Territoires : le développement numérique à l’heure de la maîtrise collective

Territoire et internet sont-ils antinomiques ? Parmi les promesses de la société de l’information, celle de l’abolition de la distance était certainement l’une des plus folles, avec le « zéro papier ». Il est vain d’espérer ou de redouter la création d’un cybermonde affranchi des contraintes du territoire : ce qui se joue, depuis quelques années, c’est au contraire la transformation du monde dans lequel nous vivons, et dont les moyens numériques amplifient les forces et les faiblesses, les dysfonctionnements et les potentiels. Il en est ainsi de l’échange et de la communication : les internautes voyagent et téléphonent beaucoup. Les outils numériques densifient les liens existants, ils peuvent aussi souligner l’absence de liens, l’isolement, l’enclavement. Il en est également ainsi de l’attractivité économique ou de l’accès à l’éducation et à la formation : là où existent des volontés convergentes, servies par des moyens humains et matériels adéquats, le numérique peut améliorer l’efficacité des efforts entrepris ; sans cela, les TIC ne peuvent être qu’une diversion, dépourvue de fertilité collective.

Le moment est certainement venu de mettre les moyens numériques au service des projets des territoires, des politiques publiques, des initiatives privées, des besoins des habitants. Après quelques années de maturation, les réseaux, les systèmes et les services sont progressivement opérationnels. Les échanges numériques se banalisent, entre professionnels, entre administrations, entre particuliers. Exotique hier, le sujet « TIC » a vocation à être intégré aux démarches structurantes et à soutenir les dynamiques de projets des territoires. Mais l’étape à franchir est ardue, riche de difficultés stimulantes.

Le premier enjeu est celui des infrastructures. Les réseaux n’aménagent pas spontanément le territoire, ils peuvent même le déstabiliser. Tant que persistera une inégalité géographique d’accès au haut débit, le risque sera fort d’une polarisation accrue vers les zones les plus denses confrontées dès lors au cadeau empoisonné de la pression foncière, qui handicape leur avenir. La solidarité territoriale est une lutte contre la montre. Elle ne peut se contenter d’une politique de stimulation de la concurrence ; elle prend appui sur la dynamique des projets territoriaux, rendue possible par la diversification des technologies mais surtout par l’énergie des acteurs. Ces projets devront trouver des conditions de pérennité : le soutien régional aux projets de « boucle locale alternative », mais aussi l’accès de ces projets aux réseaux de collecte, sont structurants pour l’avenir des territoires.

Le deuxième enjeu est celui de l’offre de services collectifs. Elle s’est pour l’instant développée sous forme de dossiers juxtaposés : le webmestre de la mairie n’avait pas à connaître des questions d’infrastructures ; les projets TIC liés à l’éducation n’avaient que peu d’interférence avec les espaces publics numériques. Les systèmes d’information géographique étaient disjoints du e-tourisme ou de l’aménagement de zones d’activité. Progressivement, les collectivités locales construisent des stratégies intégrées, intégrantes pour les acteurs ; elles structurent l’offre numérique de leur territoire, parfois de façon offensive : ainsi de la réinvention des services publics et de proximité, au moment où les zones rurales craignent les fermetures et le vieillissement de la population. ; ainsi d’approches concertées du développement économique, porteuses de valeur ajoutée pour le territoire. Là encore, le numérique n’est que l’auxiliaire d’une volonté d’ensemble : celle d’une montée en qualité endogène, fondée sur les richesses de l’échange au sein du « premier kilomètre » (c’est-à-dire les usages, les contenus et les services locaux, briques de base du réseau global qu’est l’internet) en même temps que sur le rayonnement « vers l’extérieur ». Il s’agit de développer la fertilité des compétences et des initiatives locales, de prendre appui sur l’approche collective de la communauté des habitants et des acteurs de chaque espace habité, de faire de chaque territoire un territoire de projet.

Le troisième enjeu est celui de l’appropriation ; d’importants efforts doivent encore être faits pour que les élus et décideurs prennent en compte le numérique dans leurs stratégies, pour que les non-spécialistes en perçoivent clairement les potentiels et les écueils ; et réciproquement, que les spécialistes s’approprient les problématiques du service public, du développement territorial, du lien social : une déspécialisation réciproque est nécessaire pour que tous vivent dans le même monde. Quant à l’appropriation par les habitants, par les commerçants, les artisans, les petites entreprises, les enseignants, c’est la plus grande diversité qui prévaut aujourd’hui : un grand écart qu’il ne faut pas laisser se creuser davantage, et qui nécessite une action déterminée. En ce sens, les espaces publics numériques peuvent être de véritables outils de développement local, comme c’est le cas en Provence-Alpes-Côte d’Azur avec les Espaces Régionaux Internet Citoyen (ERIC).

Concrètement, toutes les thématiques du développement local connaissent leur e-transformation ; il s’agit d’en aménager le contexte et d’en favoriser l’intégration, et c’est le sens du soutien régional aux projets de « territoires numériques ». Les stratégies territoriales se construisent, et se dotent des moyens d’un pilotage et d’une amélioration continue. Car l’enjeu principal, en perspective de tous les autres, est celui de la maîtrise : parmi les évolutions des dernières décennies, trop nombreuses sont les mutations subies. Maîtriser ne signifie pas agir seul : confrontés à la nécessité d’investissements d’avenir, dans des domaines encore mal connus, les acteurs publics choisissent de plus en plus souvent la voie de la mutualisation, tant dans les principes techniques (interopérabilité, partage des moyens) que dans le recours à l’expertise ou dans la mise en commun de données (cartographiques, administratives, économiques ou touristiques). C’est vers une véritable gouvernance numérique que tend aujourd’hui cette maturation.

Jacques-François Marchandise

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Rappelons que pour sa troisième édition, le 31 mars 2004à l’Hôtel de Région de Provence-Alpes Côte d’Azur, le Forum régional de la société de l’information convie représentants de l’état, des collectivités locales, des territoires, entreprises et acteurs du tiers-secteur à échanger sur le thème des « Territoires Numériques ». Inscription et programme en ligne.

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0 commentaires

  1. Bonjour.
    Pourquoi est ce que le sujet des TIC est t’il toujours traité de manière unidirectionnelle?Les technologies telles qu’elles se présentent aujourd’hui à la société, sont elles réellement utiles à l’individu et ne représentent elles pas plutôt un risque non mesuré et non maîtrisé d’emballement de l’organisation sociétale.
    En effet personnellement je suis de plus en plus méfiant par rapport à tous ces « progrès technologiques », car une lecture critique me fait percevoir d’énormes menaces sur nos vies privées.J’ai plus à perdre qu’à gagner avec les TIC.

  2. Infrastructures, services, usages… on va du concrêt vers l’abstrait.
    Et c’est le problème, il est plus facile de dire « j’ai mis 10 km de fibre optique dans ma commune » que de parler des ENT dans l’école.
    Le développement des TIC demande beaucoup de pédagogie.