Une idée neuve pour une politique industrielle européenne dans les TIC

M@rsouin publie une très intéressante étude de Godefroy Dang Nguyen (ENST Bretagne) et Christian Genthon (Université Pierre Mendès-France de Grenoble) qui, sous un titre très neutre (« Les perspectives du secteur des TIC en Europe »), propose à la politique industrielle européenne dans les TIC une orientation assez radicale : « En se focalisant sur un programme ambitieux de production de logiciel libre dans les systèmes embarqués et les réseaux domestiques, l’Europe peut atteindre plusieurs objectifs : permettre le libre accès à une ressource essentielle, stimuler la concurrence, faciliter la réalisation des objectifs de Lisbonne, et restaurer la compétitivité européenne dans les TIC« .

Les auteurs analysent l’évolution du secteur des TIC et concluent par un constat plutôt sombre : « l’Europe est potentiellement écrasée entre deux tendances fortes : l’avantage en coût des entreprises asiatiques et la capacité d’initiative et de financement des firmes américaines. De plus, les caractéristiques du secteur (segments dominants, effets de réseau et convergence) renforcent le pouvoir de marché des leaders« . Analysant plusieurs sous-secteurs, ils concluent en particulier que certains d’entre eux tendent plus ou moins spontanément vers plus de concurrence et d’innovation (électronique grand public, matériel informatique, télécoms – avec une forte dose de régulation pour ce dernier), tandis que dans d’autres secteurs (composants, logiciels, commerce électronique), l’innovation a tendance à renforcer le pouvoir des acteurs dominants et favorise l’émergence de monopoles.

Dang Nguyen et Genthon s’intéressent ensuite aux convergences et aux « segments dominants », ceux qui déterminent l’évolution d’ensemble du secteur. Selon eux, les TIC auraient connu quatre périodes historiques : centrée sur le système (1964-1981), sur le PC (1981-1994), sur le réseau (1994-2005), puis sur le contenu (2005- ?). Dans cette dernière période, les technologies-clés sont les logiciels embarqués et les réseaux « sans couture » et l’industrie dominante, celle des contenus.

Les systèmes d’exploitation embarqués et les systèmes de contrôle et d’interfaçage dans les réseaux domestiques (au sens large : réseaux personnels, domestiques, interconnexion d’appareils électroniques divers…) constitueraient donc la clé de l’innovation dans les services de demain, un peu comme TCP/IP dans les années 1990.

Comment permettre à l’Europe de prendre une place centrale dans ces systèmes-clés ? Une initiative pan-européenne structurante, telle que celle qui a permis d’imposer le GSM, ne serait plus réalisable aujourd’hui, dans une Europe à 25 et des marchés libéralisés. D’où l’idée de s’appuyer sur une autre particularité européenne : le dynamisme des logiciels libres (selon les auteurs, les Européens ont par exemple plus contribué au développement de Linux que les Américains).

« Nous proposons donc d’étendre cette démarche [de production ouverte et « libre »] à d’autres segments prometteurs des TIC. Mais la production ouverte de connaissance est potentiellement très large, et il faut la limiter à des éléments clés de la chaîne de valeur, en l’occurrence, les systèmes d’exploitation embarqués, les systèmes de contrôle et l’interfaçage dans les réseaux domestiques. L’idée est de pouvoir garantir une connectivité universelle, car c’est une condition nécessaire mais non suffisante pour le développement de produits et services innovants pour l’informatique ambiante et les réseaux domestiques. (…)

Le choix des segments sur lesquels faire porter l’effort n’est pas anodin. Notre hypothèse de base est qu’il faut préserver la connectivité universelle au coeur des réseaux tout en garantissant l’innovation, la production de connaissance privée à la périphérie. »

Autrement dit, il ne s’agirait pas ici de suggérer à l’Europe une préférence généralisée pour le logiciel libre, mais de concentrer les efforts sur la production « ouverte » de systèmes d’exploitation de coeur de réseau domestique et embarqué, comme coeur d’une stratégie offensive destinée à permettre aux Européens de prendre une place de premier plan dans l’innovation de services associés à l’informatique ambiante.

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0 commentaires

  1. Je souscris totalement à cette vision. Une conséquence intéressante : du fait d’une certaine sensibilité européenne aux questions de protection des données, un tel développement ouvert sur une base d’une connectivité technique et économiquement viable devrait contribuer à la production européenne de PETs [ou Privacy Enhancing Technologies] (et on ose l’espérer) efficaces et pragmatiques. Ces PETs sont absolument nécessaires au fonctionnement social des objets de l’informatique ambiante par la gestion appropriée des protections/publications en fonction du contexte et des finalités poursuivies. Ce fonctionnement social des objets « intelligents » ne devrait-il pas avoir une tonalité culturelle européenne ?