UPFing 07 : La société peut-elle rester partie prenante de l’innovation ?

Cette avant dernière séance plénière de l’université de printemps de la Fing a essentiellement été consacrée aux travaux des étudiants de l’Atelier de design numérique de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci). Ceux-ci avaient décidé de réaliser des affiches publicitaires fictives mettant en jeu des technologies aux limites de la perte de contrôle. Pour David Gauquelin, étudiant à l’Ensci : « Mais comment peut on parler d’innovation ascendante et de collaboration à propos de choses qui se passent dans des laboratoires , auxquels les gens n’ont pas forcément accès et qui sont difficiles à saisir ? »

Images d’apprentis sorciers en débats
« La collaboration, l’innovation ascendante peut se faire à différents niveaux. Il y a le champ du débat public, la nécessité de faire saisir des enjeux ; mais lorsqu’on aborde le domaine de la conception de produits, une formation est nécessaire, telle que celle qu’on apprend dans les écoles de design. On a du mal à croire que tout le monde puisse s’improviser designer. Nous voulons réfléchir à articuler la collaboration avec les consommateurs, mais leur laisser élaborer les produits nous parait une utopie difficile ou dangereuse ».

David Gauquelin a ensuite abordé la notion de « design prospectif » : la présentation d’objets futurs servant à ancrer dans la réalité les débats sur les nouvelles technologies, les responsabilités, l’éthique, etc. C’est le but des projets présentés à l’Upfing : complémenter la discussion théorique avec des propositions susceptibles de faire avancer le débat à partir de modèles et non de propositions théoriques.

Et de donner comme exemple le « cochon » d’un designer italien Elio Caccavale qui a imaginé un « animal de compagnie utilitaire » intégrant de l’ADN de son maître et capable de lui servir de donneur d’organes. Il a réfléchi à la vie au quotidien avec cet animal, les comportements qu’il induirait, etc.

« Pourquoi serait-il dangereux de laisser les utilisateurs jouer le rôle de designer ? », questionne Jean-Marc Manach d’Internet Actu. Pour David Gauquelin, la conception d’objets demande un certain nombre de connaissances spécifiques qui impliquent certaines responsabilités du fait des conséquences économiques, sociales ou politiques impliqués par le processus de création. De plus comme le rappelle Jean-Louis Frechin, professeur à l’Ensci, même lorsque Van Hippel, au MIT, parle de self manufacturer, il parle de développeurs open source, de doctorants , voire de designer ou de citoyens directement concernés… S’agit il vraiment de monsieur tout le monde ? « Les citoyens ne créeront pas les prochains téléviseurs Phillips », conclut-il, « même il ne s’agit pas d’être fermé aux nouveaux modes de création ».

Le premier groupe d’étudiants, Emilie le Gulvout et Sandrine de Lignac, a imaginé un œil bionique en différentes versions : le « modèle TF1 » sert à recevoir la télévision dans notre cerveau ; le modèle Nikon propose un zoom intégré à l’oeil comme celui d’un appareil photo ; enfin, un oeil Dior, pour le côté fashion, qui permettrait de regarder le monde avec l’oeil de John Galliano.

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Flora Langlois et Fanny Vincent ont travaillé sur le thème de la « seconde peau », avec un objet positionné sur le corps, et non pas implanté de manière sous -cutanée. Cette seconde peau serait emplie de micro-capteurs susceptibles de repérer des anomalies dans le rythme cardiaque, la température, etc. Une interface adaptée permettrait au porteur d’accéder à une véritable cartographie de son corps, entièrement monitoré.

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Lea et Maya ont travaillé sur un système de vidéo-surveillance par satellite. Leur produit nommé Bodyguard peut servir de garde du corps (par exemple en suivant une personne dans la rue pour éviter une possible agression) mais aussi être employé de manière plus ludique, comme technique pour créer des films de vacances.

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Caroline Journaux, s’inspirant des évènements récents de la Gare du Nord, a imaginé un émetteur d’ondes positives ayant pour but de contrôler l’état d’esprit des foules. Aurélie Eckenschwiller a proposé un projet réservé aux parents inquiets baptisé é-veil : les « super mamans » disposeraient d’un patch RFiD placé sur la plante des pieds du bébé et fournissant toutes les informations nécessaires à rassurer les parents. Medhi Moujane et Mathilde Maître ont imaginé une identité numérique universelle, Human Name System, une espèce d’adresse IP regroupant l’ensemble de nos activités sur internet. Cette seule adresse remplacerait ainsi nos emails, nos mots de passe et codes d’accès à différents services, etc. Elise Prieur propose elle un maquillage capable d’exprimer les émotions, en affichant directement sur nos visages nos sentiments du moments, en mots compréhensibles par nos interlocuteurs : amour, haine, joie, etc. Cela changerait-il la nature de la communication entre les individus ?

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Deux autres projets n’ont pas été évoqués mais méritent d’être présentés. Celui de Baptiste Viala qui présente la « réalité devancée », un concept qui permet de changer de vie et de comportement pour une durée limitée, comme on change de programme. « Digitarium » d’Aude Guyot et Adrien Demay, imagine l’implantation d’agents intelligents dans nos objets du quotidien qui permettraient le déplacement autonome de nos médias comme de nos avatars. Une façon de recomposer le hasard avec la technologie.

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De telles technologies de sont pas sans susciter des questions, comme Bodyguard qui, comme ses inventeurs l’ont eux même remarqué, flirte avec les dangers d’une surveillance ubiquitaire ou encore pose des problèmes économiques : s’agit-il d’un système privé qui ne pourrait être accordé qu’aux plus riches ou bien d’un service public offert à tous ?

Cependant, a plusieurs reprises, différents étudiants ont insisté sur le fait que malgré le côté inquiétant de certaines de leurs affiches, qui frisent de près les scénarios catastrophes, il ne s’agissait pas pour eux de distiller une peur instinctive de la modernité. Au contraire , ils ont insisté sur le fait que ces spéculations poussées à l’extrême pouvaient permettre de comprendre les conséquences des technologies, mais qu’il fallait garder confiance en la capacité d’adaptation de l’être humain.

Dorothée Benoit Browaeys, de Vivagora, constate que les publicités s’adressent aux individus pris un par un. Elle s’interroge : « Qu’est ce que chacune de ces propositions implique pour les voisins ? Le produit proposé s’adresse à l’esprit consommateur : où est l’aspect citoyen ?

Mondes virtuels, mondes réels ?
Les mondes virtuels en ligne, qui avaient fait l’objet de la projection d’un film en début d’après-midi ont également été l’objet d’une salve de questions. A ce sujet Paul Mathias du Collège international de philosophie s’est demandé quelles étaient les règles qui géraient ces mondes parallèles. Pour illustrer son propos, il a raconté alors l’histoire intervenue il y a une quinzaine d’année dans un MUD (Multi-User Dungeon), dans lequel un viol virtuel « en mode texte » a eu lieu. Un des administrateurs a alors tué le personnage qui avait perpétré le viol. Il s’est ensuite demandé si la sophistication graphique (3D, etc.), constitue ou non un véritable enrichissement. Enfin, il s’est interrogé, sur le conformisme de ces espaces de jeux « on y est commerçant, militaire.. Mais qu’en est-il si je veux être un cheveu ? Un comédon ? Comment organiserait-on le dialogue entre un comédon et une pince à épiler ? »

hugobiwan.jpgHugobiwan Zolnir alias Huggy Shinbun, l’inventeur de la BlogBall qui co-développe le Metalab 3D pour les cyberterritoires quant à lui, note que dans les mondes virtuels, on voit se développer des usages qui pourraient présager des futures technologies qui existeront dans le monde réel : par exemple, il existe dans Second Life un équivalent du Bodyguard imaginé par les étudiants de l’Ensci : un réseau de « capteurs » couvrant l’univers entier permettant de commander une pizza (virtuelle, évidemment) depuis n’importe quel point du monde de Second Life. Pour lui, « on a là une plate-forme d’observation des usages dans un environnement qui incube en série l’internet des objets et qui s’appelle le monde virtuel ».

Enfin quelqu’un demande si « le mot vivre est parfaitement à sa place dans second life ». Pour Paul Mathias, cette seconde vie n’est que la continuité de la première. On s’y absorbe presque comme un spectateur s’absorbe dans le personnage de John Wayne dans Rio Bravo.

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