Usages du P2P

Les outils pairs à pairs sont surtout connus, utilisés et décriés pour le partage de fichiers musicaux ou de films. Pourtant, parce qu’ils autorisent un échange réciproque, rapide et fluide, sans passer par un serveur central, ils permettent d’imaginer des applications très différentes de systèmes centralisés tels que le web. Le P2P, quelles utilisations pour quels usages ? Telle était l’une des question au coeur de cette réunion.

FING
Réunion organisée dans le cadre du débat en ligne
animé par le Forum des droits sur l’internet et la Fing
P2P : quelles utilisations pour quels usages ?
http://www.foruminternet.org/forums/list.php?f=13
Paris, ENSCI, 6 février 2003

Par Hubert Guillaud et Daniel Kaplan

Objectifs
Echanger autour de la définition, des frontières, des usages et des applications du P2P, afin de renforcer le socle et d’améliorer la qualité de la réflexion réglementaire, économique, créative…

SOMMAIRE
Introduction : les usages du P2P
Echanges autour de l’introduction
· Evolution
· Chiffres
De quoi parle-t-on ? Qu’est-ce que le P2P ?
· Comment définir le P2P ?
· C’est qui le pair ?
· Le P2P : usages ou techniques ?
Usages et applications
· Des usages marquants
Les grandes questions
· Qu’est-ce qui qualifie notre niveau de parité  ?
· Comment mesure-t-on la fiabilité dans un réseau P2P ?
Pour aller plus loin

Introduction : les usages du P2P
par Hubert Guillaud, FING (Cf. contribution en ligne sur le Forum des droits sur l’internet : http://www.foruminternet.org/forums/read.php?f=13&i=77&t=52)

Résumé : A ce jour, les outils pairs à pairs sont surtout connus, utilisés et décriés pour le partage de fichiers musicaux ou de films. Pourtant, ces systèmes peuvent servir à bien d’autres choses. Parce qu’ils permettent un échange réciproque, rapide et fluide, sans passer par un serveur central, ils permettent d’imaginer des applications très différentes de systèmes centralisés tels que le web. A partir de la veille de la Fing, nous avons essayé de dresser un rapide pannel des types d’échanges possibles via les systèmes P2P :

– Partage d’énergie informatique, de ressources, de « puissance de calcul »…
Le Peer to Peer pour faire face aux problèmes de stockage massif de données : http://www.fing.org/index.php?num=852,2
Videofluxus : live media communautaire : http://www.fing.org/index.php?num=1317,2

– Partage de tous types de fichiers – ou simplement de contenus
iNoize, le juke-box électronique : http://www.fing.org/index.php?num=1449,2
P2P vs. spam : http://www.fing.org/index.php?num=2882,2

– Partage de réseaux (téléphonie IP)
Le téléphone mondial en local grâce au P2P : http://www.fing.org/index.php?num=924,2

– Distribution de contenus (streaming, banques de données vidéo réparties) :
La télévision en Peer-to-Peer pour éviter l’échec de la VOD ? : http://www.fing.org/index.php?num=3040,2
Videofluxus : live media communautaire : http://www.fing.org/index.php?num=1317,2

– Collaboration :
La radio d’information de proximité en P2P : http://www.fing.org/index.php?num=3400,2
Un annuaire de liens partagé : http://www.fing.org/index.php?num=2921,2
Intelligence humaine distribuée : http://www.fing.org/index.php?num=2844,2
Les moteurs de recherche peer-to-peer : http://www.fing.org/index.php?num=1125,2

– Echanges de « proximité » :
Mesh Networks : expérimentation de réseau de voisinage sans fil à Cardiff : http://www.fing.org/index.php?num=3146,2
La radio d’information de proximité en P2P : http://www.fing.org/index.php?num=3400,2
Les réseaux ad hoc : http://www.fing.org/index.php?num=2818,2
Le peer-to-peer des militaires pour les situations de crise : http://www.fing.org/index.php?num=2125,2

– Messagerie instantanée :
Le logiciel de Peer-to-Peer Kazaa vient de signer un partenariat avec MatchNet pour lancer un service de rencontre sur son site : http://www.journaldunet.com/0302/030224brefinter.shtml

Echanges autour de l’introduction
· Evolution : beaucoup des liens de la veille FING datent de 2001 ou du début 2002, pourquoi ?
Depuis l’éclatement de la bulle internet, les projets P2P, plus encore que les autres les projets internet, sont devenus plus rares. Les investissements dans ce type de projets subissent en outre le poids de la réputation sulfureuse du P2P propagée par la médiatisation du procès à l’encontre de Napster. Considéré avec suspiscion, le P2P engendre des blocages, des freins à son expérimentation et plus encore à l’investissement. Les rares projets apparus depuis 2001 sont surtout universitaires et expérimentaux, en tout cas loin du grand public et difficiles à repérer. Pourtant, les protocoles P2P s’améliorent. Et leurs usages gagnent en extension comme en profondeur comme nous le montre le succès phénoménal de quelques systèmes comme Kazaa.

· Chiffres : Sait-on ce que cela représente  ?
En France, 60 % du trafic ADSL en octets serait dû à Kazaa. Chez un fournisseur d’accès à internet, moins de 1 % des abonnés ADSL est à l’origine de plus de 50 % du trafic.
Dans le livre Hauts débits on note que « selon NetValue, plus de 20 % des internautes français auraient téléchargé de la musique ou des films sur l’internet et l’audience des principaux sites d’échange de fichiers s’établiraient aux alentours de 10 %. Le Yankee Group estime de son côté que 5,16 milliards de fichiers musicaux ont été échangés en ligne en 2001. Les exploitants de réseaux internet considèrent pour leur part que le P2P représente aujourd’hui près de la moitié du trafic en octets, mais que l’usage est concentré sur un petit groupe d’utilisateurs intensifs, généralement jeunes, le plus souvent raccordés à haut débit. »
On estime enfin que 20 % des internautes qui pratiquent le P2P mettent réellement en échange la musique qu’ils téléchargent. Les autres se contentent de consommer.
Les FAI croulent sous le trafic P2P : http://www.journaldunet.com/0302/030204peerfai.shtml
Kaplan (Daniel) (dir.), FING et ACSEL, Hauts débits, LGDJ, « Questions numériques », janvier 2003 : http://fing.org/acsel/hautsdebits/index.php

De quoi parle-t-on ? Qu’est-ce que le P2P ?
· Comment définir le P2P ?
– Le P2P est un système où l’initiateur de la communication peut également être un fournisseur de services.
– Le P2P est l’extension au monde des applications des principes architecturaux de l’internet (end to end, pas de hiérarchie entre serveurs et clients…).
– Le P2P permet d’être consommateur et producteur en même temps. Le P2P présuppose un « acte » autonome, une mise à disposition de données, une ouverture, une autorisation, un « partage »… Le P2P est une extension des usages classiques de l’internet pour que tout le monde puisse être acteur et non pas seulement consommateur.
– Le P2P permet « l’échange » de « données personnelles » de façon interactive tout en intégrant une notion « communautaire ». (Faut-il introduire la notion de données personnelles ? Doit-on parler de partage ou d’échange ? Est-ce vraiment d’échange que l’on parle, alors qu’on veut tous la même chose au même moment ?…)
– Le P2P c’est l’établissement d’une « relation directe et maillée » en relais. Il fait disparaître le modèle du serveur, du centre, pour établir une relation directe avec une ou n personnes.
– Dans le P2P chacun peut être le « relais » des autres.
– Les notions de « synchronisation » et de « présence » sont importantes. Elles signifient également que le résultat est incertain (non garanti) et qu’il repose sur la disponibilité des acteurs. Ainsi, si la messagerie instantanée peut être une application phare du P2P, ce n’est pas le cas du mail, car en cas d’absence sur le réseau, le mail vous parvient quand même.
– Pas de hiérarchie prébâtie dans l’échange  : nous sommes dans un système qui prône « l’égalité et la symétrie ».
– Le P2P nécessite un « acte actif » : on doit parler « d’acteur, de relation, de « participation ». Le P2P est-il un réseau volontaire ?
– Le système fonctionne de proche en proche : il y a une notion de « proximité » importante…

· Qui est le pair ?
– La traduction de peer to peer est-elle « pair » ou « pairs »  ? On parle aussi parfois de point à point ou de poste à poste ou encore de proche en proche.
– En tout cas, qui est le pair ? La personne ? La machine ? On parle beaucoup de P2P comme une application « machine à machine » sans personne derrière. Or l’une des applications du P2P est la messagerie instantanée par exemple (humain vers humain), que la connexion permanente et le haut débit vont faire exploser.
– La notion de pair ne traduit-elle pas la notion d’égalité ou plutôt de « communauté d’intérêt »  ?

· Le P2P : usage ou technique ?
– Au départ qu’est-ce que le P2P ? Un réseau à l’intérieur du réseau ? Un système d’échange de données  ? Un processus ? Le P2P est-il un usage ou une technique ? Un principe d’utilisation du réseau ? Un réseau local global ?
– Il faut distinguer des usages P2P et des infrastructure P2P : ce n’est pas la même chose (le client-serveur est un cas particulier du P2P, souvent particulièrement efficace). Il y a des éléments techniques fondateurs du P2P, puisqu’on parle de décentralisation technique, de protocoles, etc. En même temps, il y a des communications en P2P, des usages en P2P. Le P2P serait-il la traduction technique de l’échange  ?
– Le P2P c’est aussi une infrastructure technique qui s’oppose au traditionnel client/serveur. Alors que la centralité permet souvent l’efficacité, le P2P change la donne et montre que l’efficacité peut aussi venir d’un réseau distribué. Par son caractère « paramétrable », le P2P favorise l’augmentation des échanges. Le P2P est l’usage normal des réseaux (échanges directs) rendus possible grâce à l’évolution technique. La technique repose sur le lien direct, sans médiation, facteur d’autonomie. On pourrait dire que le P2P rapproche les échanges en lignes des relations humaines « normales », qui se passent de médiation.
– L’énorme maillage de machines pour diffuser des fichiers : est-ce que ça a un sens ? De quoi parle-t-on ? Ne met-on pas dans le P2P tout ce qu’on ne sait pas nommer ?
– Le P2P permet dans certains cas d’optimiser l’usage de la bande passante, mais pose tout de même des problèmes de gestion des réseaux (ralentissements liés aux volumes et asynchronysme non adapté aux échanges) et de fiabilité (présence et absence). Le P2P permet aussi de « gérer la pénurie » : il n’est pas possible de monter un serveur de la taille de Kazaa. Le P2P est une solution quand on ne peut pas tout centraliser : comment faire autrement une bibliothèque mondiale, une base de données universelle ? Le P2P n’est-il pas une simple extension technique permettant de gérer la pénurie ?

Usages et applications
· Des usages marquants
– Sony souhaite créer un Grid de Playstations pour qu’une PS3 non utilisée puisse fournir de sa puissance de calcul au joueur d’à côté. Cette mutualisation de ressources techniques autour d’une communauté forte serait une forme d' »l’ultra banalisation » des usages P2P. http://www.vnunet.fr/actu/article.htm?numero=9492&date=2002-03-27
– La téléphonie sur IP de machine à machine nécessite un dispositif d’optimisation des ressources réseau : ce n’est pas de la désintermédiation classique qui se met en place, mais une bourse des besoins avec une monnaire d’échéange.
– Messagerie instantanée (modèle de la Cibie, typiquement P2P).
– MobileTribe (en dépôt de bilan), accessible par iMode : échange de pages perso avec un groupe d’amis
– Projet P2P de Bouygues Télécom sur GPRS avec une startup : applications professionnelles (ex. infirmières échangent autour d’un agenda, workflow, flottes, équipes itinérantes…) ; partage d’un disque dur en mobilité (disque dur virtuel ; je n’ai pas à repasser le soir au bureau mais quelqu’un en central est au bureau, met à jour les informations et les partage avec les itinérants)
– Usage nomade et matchmaking d’âmes soeurs. Un système pour révéler et les relations des uns et des autres : les machines regardent si vous avez des amis communs. Par exemple, dans un petit groupe, on ne sait pas qui est qui : une synchronisation des profils permet de déterminer qui échangera sa carte de visite avec qui. Le modèle Jaigo d’Interactive Device est organisé sur un principe de ce type : http://www.lci.fr/news/multimedia/0,,994741-VU5WX0lEIDUy,00.html
– Gestion des connaissances fondée sur le P2P. Entopia propose un logiciel afin de faire remonter, analyser et stocker les informations stockées sur les disques durs des employés. Cependant, si elle en est proche, Entopia ne se définit pas comme une solution « peer to peer »  : http://www.entopia.com
– Moteur de recherche P2P : fait des requêtes sur le moteur interne de chacun… Chacun va demander à l’autre quelle serait sa réponse si on lui formulait telle requête… Ou « indexe-toi toi même »… Grâce à l’utilisation des technologies peer to peer, human-links propose une autre vision du web, personnalisée et intuitive, ainsi que des résultats de recherches plus en rapport avec les besoins des utilisateurs  : http://www.human-links.com
– Un système de stockage partage et sécurisé : chaque utilisateur archive ses données sur plusieurs autres disques durs. Le dispositif chiffre les données, les répartit entre plusieurs disques (en assurant une certaine redondance), les réassemble à la demande. En contrepartie, l’utilisateur met à disposition des autres une partie de son propre disque dur.
– Gestion des communautés.
– Puissance cognitive : production et consommation partagées.
– Calendrier partagé.
– La microcommunauté temporaire : les hotspots WLAN sont peut-être un endroit privilégiés pour faire du P2P ? Echange d’e-livres, de playlists avant un départ en voyage, etc.

Les grandes questions
· Qu’est-ce qui qualifie notre niveau de parité  ?
– Le « niveau de parité » n’est pas neutre : il définit ce qu’on met à la disposition de l’ensemble. Chaque utilisateur est qualifié d’une manière formelle (exemple de Kazaa qui ajuste la vitesse de téléchargement à l’importance des contenus mis à disposition par chaque utilisateur) ou informelle (crédibilité, proximité…). On voit émerger la notion de « réseaux de confiance », avec des formes d’évaluation internes à la communauté et une différenciation dans les échanges en fonction de critères internes à la communauté.
– C’est un système « démocratique » (ou pseudo-marchand, fondé sur l’économie du don/contre-don) mais qui peut exclure la solidarité. En effet, quid de ceux qui ne partagent pas à même niveau ? De ceux qui ne peuvent pas proposer autant qu’ils reçoivent  ? Ne risque-t-on pas de voir apparaître des « classes de pairs » excluantes ?
– Mais, les utilisations et les modules échangés peuvent-être « compensants » (si je n’ai pas de puissance machine à offrir à la communauté, je peux par contre offrir de la mémoire, etc.). Enfin, si les protocoles d’échanges ne me conviennent plus, il y a toujours la liberté de créer des protocoles d’échanges différents.
– Enfin, demain, des lobbies, des sociétés secrètes, des sectes peuvent monter leurs réseaux P2P, véhiculant désinformation et propos interdits. Mais une communauté d’intérêt dans la vie réelle peut déjà être contraire à des lois édictées, ça n’empêche pas qu’elle puisse être poursuivie légalement. La loi qui s’applique dans la vie réelle, s’applique aussi dans un réseau P2P, dans une communauté même fermée.

· Comment mesure-t-on la fiabilité dans un réseau P2P ?
– Il est important de différencier la taille des réseaux, l’évaluation des communautés, les protocoles d’échanges, la façon dont on est qualifié. Comment devient-on pair dans un système P2P ? Par cooptation ? Du fait de sa proximité ? Du fait des qualités (lesquelles ?) ? Parce qu’on est membre d’un club, d’une secte, etc ?
– Il faut différencier les communautés fermées (identification, confiance a priori) / ouvertes (au départ on ne se connaît pas)  : les échanges y sont différents. Tout principe de communauté génère son système de rating, de filtrage, des stratégies d’insertion et d’apparition dans la communauté…
– Le P2P n’est-il qu’un moyen d’échange ? N’est-il pas aussi un processus pour permettre à ma communauté d’intérêt de progresser ? Le ministère de l’Education nationale cherche à favoriser la tradition d’échange existante entre professeurs en leur facilitant, peut-être par le biais d’un système P2P, la mise à disposition de ressources pédagogiques. Cependant, ce genre de système interroge fortement les utilisateurs quant aux problèmes d’indexations des versions.
– Quelle est la durée de vie d’une requête : avant qu’elle ne s’arrête ou ne se perde ? Comment se propage-t-elle dans un réseau P2P ? Comment retrouve-t-on les données d’un collègue par exemple dans un vaste réseau P2P ? Quels chemins suivent les requêtes ? En plus des critères d’évaluation internes à la communauté, la proximité ne joue-t-elle pas indubitablement un rôle plus sensible dans les systèmes P2P que dans les systèmes centralisés  ?

Pour aller plus loin
Dossier de l’ATICA, « Architecture et services « pair à pair » sur les réseaux IP » :
http://www.atica.pm.gouv.fr/pages/documents/
fiche.php?id=923&id_chapitre=7&id_theme=21&letype=0

Le Web en partage, un dossier de SVM (avril 2001) :
http://www.vnunet.fr/actu/article.htm?numero=9492&date=2002-03-27

Une bonne explication sur le P2P « Le peer-to-peer, Un leecher sachant leecher » par ARNO : http://www.uzine.net/article1508.html
Olivier Abou, auteur de plusieurs livres sur le P2P, livre quelques explications sur son site :
http://www.abou.org
Le dossier « Musique en ligne » du Journal du Net fait une grande place à l’analyse et aux réactions sur les systèmes P2P : http://www.journaldunet.com/dossiers/musiconline/

Quelques sites d’actualités sur le P2P :
http://www.zeropaid.com
http://acutecut.com/p2p/
http://www.slyck.com
http://www.aspenleaf.com/distributed/
http://www.openp2p.com
http://www.ratiatum.com

Le Peer-to-Peer working group : http://www.peer-to-peerwg.org
La seconde conférence de l’IEEE sur le P2P computing : http://www.ida.liu.se/conferences/p2p/p2p2002/

À lire aussi sur internetactu.net