Sociogeek : notre exposition en ligne est stratégique

Les premiers résultats de l’étude sociogeek visant à mesurer l’impudeur des internautes et à comprendre la façon dont on choisit ses amis sur les sites sociaux que nous annoncions il y a quelques semaines viennent d’être publiés. L’idée de l’étude lancée par la Fing dans le cadre de son programme « Identités actives, Faber Novel et Orange Labs était de mesurer, par le biais d’un petit jeu, s’il y avait des différences dans les manières de s’exposer sur le web 2.0. En cherchant à comprendre comment les internautes s’exposent sur le web et comment ils sélectionnent leurs relations sur les sites sociaux, les chercheurs souhaitaient regarder si les différentes formes d’exposition conduisaient à des comportements relationnels spécifiques.

Avec quelque 11 000 participants, majoritairement masculins (74 % de l’échantillon) et jeunes (28 ans de moyenne), l’échantillon correspond à des internautes plutôt actifs sur les sites sociaux, aux pratiques internet assez avancées.

Répartition des répondants à l'enquête

Certes, les internautes exposent leur identité sur le web, mais cette exposition reste très modérée, et surtout, plutôt maitrisée, expliquent les chercheurs. Dans l’enquête, les internautes devaient dire s’ils acceptaient de publier des photos sensées les représenter dans différentes situations présentant des niveaux d’exposition allant de très pudique (1 point) à très impudique (4 points). La note moyenne des réponses obtenues sur l’ensemble de l’échantillon est de 2,22 (sur 4) et la répartition des réponses est fortement concentrée autour de cette moyenne. Seulement 7,6 % de l’échantillon a une note d’impudeur supérieure à 3. Des chiffres qui montrent combien le niveau d’exposition reste contrôlé par les individus : la publication de soi répond plus à une activité stratégique qui cherche à produire une image de soi avantageuse qu’à une prise de risque inconsciente. D’où des expositions de soi qui valorisent les moments festifs, les émotions positives et qui font disparaître notamment tout ce qui a rapport à la tristesse, à la solitude, à la souffrance.

Assez logiquement, apprenons encore que les hommes s’exposent plus que les femmes (2,27 contre 2,08), les jeunes plus que les vieux (2,63 pour les moins de 20 ans contre 2,19 pour les plus de 41 ans).

La seconde partie de l’enquête s’intéressait à comment on choisit ses amis sur les sites sociaux. Quels critères (origine sociale, bagage culturel, apparence physique…) structurent la mise en relation ? Les chercheurs étaient partis d’une hypothèse audacieuse rapporte Libération : « la moindre inhibition des internautes provenant d’un milieu populaire ou de classes intermédiaires à s’exposer sur le net devait les aider à nouer plus facilement des contacts avec des gens d’autres milieux sociaux. »

De fait, révèle l’enquête, les internautes d’origine modeste ou de culture populaire s’y essaient : « les ouvriers et employés adoptent clairement une stratégie pour élargir leur cercle relationnel au-delà de leur périmètre culturel ou économique de départ », analyse le sociologue Dominique Cardon, responsable de l’enquête. Mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous parce que les catégories socioprofessionnelles les plus élevées et les plus diplômées filtrent davantage leurs contacts que les ouvriers, les employés et les moins diplômés. Les moins diplômés se retrouvent dans une situation de « conquête », pour enrichir via ces plateformes un capital social moindre. Ils ont tendance à accepter d’emblée la mise en relation, là où les plus diplômés ont tendance à regarder précisément le profil du requérant avec d’accepter de se lier.

Autre spécificité, rapporte encore Ecrans.fr : les plus diplômés contrôlent davantage leur image et se montrent plus pudiques. « Leur image est beaucoup plus calculée, construite… », explique Dominique Cardon. Mais cela ne les empêche nullement de prendre l’initiative pour contacter les autres alors que les plus modestes, plus exhibitionnistes sur le web, attendent plus volontiers qu’on les contacte.

De fait, on recherche sur le web comme dans la vie des gens qui nous ressemblent, des gens de notre milieu social, de notre culture. Les sites sociaux ne transforment pas profondément ni les moyens ni les choix de mise en relation, mais font émerger des stratégies de conquêtes, qui ont tendance à aller plus loin dans une exposition éditorialisée de soi, dans la finalité de construire son réseau. Le web 2.0 n’oblige pas à s’exposer, mais pousse à développer des stratégies pour se mettre en avant. Comme le disait encore Dominique Cardon : « L’identité numérique est moins dévoilement que projection de soi ».

Des premiers résultats qui infirment en tout cas l’idée répandue que les internautes en ligne, particulièrement les jeunes, ne « savent pas ce qu’ils font » lorsqu’ils se dévoilent en ligne.

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0 commentaires

  1. Ils sont vraiment forts ces chercheurs d’Orange Labs. Ils ont tout compris!

    Tous les membres de notre association ont répondu à cette enquête. En tant que Président, j’ai recueilli leur impressions: tous sont fiers d’être pour la plupart des abonnés d’Orange en même temps que des contribuables et d’avoir contribué à nourrir et à financer cette recherche absolument magistrale qui éclairera comme un phare pendant de longues années la pensée, la compétitivité et l’action de nos entrepreneurs et de nos hommes politiques en matière d’industrie et de culture numérique.

    Vive les Français! Vive la France!

  2. Une étude extrêmement interessante, aux résultats passionnants (pour mon métier de communiquant sur Internet en tout cas), mais qui pose néanmoins comme d’habitude la question de la pertinence du panel.

    11 000 participants, certes, mais des participants déjà habitués au média social sur Internet.
    Cela remet en cause la conclusion. Évidement, les membres de ce panel, qui savent déjà ce qu’il font sur Internet, savent contrôler dans une certaine mesure l’image qu’ils donnent d’eux. La conclusion est imparable pour ce panel.

    Maintenant, si on change de panel (ma mère, mes grands-parents, ma petite cousine de 12 ans, etc.), on tombera clairement sur une autre conclusion.
    Comment faire une conclusion générale sur les utilisateurs de social média dans ce cas ?

  3. Cyroul, en effet les 11 000 participants ne sont pas représentatifs de la population française, nous le savions dès le début et avons élaboré nos hypothèses en en tenant compte.
    De là à se dire qu’on savait déjà que ces « usagers avancés » savent contrôler leur image en ligne, c’est moins évident. Certes on s’en doutait et l’enquête le prouve, ce n’est pas un scoop pour le communiquant que vous êtes, mais déjà un résultat en soi…
    Une des idées que l’on va trop souvent et qui légitime la seule dimension « risque » liée à l’usage des sites sociaux, et plus largement des traces en ligne, est : « les ados ne savent pas, et les sites sociaux se protègent en publiant des chartes interminables d’utilisation dont ils savent que personne ne les lira ».
    Oui personne ne lit ces chartes, mais ces usagers savent, sentent en tout cas qu’ils doivent contrôler tout ça, maîtriser ce qui peut l’être. C’est aussi en cela que l’enquête nous est utile, au-delà du cercle des chercheurs dans ce domaine.

  4. @Renaud Une enquête dont je ne contesterai jamais l’utilité. Elle a déjà le mérite d’exister et de poser des questions intéressantes.

    Pour ma part, j’aimerai bien que la V2 de Sociogeek (si il y en a une) soit dirigée vers la participation du « véritable  » Grand Public. Faire participer les 60% de français, ça doit être possible non ? 😉

  5. Et surtout: comprenne qui voudra … une des règles de l’Art est à mon sens de laisser libre l’interprétation (et donc la compréhension) de l’oeuvre.