Mario Asselin : le défi des natifs de l’internet

Mario Asselin, « catalyseur de communautés d’apprentissage » et pionnier québecois des espaces de publications personnels dans l’éducation, intervenant à la conférence Le Web 3 :

« L’éducation est un défi de tous les jours. On ne sait jamais l’effet d’une parole dite, la portée dans le temps d’un geste posé. Tout éducateur sait qu’il ne doit pas attendre une réponse immédiate à chaque fois qu’il intervient. Dans les vingt dernières années, les outils pour favoriser les apprentissages ont évolué au même type que les changements sociaux ont marqué la famille et la société. (…)

L’enseignant d’aujourd’hui doit considérer qu’il fait apprendre à des jeunes qui sont bien différents de lui dans leur rapport au savoir. Ils sont nés avec la présence des nouvelles technologies : le Web, les portables, la numérisation d’images et de vidéos, les blogues, les courriels, le clavardage et même les wikis (…) Les gens qui leur enseignent, dans le meilleur des scénarios sont des immigrants de l’Internet et les conséquences sont importantes : ils ont un accent quand ils s’expriment…

Tout bon maître d’école sait que devant lui dans une classe ou en formation à distance avec une cohorte, les gens n’apprendront pas tous les mêmes choses en même temps. C’est en tout cas ce que nous avons avons découvert à l’Institut St-Joseph où j’ai commencé l’utilisation d’une « ferme de blogues » avec les jeunes élèves du primaire. Rapidement, les membres de notre communauté ont été impressionnés par l’efficacité de la publication Web. Dans les sports et la musique, un formateur sait qu’il doit faire en sorte que l’apprenant puisse se produire en public souvent pendant son cheminement. Les nombreux feedbacks qu’il reçoit à ce moment agissent comme de véritables catalyseurs d’apprentissage. Pourquoi en serait-il autrement quand il s’agit d’apprendre l’écriture ? Écrire en public est une composante importante de l’apprentissage et les blogues sont de puissants leviers pour faire apprendre, dans ce sens. (…) En plus de développer la culture de réseau, ces espaces publics permettent des apprentissages intégrés, ne serait-ce parce qu’ils représentent un vrai contexte de travail pour les étudiants. Imaginez : faire son travail pour la planète au lieu de le restreindre à son enseignant et à ses parents. Les grands-parents, les voisins, la communauté rapprochée et celle plus élargie agissent comme rétroacteurs et participent aux apprentissages des jeunes sans rien enlever aux enseignants ou à l’école.

Mais pour que ces outils procurent le maximum de résultats, il faut accepter que 100 % du savoir ne transite pas par l’enseignant. Il faut accepter la posture de celui qui n’a pas le monopole des connaissances. L’enseignant et la communauté éducative doivent aussi accepter le principe de la gestion a posteriori de la publication Web : pas de goulot d’étranglement (validation avant publication, Ndlr), les apprenants voient immédiatement le résultat de ce qu’ils publient et on gère la « température » à l’aide de charte d’utilisation, d’une langue de qualité et d’un code de déontologie construit en commun et accepté… L’interaction avec les différentes sources de savoirs (dont l’enseignant) est un levier très puissant pour intégrer les connaissances. La relation s’inverse : au lieu de tirer les étudiants pour qu’ils daignent considérer ce que je veux leur faire apprendre comme enseignant, ce sont eux qui cherchent auprès de moi ce qui leur est nécessaire pour obtenir un travail de qualité et être à la hauteur de l’identité Web qu’ils se donnent par leur portfolio… (…)

Les nouvelles technologies abaissent les murs érigés dans l’école ; pourquoi ne pas en profiter pour relever le défi de la signifiance envers les natifs du numérique plutôt que de faire comme si ces moyens d’apprendre et d’échanger n’existaient pas ? Doit-on enseigner ces outils puissants et en superviser l’usage sous prétexte qu’il y a aussi des dangers reliés à leur utilisation, ou bien laisser les jeunes les découvrir et les apprendre seuls, sans supervision ? Je connais des écoles qui interdisent l’utilisation de Google, du clavardage et des blogues ; j’imagine que leurs équipes pédagogiques ne comprennent pas encore que ces outils sont les crayons et les dictionnaires d’aujourd’hui. Quand les jeunes en auront assez de nos insignifiances, on se demandera pourquoi il y a autant de violence et d’apathie dans les écoles. J’appelle à un peu plus de discernement… Je choisis l’éducation plutôt que le contrôle. Je choisis de faire apprendre à pêcher plutôt que de gaver de poissons. »

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0 commentaires

  1. Bonjour,

    Je réagis car je crois que ce genre de discours sème la confusion au lieu d’éclaircir le paysage de la pédagogie.

    Il mélange plusieurs argumentaires : certains sur lesquels on ne peut-être que d’accord ; l’effet générationnel, le Web comme crayon.. D’autres sur lesquels il est utile de s’interroger : l’identité numérique, l’écriture « dans le ciel » (comme dirait S. Harnad).. et d’autres enfin qui recuisent la vieille querelle rousseauiste sur l’apprentissage à la sauce Web 2.0 (ou Web 3 !!).

    Sur ces derniers, il serait dommageable de voir ressurgir les polémiques entre les tenants de la transmission et ceux de l’accompagnement déplacées sur le Web 2.0. À mon avis la seule attitude raisonnable, avec les anciens outils comme avec les nouveaux, est de garder un équilibre entre la transmission (il existe d’excellent manuel sur le Web, on peut y faire aussi d’excellents exercices et il n’y a aucune raison que le professeur renonce à sa mission de transmettre des savoirs) et l’accompagnement (le Web est en effet propice à une pédagogie participative).

    Il y a mieux à faire que de faire monter une « bulle pédagogique », comme il monte peut-être encore une fois une « bulle financière » autour du Web 2.0.

  2. Effectivement Jean-Michel, les polémiques éducatives se perpétuent sans fin, preuve qu’elles n’ont pas besoin d’outils pour cela. 😉

    Je ne pense pas que Mario Asselin, ou moi-même en relayant son propos, cherchions à faire monter une « bulle pédagogique » – dont on aurait du mal à voir où elle pourrait se raccrocher. A l’occasion de la conférence Le web 3, Mario a écrit un texte sur son expérience que j’ai trouvé relativement clair et fort et qu’il me semblait important de faire partager à nos lecteurs. Je ne pense pas que son but ait été d’éclaircir la Pédagogie, mais juste d’évoquer son expérience, forte et originale, de pédagogue.

    Quant à l’équilibre entre transmission et accompagnement sur le sujet des TIC dans l’éducation, force est de constater que la plupart des études que nous pouvons voir passer sur le sujet montrent que nous sommes bien loin, dans les faits, d’aborder le début du quart de cette question.

    Maintenant sur le fond, et la question de l’équilibre, je crois que nous sommes entièrement d’accord. Reste qu’il faut parfois pour bien faire comprendre une expérience, la décrire d’une manière forte, voire un peu extrême, pour susciter de la curiosité, de l’intérêt… et aussi de la réaction. C’est, je pense, ce qu’a réussi Mario Asselin dans ce texte.

  3. Bonjour,
    Les réserves sur cet article peuvent partir du constat qu’il est rédigé dans une langue très lourde ou confuse (par exemple: « accepter que 100% du savoir ne transite pas par l’enseignant », veut-il dire que RIEN du savoir ne passe par le professeur, ou que ce n’est pas la totalité du savoir qui passe par lui?).
    Idéaliser le modèle des »feedbacks » comme interlocuteurs de formation, n’est-ce pas oublier que la plupart des publications individuelles sur le Web (blogs ou pages persos) ne dépassent pas quelques unités de lecteurs réactifs? « Se produire en public », « écrire en public » , ce n’est pas la même chose: autant l’exposé oral devant les camarades, ou la participation à un club théâtre, confronte et épanouit psychologiquement l’élève, autant le soliloque des publications en ligne peut confiner au solipsisme.
    En rendant une copie, l’élève de la tradition médiévale y stipulait: « Lege, quaeso », à l’adresse du maître: « Lis, je t’en prie ». Le maître qui lit la copie répond à une demande expresse, non anonyme. Quelque formatrice que devienne, en parallèle, la divulgation des productions, l’acte éducatif majeur entre maître et disciple reste, dans son exigence et son urgence, et entre sujets librement et réciproquement reconnus, un colloque singulier.

  4. Il me semble que l’un des problèmes sous-jacent à ces avis est dans la dialectique entre ce que les apprenants veulent apprendre et comment ils veulent le faire, et ce que les appreneurs veulent faire apprendre et les manières de le faire. Ensuite, nous sommes dans le domaine du pari.

  5. Un grand merci à toi Hubert pour avoir relayer le texte et surtout, pour avoir si bien cadré mes intentions par ton commentaire.

    Il est bien possible que certains passages de mon texte soient perçus comme étant lourds ou confus. Cette conférence était à l’origine en anglais… La bonne interprétation à donner à la phrase «creuse» rapportée par M. Filippi était bien «que ce n’est pas la totalité du savoir qui passe par lui» [l’enseignant].

    Je crois fermement que l’enseignant qui veut faire apprendre les éléments de contenu du programme Nationnal a tout avantage à agir de façon à ce que ses élèves publient sur le Web ses apprentissages et le processus qui les a rendus possibles. En ne travaillant pas que «pour» papa/maman et ses profs (un public assez restreint, admettons-le), l’apprenant réalise que toute la communauté valorise ledit programme en même temps que l’enseignant réparti sur «plusieurs épaules» l’immense responsabilité de donner un écho à la production (forcément perfectible) de l’étudiant.

    À moins que ce programme soit périmé, ce sera un exercice scolaire exaltant pour l’institution scolaire. Dans le cas où ce le serait, l’étudiant n’aura pas tout perdu ;-))