Distribution de contenus sur Internet – Introduction : Des causes d’une crise, et de ses remèdes

Introduction à l’étude « Distribution de contenus sur Internet : commentaire sur le projet de taxation de l’Upload » de Marc Bourreau, Nicolas Curien, Michel Gensollen et Laurent Gille
Par Daniel Kaplan, Délégué général de la Fing

Il y a deux manières d’analyser les causes de la crise que subit aujourd’hui l’industrie musicale – et donc, d’en envisager les issues.

Pour les uns, tout vient du piratage. La numérisation, les graveurs, le P2P et les hauts débits ont pour principal effet de faciliter la copie à l’identique et sans limite. L’aubaine est trop belle pour les consommateurs, dont beaucoup ne résistent pas à la tentation. Il s’agit donc d’un choc exogène, venu de la technique, dans un secteur dont les fondamentaux étaient sains. Il faut donc répondre à la technique par la technique (le DRM), et aux humaines dérives par un ferme rappel à l’ordre (la loi et la justice).

Pour les autres, la copie et l’échange de fichiers musicaux sont des symptômes et non la cause. D’une part, la numérisation transforme la chaîne de valeur (en termes économiques, la fonction de production) de l’industrie musicale – notamment dans la distribution, dont les coûts marginaux deviennent quasi-nuls. D’autre part, la demande qui s’adresse à cette industrie, et plus profondément encore les pratiques culturelles, la manière d’« être en musique », le rapport entre l’œuvre et son public, la notion d’auteur… changent aussi. Transformation de la demande, transformation de la chaîne de valeur : autant dire qu’il s’agit d’une révolution et que, si l’on admet cette analyse, il est inefficace de réagir en cherchant simplement à revenir à la situation antérieure, par la technique, la loi ou la fiscalité.

En janvier 2004, l’étude « Les enjeux économiques de la distribution de contenus », réalisée par le Cerna, sous la direction d’Olivier Bomsel, proposait une analyse économique et un remède très simples : rien d’autre que la gratuité de l’usage des réseaux haut débit n’explique la baisse des ventes de disques ; la loi doit donc corriger cette aberration temporaire en contraignant les fournisseurs d’accès internet à tarifer le trafic montant ( upload ) sur le réseau.

Il nous a semblé que cette étude était contestable, tant dans ses méthodes que dans son analyse ; qu’elle occultait la réalité d’une transformation économique profonde des industries culturelles ; qu’elle ne se préoccupait nullement d’un changement de la demande, comme si le consommateur n’était qu’un voleur en puissance qu’on devait contraindre à payer ; et qu’enfin, les dégâts collatéraux que pouvait occasionner la mise en œuvre de la mesure préconisée par le Cerna seraient sans doute pires que le mal qu’il s’agit de combattre.

Mais à une étude économique, il fallait une réponse d’économistes. C’est ce que proposent aujourd’hui Marc Bourreau, Nicolas Curien, Michel Gensollen et Laurent Gille. Au départ engagée sous la forme d’une réponse à l’étude du Cerna, leur contribution s’est transformée en une réflexion sur les questions de fond que pose la copie aux industries musicales : quelle influence a-t-elle réellement sur la baisse des ventes de supports physiques ? S’agit-il d’un simple effet d’aubaine lié à la technique, ou ne traduit-elle pas plutôt une transformation radicale de l’économie des industries culturelles et du fonctionnement des marchés ? Est-il devenu impossible de valoriser la création et l’édition, ou bien la valeur se déplace-t-elle ailleurs ? Pourquoi est-il vain de chercher à revenir à la situation antérieure ?

La conclusion des auteurs est sans appel : « La proposition de taxer l’upload pour rétablir la rivalité des biens culturels et pour transformer l’internet en média de masse va exactement à l’encontre de ce qu’il faut faire. »

Dans l’intérêt du débat public, nous sommes heureux et fiers de vous livrer cette étude.

L’étude « Distribution de contenus sur Internet : commentaire sur le projet de taxation de l’Upload » de Marc Bourreau, Nicolas Curien, Michel Gensollen et Laurent Gille

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