Le retour des communautés

Et si, plutôt que de partir de technologies, on prenait comme point de départ, et de focale, les gens ? Et si l’innovation considérait les gens, non pas comme des cobayes futurs consommateurs, mais comme des coconcepteurs futurs coproducteurs, et coparticipants ? Trente ans après les utopies communautaires des années 70, l’innovation technologique fait dans le social, et tente, de nouveau, de changer les gens, pour changer la vie. That’s Lift !

Frank Kresin à Lift France 09, par Central AsianFrank Kresin, de la Waag Society d’Amsterdam, développe des prototypes de technologies créatives pour l’innovation sociale, parce que l’innovation peut aider les gens à se connecter et mieux comprendre ce qu’ils sont (voir sa présentation).

Le projet « Power mapping : DIY microgeneration » propose ainsi d’utiliser les jeux d’enfant, les vélos, les portes-tournantes et tourniquets à l’entrée des immeubles, le fait de marcher, de parler dans son téléphone, bref, tous les petits gestes du quotidien, pour recueillir, générer et partager de l’énergie. Sur un principe assez proche, Qurrent.com propose pour sa part de coproduire, et partager, des énergies renouvelables à partir de panneaux solaires, éoliennes, pompes à chaleur, etc., entre voisins.

Et pourquoi ne pas généraliser ces micro-centrales hyperlocales à l’échelle d’un quartier, voire de toute une ville ? La Waag Society a ainsi conçu une carte de la ville d’Amsterdam dressant, en fonction de la situation des bâtiments (hauteur, surface, orientation, etc.), ceux qui pourraient accueillir des éoliennes, ou des panneaux solaires.

L’Urban EcoMap de San Francisco inverse la proposition, en proposant aux résidents de visualiser, sur une carte, la quantité d’énergie et de déchets par quartiers. Objectif : mobiliser les gens, leur proposer des alternatives et estimer l’évolution de leur empreinte carbone s’ils modifiaient leurs comportements.

Urban Eco Map

Partant du constat que l’une des raisons principales à l’utilisation des voitures personnelles est le sentiment de liberté et de contrôle que l’on éprouve au volant, le projet de « Personal Travel Agent » propose pour sa part d’inciter les gens à prendre les transports publics grâce à un outil leur redonnant les commandes de leurs trajets, quand bien même il le serait dans les transports publics.

L’environnement ne se réduisant pas à la seule énergie, la Waag Society avait également, en 2001, participé au projet « Amsterdam Real Time » (Amsterdam Temps réel), qui consistait à confier des téléphones GPS à des volontaires, afin de visualiser la ville telle qu’elle est parcourue par les gens. Une façon de renverser la charge de la preuve, et de proposer aux gens, non pas d’être surveillés par des capteurs fixes disséminés dans la ville, mais d’être à l’origine de la mesure (anonymisée) de leur environnement, comme on le retrouve dans la montre verte.

PigeonBlog

Non seulement les gens aiment être impliqués dans ce type d’expérimentations, mais elles permettent également aux gouvernements, administrations, d’envisager sous un autre angle la vie et les problèmes de la cité, et d’affiner les multiples manières d’y remédier.

Dans le même temps, constate Frank Kresin, ce type d’initiatives n’est pas sans faire levier sur un certain nombre d’obstacles, comme celle de faire évoluer les grilles d’analyse, les critères de qualité établis que certains voudraient voir indéfiniment conservées alors que l’état de santé et de mesure de la cité ne cesse de changer.

Jardins et jardiniers

Elizabeth Goodman, de l’Ecole d’information de l’université de Berkeley, est venue évoquer le design des espaces verts (voir sa présentation). Ceux-ci, nous a-t-elle rappelé, n’appartiennent en rien à la nature, ce sont des constructions totalement artificielles, qui nécessitent du temps et de l’argent pour leur construction comme pour leur entretien… Mais ces espaces ne doivent pas simplement être considérés comme de simples “arrière-plans”. Les espaces verts sont bel et bien des lieux où peuvent se rencontrer différents acteurs de la cité et devenir des supports de multiples formes d’interactions. Par exemple, a Seattle, on a mis à disposition de petits terrains potagers pour cultiver de la nourriture à destination des SDF. A Philadelphie, ville sinistrée par la chute des installations industrielles, on envisage de remplacer de nombreux espaces aujourd’hui désertés par des fermes ou des potagers.

EasyBloomMais comment participer activement au reverdissement de sa ville ? Une première action possible, la plus simple : cultiver son jardin. Mais comment faire lorsqu’on n’y connait quasiment rien ? Elizabeth Goodman a présenté des détecteurs à placer dans le sol pour détecter quels végétaux sont susceptibles d’y être plantés. Et les apprentis jardiniers peuvent toujours mettre leurs efforts en commun sur un site comme MyFolia. Landshare, permet de mettre en relation les propriétaires de terrains privés et jardiniers potentiels.

On peut aussi, grâce au net et à l’innovation technologique, contribuer de manière plus politique à l’entretien des espaces verts. La cartographie, comme l’avait souligné plus tôt dans la matinée John Tackarah, peut jouer un rôle important. Ainsi, la publication de deux photos montrant la destruction des forêts urbaines à Washington entre les années 70 et aujourd’hui a suscité suffisamment d’émotion pour entrainer une intense campagne de reforestation. D’autres préféreront devenir des “scientifiques citoyens” et communiquer leurs observations sur l’évolution de leur écologie locale.

Les espaces verts urbains sont un espace qui peuvent permettre de proposer une vision plus aimable, plus agréable de la “durabilité”, trop souvent envisagée sous un aspect très austère, suggère la chercheuse et designer.

Vers un quotidien durable

Autre problème rencontré en matière d’innovation sociale : les fausses bonnes idées. Ainsi, on nous rebat souvent les oreilles avec les milles et une astuces, trucs et « bons gestes » censés réduire notre bilan énergétique. Mais pour François Jégou, directeur de Strategic Design Scenarios, une agence de design stratégique et de recherche sur le développement durable, 75 % de ces trucs et astuces n’ont guère d’effets réellement tangibles, et s’avèrent globalement inutiles au regard de l’ampleur des efforts à faire… d’autant qu’ils participent souvent également d’une logique consumériste qui tend à annihiler la portée des efforts entrepris.

Exemple : à quoi sert d’acheter une voiture hybride si c’est pour parcourir des milliers de kilomètres ? Et où nous mènera le « développement durable » alors que, pour certains, c’est le concept même de « croissance », et donc de « développement », qu’il faut remettre en question. Ainsi, note Jégou, « la technologie nous a permis de faire des économies d’énergie, mais permet également de développer une vie de consommation abusive« …

François Jégou, à Lift France 2009, par UserStudio
Image : François Jégou, à Lift France 2009, par UserStudio

Si « ça n’a pas d’effet, les gens sont prêts à changer, et c’est la bonne nouvelle, le changement est en train de s’opérer« , souligne néanmoins François Jégou. Pour illustrer comment nous pourrions aller plus loin, et bâtir « une vie de tous les jours durable« , il participe au Sustainable Everiday Project (projet pour un quotidien durable), une plateforme web ouverte qui veut stimuler l’innovation sociale autour de scénarios d’usages et de stratégies combinant pratiques quotidiennes et logiques à long terme.

Dans un inventaire à la Prévert, Jégou évoque ainsi des projets d’éco-villages, de coopératives de voisinage, pour mutualiser les appareils électroménagers ou de bricolage, dépanner ses voisins lorsque l’on fait ses courses, acheter directement dans des fermes biologiques locales (à la manière des AMAP) ou créer un jardin potager communautaire sur le toit ou dans le square de son immeuble, le coupler à de l’agro-tourisme, mettre en place des crèches, des bibliothèques et des voitures « partagées« , et collectives…

Au-delà de la réduction de l’impact environnemental, l’objectif, selon Jégou, est de devenir « co-producteur des services dont on bénéficie« , mais aussi de « regénérer du tissu social« … Il ne s’agit pas de faire dans la solidarité, la charité, ou d’avoir bonne conscience, mais d’être dans la réciprocité, d’être moteur de son économie, plus maître de sa vie, ancré dans le tissu social local, et donc moins dépendant de tous ces intermédiaires dont la prolifération participe, pour beaucoup, aux problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Ce que François Jégou qualifie de « communautés créatives », c’est-à-dire des communautés qui « n’attendent pas, (mais) qui inventent, ensemble, pour résoudre les problèmes eux-mêmes« .

NB : le portrait de Frank Kresin à Lift est de CentralAsian.

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