De la force de l’écosystème au péril du monopole

Je l’ai déjà dit, la force de Google ne réside pas dans la seule qualité de ses produits – bien que certains soient en tout point remarquables -, mais surtout dans l’écosystème que l’ogre de Moutain View s’ingénie à développer autour d’eux.

Qu’est-ce qu’un écosystème ? Si l’on en croit Wikipédia, « en écologie, un écosystème désigne l’ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants (ou biocénose), et son environnement géologique, pédologique et atmosphérique (le biotope). Les éléments constituant un écosystème développent un réseau d’interdépendances permettant le maintien et le développement de la vie. » Sur l’internet, l’écosystème désigne une osmose entre un produit et ses utilisateurs/développeurs. Cette « osmose », cette appropriation de l’innovation, conduit au développement de plug-ins, de logiciels pour démultiplier les possibilités initiales offertes par le produit. Au final, le produit initial étend son emprise par la démultiplication des utilisations qui en sont faites.

Cela signifie que, pour développer un écosystème, votre produit doit être, dès l’origine, conçu pour cela. Il doit être près à recevoir, par d’autres, des améliorations, des utilisations auxquelles vous n’avez pas pensé. Votre produit doit pouvoir s’adapter. Il doit pouvoir être pris en main par d’autres. Comme le dit Cyril Fiévet dans son remarquable billet sur les effets de bords de l’innovation : « Le succès d’une innovation ne se limite donc pas à son succès intrinsèque, mais repose en partie sur la motivation des utilisateurs à s’appuyer sur cette innovation pour donner naissance à d’autres innovations. Et, finalement, le but des innovateurs ne devrait pas tant être de commercialiser un nouveau produit que de tout faire pour que se mette en place autour de lui un écosystème, riche et dense, qui ne manquera pas de donner lieu à une effervescence profitable à tous. »

Pour autant, Google va plus loin. Derrière l’indépendance de chaque produit, construit autour d’un écosystème propre, se dessine un système global dont nous avons du mal à percevoir les tenants et les aboutissants. Car on ne peut que se poser la question de savoir quel est le but, l’objectif qui réside au croisement de toutes les technologies qu’investit Google. Faut-il croire comme le souligne Pascal Riché dans Libération qu’avec GoogleTalk par exemple, un jour, « quiconque cliquerait sur une pub recevrait des minutes de téléphone longue distance gratuites. Ou encore que, sur votre écran d’ordinateur, la publicité s’adapte automatiquement au contenu de la discussion que vous avez engagée par messagerie instantanée : vous parlez du récent concert des Stones, et la pub pour leur dernier disque apparaît… » Faut-il envisager comme le suggère Jean-Michel Billaut que Google deviendra un intégrateur total de la communication, depuis la fourniture d’accès jusqu’à la recherche locale afin d’avoir le monopole de la mise en relation entre clients et produits sur l’internet ? Faut-il craindre pire, comme s’en inquiétait Olivier Ertzscheid du réseau Urfirst il y a quelques mois dans Le Monde, évoquant un internet dont Google pourrait être le « système d’exploitation » réalisant ainsi le Network Computer dont rêvait Oracle et Sun il y a plus de dix ans ? Faut-il voir en Google le Big Brother de demain, comme s’en inquiète Marc Olanie de Réseaux et Télécoms ?

Comme Microsoft avant lui, Google dessine son avenir sur le fil d’un couteau. A trop en faire, le cercle vertueux de l’écosystème peut aussi devenir la spirale excluante du systématisme. De la saine émulation à l’aliénation, d’un système concurrentiel à un régime monopolistique, il n’y a bien souvent qu’un pas. Nous verrons à l’usage ce qu’il en est. Ce qui est sûr, c’est que nous devons avoir confiance dans les utilisateurs qui savent, plus que quiconque, brûler ce qu’ils ont tant aimé. « En auront-ils encore la possibilité ? », s’interrogeront les plus pessimistes : à moins de penser que l’internet soit une zone de non-droit, oui.

Reste que l’ingéniosité de Google est un modèle pour tous. Essaimer des produits adaptables, améliorables, essaimer des applications qui ont besoin des autres pour exister, plutôt que de tout vouloir faire soi-même, est une véritable leçon de conception. Ce n’est rien de moins que ce que nous disait Kevin Kelly en évoquant comment le web pourrait apprendre à comprendre les images en analysant les balises que des milliers de gens apposent sur leurs photos dans Flickr. C’est l’idée un peu utopique des téléphones mobiles comme agents environnementaux que développait R.J. Honicky, souhaitant qu’on ajoute des senseurs environnementaux dans les téléphones mobiles afin que tout un chacun devienne un capteur des modifications environnementales.

Oui, « nous sommes le web ! » Et sans nous, Google n’est rien.

Hubert Guillaud

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