A la mi-avril 2006, nous raconte l’International Herald Tribune, en ouvrant son ordinateur, « Lame de glace » découvre une correspondance entre son épouse, « Lune tranquille » et un jeune étudiant, « Moustache de bronze ». Nous sommes en Chine, à Shanghai, mais il s’agit bien de pseudonymes, pas de noms – ou pas encore. Car le mari bafoué n’a rien de plus pressé que de s’épancher sur le forum en ligne auquel appartiennent les trois protagonistes. Certains prennent alors les choses en main : « Utilisons notre clavier et notre souris comme des armes, pour trancher la tête des amants adultères » ; et à propos de l’étudiant : « Nous demandons aux entreprises, aux établissements publics, aux écoles, aux hôpitaux, aux galeries marchandes et aux rues passantes de le rejeter (…) jusqu’à ce qu’il ait montré un repentir satisfaisant et convaincant »… En quelques jours, l’adresse et le numéro de téléphone de « Moustache de bronze » sont découverts et publiés ; poursuivi dans la rue et sur le campus, l’étudiant doit se barricader chez ses parents, harcelé de coups de fils ; le trafic de Tianya, l’espace de forum sur lequel tout a démarré, croît de 10 %.
Une dénégation en vidéo diffusée par « Moustache de bronze », puis un appel au calme de la part du mari trompé (qui n’en est peut-être plus si certain) n’y changeront rien : la foule est lâchée, l’EntreNet est son outil.
La « sagesse des foules » n’apparaît pas toujours de façon évidente…
C’est d’ailleurs le sujet de la charge très commentée de l’artiste-compositeur-informaticien de génie-essayiste Jaron Lanier, intitulée – Lanier n’est pas connu pour son sens de la diplomatie – « Le maoïsme numérique – Les dangers du nouveau collectivisme en ligne« . Sa thèse : les foules ne sont pas souvent plus intelligentes que les individus ; l’agrégation évacue les pensées difficiles au profit des idées plaisantes, dépersonnalise tout et crée une illusion dangereuse, celle d’avoir affaire à une « intelligence collective » qui est souvent une médiocrité collective – mais désormais valorisée ; la confiance aveugle dans la « sagesse des foules » pourrait produire des désastres et des nouveaux fascismes.
« Donner du pouvoir au collectif ne signifie pas en donner aux individus – au contraire. Il peut y avoir des interactions utiles entre les individus et l’esprit de la ruche, mais en revanche, l’esprit de ruche est trop chaotique pour s’évaluer et s’améliorer de lui-même. »
Bien évidemment, les réponses au texte de Lanier ne manquent pas… Au point que sur son site, Jaron Lanier se fend d’un avertissement quelque peu ironique à ses futurs lecteurs :
« a) Je ne traite pas Wikipedia de maoïste (l’article prend comme point de départ l’impossibilité pour Lanier lui-même d’obtenir la correction dans Wikipedia de sa biographie, alors manifestement erronée – Ndlr)
b) Je ne prétends pas que seule l’élite doit pouvoir se faire entendre
c) J’ai même quelques mots aimables pour Wikipedia
d) En revanche, je m’inquiète bel et bien voir se noyer l’expression individuelle, y compris celle des élites »
0 commentaires
Intéressant de lire ceci. A l’occasion d’une affaire qui a fait quelque bruit, j’avais rédigé, en février, un billet intitulé « blogs et tribunaux populaires » (http://koztoujours.free.fr/index.php/2006/02/21/blogs-et-tribunaux-populaires/ ). Oublions le fond de l’affaire, elle a parasité (par ma faute : je n’aurais pas dû l’évoquer) l’idée générale, qui rejoint votre article. A savoir que l’autre face du prétendu « journalisme citoyen » est bien ce risque de lynchage en ligne. Je suis un peu sceptique sur le contre-argument avancé généralement : le net s’auto-régulerait puisque, inévitablement, certains blogueurs contrebalanceraient les excès des autres. Ce n’est pas toujours le cas, soit par simple hasard, soit que par crainte de se distinguer, de se faire lyncher à la suite, ou parce qu’il y a un concensus version « bien-pensante » sur les blogs.
Qu’on ne se méprenne pas : j’aime les blogs, je trouve que cela ouvre de grandes et nouvelles perspectives, le mien m’apporte beaucoup, mais l’enthousiasme est parfois un peu excessif. La vérité ne sortirapas nécessairement des blogs.