Didier Bourse : « Nous voulons apporter à la radio les avantages du PC »

Chercheur au laboratoire de Motorola à Paris, Didier Bourse est l’un des meilleurs spécialistes français de la radio logicielle et dirige le projet européen E2R (http://www.e2r.motlabs.com). Il fait le point sur la façon dont cette technologie va bouleverser le fonctionnement des réseaux sans fil du futur.

Chercheur au laboratoire de Motorola à Paris, Didier Bourse est l’un des meilleurs spécialistes français de la radio logicielle et dirige le projet européen E2R (http://www.e2r.motlabs.com). Il fait le point sur la façon dont cette technologie va bouleverser le fonctionnement des réseaux sans fil du futur.

Internet Actu nouvelle génération : Quelle est l’approche européenne de la radio logicielle  ?

Didier Bourse : L’Union européenne a privilégié l’approche commerciale vis-à-vis de l’approche militaire, en co-finançant des programmes de recherche portant sur les réseaux et les terminaux radios principalement destinés au grand public et aux entreprises. Le concept clé est celui de la reconfigurabilité et de la convergence des télécommunications. Aujourd’hui, nous disposons d’une multitude de technologies radio hétérogènes  : la téléphonie mobile deuxième et troisième génération, les réseaux locaux à haut débit à la norme Wi-Fi, et bientôt le DVB (http://www.dvb.org), qui permettra de diffuser une même information, comme des émissions de télévision, à un grand nombre de personnes. L’un de nos objectifs est de faire en sorte que l’utilisateur puisse accéder en permanence à tous les réseaux disponibles avec un seul terminal, que ce soit un téléphone mobile, un assistant personnel ou un ordinateur portable.

Iang : Quelle est la prochaine étape  ?

Didier Bourse : Le programme E2R, qui a démarré le 1er janvier 2004 dans le cadre du sixième programme cadre de la Commission européenne, mobilise des moyens bien plus importants que les projets précédents. Il devrait durer six ans et rassemble plus de cinquante chercheurs issus des labos de constructeurs de terminaux (Motorola, Alcatel, Nokia, Siemens, Thalès, Toshiba, etc), d’opérateurs télécoms (DoCoMo, France Télécom, Telecom Italia, Telefonica) et d’universités européennes. L’objectif est lui aussi beaucoup plus vaste, puisque E2R signifie « reconfigurabilité de bout en bout ». L’idée est de concevoir des réseaux radio où on puisse reconfigurer à distance tous les équipements connectés  : les terminaux, mais aussi les émetteurs (stations de base de téléphonie mobile, points d’accès Wi-Fi) et les systèmes de transport longue distance. Lorsqu’une technologie plus performante apparaîtra, il « suffira » d’envoyer le nouveau logiciel pour reconfigurer automatiquement les points d‘accès ou les terminaux.

Iang : Un opérateur pourra donc modifier mon téléphone  ?

Didier Bourse : L’une des principales difficultés est de garantir une sécurité et une fiabilité totales lors de l’installation des logiciels. Il est hors de question d’endommager les réseaux. Et l’on n’imagine pas que les utilisateurs se retrouvent avec un téléphone complètement hors service à cause d’un virus ou d’une mauvaise configuration, comme c’est souvent le cas dans le monde de l’informatique. La radio logicielle est souvent présentée comme le PC de la radio, parce qu’elle permet la même flexibilité. Nous travaillons sur les moyens d’apporter à la radio les avantages du PC, mais sans les inconvénients.

Iang : Quels seront les nouveaux usages  ?

Didier Bourse : Un utilisateur devrait pouvoir utiliser plusieurs technologies à la fois. On pourrait par exemple regarder un programme télévisé depuis son portable grâce au DVB, tout en restant connecté au réseau cellulaire. Des groupes de personnes pourront également communiquer entre eux, soit directement de mobile à mobile, soit à travers de petites infrastructures locales, sans forcément passer par un grand réseau cellulaire. Les opérateurs pourront quant à eux optimiser le fonctionnement de leurs installations. En cas de catastrophe naturelle, si des stations de base tombent en panne, les équipements voisins pourront se reconfigurer automatiquement et écouler le trafic supplémentaire. De manière générale, on va vers des équipements de plus en plus intelligents.

Iang : Que seront-ils capables de faire  ?

Didier Bourse : Nous travaillons sur des terminaux et des points d’accès qui pourraient analyser leur environnement et prendre des décisions. C’est ce qu’on appelle l’approche radio cognitive. Les téléphones auront de plus en plus de capteurs et pourront réagir automatiquement en fonction des paramètres que vous avez définis dans votre profil d’utilisateur. Par exemple, si la luminosité baisse, le téléphone en déduira que vous êtes peut-être entré dans un bâtiment, et vérifiera si un réseau local à haut débit est disponible. Les terminaux et les points d’accès seront également capables de choisir automatiquement la meilleure technologie radio en fonction des conditions météo, de la congestion du réseau et de la tâche que vous leur demandez d’accomplir. Ils sélectionneront alors la fréquence la plus appropriée, quitte à la libérer si une communication plus urgente arrive, ou si le propriétaire de cette fréquence veut la récupérer.

Mais l’accès aux fréquences est très réglementé.

Didier Bourse : Aujourd’hui, chaque technologie dispose d’une bande de fréquences et n’a pas le droit d’en sortir. Mais pour pouvoir profiter de tous les avantages de la radio logicielle, nous devons évoluer vers une gestion plus flexible du spectre. Il s’agit maintenant de mettre en place des mécanismes qui permettent aux équipements radio de jongler entre les fréquences sans perturber le fonctionnement des différents réseaux. Les régulateurs français et allemands, la Digitip (Direction générale de l’industrie, des technologies de l’information et des postes  : http://www.telecom.gouv.fr) et la RegTP et (Regulierungsbehörde für Telekommunikation und Post est l’autorité de régulation des télécommunications  : http://www.regtp.de), sont partenaires du projet E2R et nous apportent leur point de vue. Des réflexions sur le sujet sont également en cours aux Etats-Unis et en Asie. Mais le processus commence tout juste.

Iang : A quelle échéance la radio logicielle sera-t-elle opérationnelle  ?

Didier Bourse : Aujourd’hui, les opérateurs et les constructeurs peuvent déjà modifier à distance certains paramètres pour corriger des erreurs, même si les possibilités restent limitées. La technologie va progresser par étapes, d’abord pour reconfigurer les équipements, afin de leur ajouter de nouvelles fonctions et de nouveaux standards. A l’horizon 2010-2015, on devrait évoluer vers une reconfigurabilité de bout en bout et une gestion plus flexible du spectre. Nous avons encore de nombreux problèmes à résoudre, et pas seulement sur le plan technique. L’une des questions clés est de déterminer comment répartir l’intelligence entre le terminal et le réseau. L’objectif étant de développer l’autonomie des équipements tout en maintenant un contrôle centralisé des systèmes de communication.

Propos recueillis par Yann Philippin

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