daniel Kaplan

Le « dossier médical partagé » est un projet nécessaire. La mémorisation et le partage de l’information, l’immédiateté et le décloisonnement de leur accès, la non-duplication des actes, peuvent améliorer la qualité, la productivité et le pilotage du système de santé – comme de bien d’autres domaines de l’action publique. Cependant, on peut tranquillement prédire que ce projet coûtera plus cher et durera plus longtemps que prévu, et que ses bénéfices ne se situeront pas toujours là où ils sont aujourd’hui attendus.

Pourquoi ? Avant tout parce qu’il s’agit de rassembler une multitude de données hétéroclites, produites par une multitude d’acteurs différents et qui doivent être rendues exploitables par une multitude d’autres acteurs – et de machines –, dans des contextes et avec des finalités extraordinairement diverses. Il faut que chaque intervenant du système entre (correctement) les données ; il faut des standards communs pour décrire, trouver, exploiter et représenter les données ; il faut des outils logiciels qui les assemblent et en tirent des conclusions (ou aident des humains à le faire) ; il faut que se développe une confiance et au-delà, une pratique du partage et de la coopération entre les acteurs du système ; il faut de la sécurité, une gestion fine des droits d’accès, etc.

Le dossier médical informatisé expérimenté à la clinique Pasteur de Toulouse produit des résultats remarquables, mais nous sommes dans le cadre cohérent d’un établissement unique. La difficulté d’étendre le même dispositif à l’ensemble du système de santé et de sécurité sociale est d’un tout autre ordre. Pour s’en faire une idée, il suffit de mesurer, dans le domaine des affaires, à quelle distance nous sommes encore de la perspective de marchés fluides et entièrement dématérialisés entre les entreprises, 30 ans après les premiers travaux sur les EDI, malgré XML, malgré les places de marché.

Le risque est que, face à ces difficultés, l’on finisse par s’en tenir au plus simple : la maîtrise comptable, la chasse aux doublons et aux fraudes sur la seule base des feuilles maladie. Cet objectif n’est nullement illégitime. Mais si l’on en restait-là, il serait difficile de créer la confiance entre praticiens, patients et administratifs, à partir de laquelle la dimension « partage » du dossier médical partagé pourrait se développer.

Bref, le débat sur l’étendue du projet, son degré d’intégration et d’ouverture, les standards et l’interopérabilité, les droits et devoirs de ses utilisateurs, promet d’être riche.

Reste enfin la question du rapport des patients-assurés avec leurs données. Tout a été dit sur les questions de confidentialité, d’accès aux données, d’oubli… que soulève le dossier médical partagé. Tout, ou presque : car le rassemblement en un lieu, même virtuel, d’un aussi grand nombre d’informations personnelles et sensibles, posera immanquablement la question de la propriété de ces données et de leur usage par les individus eux-mêmes. Auront-ils accès à tout ? Pourront-ils s’en servir pour tenter de se soigner eux-mêmes ou pour faire jouer la concurrence entre médecins ou cliniques ? Pourront-ils les emporter à l’étranger ? Les vendre à un laboratoire ? Pourront-ils effacer certaines données ? Et si certains de ces droits ne leur sont pas ouverts, sur la base de quels principes fondera-t-on ce refus ?

Le dossier médical partagé va reposer de façon plus vivace que jamais la question des droits des individus sur leur identité et leurs données personnelles numériques.

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