A quoi sert la participation ?

Réagissant aux critiques de Guillaume Narvic à l’encontre des contenus générés par les utilisateurs, André Gunthert, le directeur du Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine a fait cette belle défense de la participation :

« Et si la finalité d’une photo sur Flickr n’était pas de faire la une de CNN ? Et si les contenus partagés servaient à autre chose que de supplétifs à la construction du spectacle ? (…) En habitué de l’observation de la photographie amateur, j’ai appris à regarder avec attention les productions privées. Qui commencent à devenir intéressantes lorsqu’on les considère pour ce qu’elles racontent, dans leur langue et avec leurs propres moyens, et non comme des ersatz de l’industrie du disque ou du cinéma. (…) La première qualité de ces contenus, c’est de nous montrer l’image que les gens eux-mêmes ont choisis.

Cette image-là, je suis persuadé que nous ne savons pas encore la voir ni l’apprécier. J’aime quand Narvic nous parle des chats et des marmottes, en voulant nous dire que ces objets-là ne sont guère dignes d’attention. Parce que je me souviens très bien que la première chose que je me suis dit lorsque j’ai découvert Flickr, c’est précisément : c’est incroyable tous ces chiens et ces chats ! Un vrai choc. Cela faisait plus de vingt ans que j’étudiais la photo, mais aucun de mes livres, analyses savantes, kilos de doc, ne m’avaient révélé ce trait de la photographie privée : l’importance de cette présence-là. Narvic, ne ris pas, mais c’est fou ce qu’on voit dans une photo de chat. D’abord on voit qu’on ne l’avait pas vu, que Flickr nous fait découvrir quelque chose qu’aucun corpus n’était capable de nous dire. Ensuite, photographier son chien ou son chat nous raconte exactement à quoi sert la photographie. Avec Bourdieu, on peut admettre que photographier ses enfants, sa femme ou son beau-frère comporte une dimension sociale d’affichage et de convention. Mais lorsque Miranda, 14 ans, met en ligne trente photos d’affilée de son affreux matou, ces photos-là ne nous disent qu’une seule chose. Que la photo, ça sert à mettre de l’amour en boîte. Pour le consommer plus tard, comme des tranches d’ananas. Oui, je sais, c’est à peu près la même chose que ce que tente de nous dire Roland Barthes dans La Chambre claire – mais il ne le dit pas, il nous parle de présence, il nous parle d’histoire, mais il n’arrive pas à énoncer cette chose-là, autour de laquelle tourne tout son livre. Peut-être lui a-t-il manqué un chat. Il y a des évidences si difficiles à comprendre, qu’il faut beaucoup de temps et de patience pour les entrevoir. »

Les chats, les marmottes et les fins de la participation, par André Gunthert.

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  1. Je rejoindrais André Gunthert pour rejeter la vision élitiste de Guillaume Narvic sur les contenus « triviaux », mais je n’adhère pas à l’intention prêtée à Miranda à partir de l’observation des photos qu’elle a mise en ligne.

    Je m’explique : et si prendre des photos pouvait n’être qu’une occupation, qu’un divertissement sans intention initiale de les conserver et de les publier. Leur conservation et leur publication étant alors incidente d’une part à la présence d’une mémoire dans l’appareil photo et d’autre part à une pratique maintenant bien ancrée qui veut que toute photo est mise en ligne.

    Cela soulève la question de l’oubli : ce type de photos, effets secondaires d’une autre activité (le divertissement), n’ont de valeur qu’instantanée. Là où le cerveau humain les aurait passé à l’oubli, les mémoires digitales en garde un souvenir impérissable. Et c’est une décision loin d’être anodine que de se décider à se séparer de tels souvenirs, aussi triviaux soient-ils… Surtout quand le stockage est gratuit…

  2. Moi je prends des photos pour « sauvegarder » le temps. Ma finalité serait de rendre les voyages dans le temps possible, grace aux nanotechnologies :

    – Construction de nanocytes « appareils photos » ;
    – Diffusions de ces nano-caméras tout autour de la terre ;
    – chaqu’une d’entre elle prends 24 clichets/seconde (ou 30, ou 300)
    – tout est envoyé quelque part pour y être stoqué.

    Si je veux « voyager dans le temps », j’allume mon ordinateur, j’indique un lieu, une date, et je me balade dans cet univers virtuel passé.
    Je peux revoir tous les événements qui ont été enregistrés par ces nano-caméras, me déplacer où je veux, à la date que je veux.