La techno est-elle devenue notre culture ?

Dans un récent article de son blog, l’éditorialiste Kevin Kelly explique « pourquoi la technologie ne peut pas nous combler ». Il y évoque notamment les amish, cette communauté chrétienne qui vit volontairement à l’écart de la société moderne, ou les hippies qui comme Kevin Kelly lui-même dans les années 70, se sont retirés hors du monde pour construire de nouveaux rapports sociaux et de nouveaux rapports à la technologie, voire encore ces hackers qui dans nos sociétés modernes « utilisent le moins de technologie possible pour accomplir quelque chose ».

Eric Brende, étudiant au MIT, s’est ainsi retiré un temps chez les amish, comme il le raconte dans son livre, Better Off. Depuis quelques années, il est revenu à la civilisation, mais en ayant une consommation mesurée des technologies. Brende, a constaté que l’absence d’électronique de loisir, l’absence de longs trajets en voiture et l’absence des tâches d’entretien pour maintenir toute cette complexité technologique qui nous entoure, a été remplacées par plus de temps de loisir réel. En fait, les contraintes de la coupe de bois à la main, le transport de fumier avec les chevaux, faire la vaisselle à la lumière de la lampe a malgré tout libéré un temps de loisirs qu’il n’avait jamais eu. « Le travail manuel apporte moins de distraction et plus de satisfaction », explique Kevin Kelly. Alors que la technologie, elle, augmente les possibilités de choix et que l’éducation les optimise. Et de constater que les sirènes de la diversification du choix sont plus attractives que la satisfaction simple des besoins immédiats. « Ce que nous recherchons est le montant minimum de la technologie qui va générer le nombre maximal d’options pour tous », explique le gourou des nouvelles technologies.

Dans une courte harangue sur son blog, l’essayiste américain estime d’ailleurs que « la technologie n’est plus à l’extérieure, n’est plus étrangère, n’est plus à la périphérie. Elle est au centre de nos vies. »

« La technologie est le feu de camp autour duquel nous nous rassemblons », estime la musicienne Laurie Anderson citée par Kelly. « Après avoir longtemps eu une présence marginale, la technologie est désormais partout et partout importante », explique Kelly. « La technologie a été en mesure de s’infiltrer dans nos vies parce qu’elle est devenue comme nous. Elle est devenue plus organique dans la structure. Parce que les technologies de réseau se comportent davantage comme un organisme que comme une machine, les métaphores biologiques sont beaucoup plus utiles que les métaphores mécaniques pour comprendre comment fonctionne l’économie des réseaux. »

Le réseau : un comportement naturel dans une matrice technologique

On comprendra que dans la continuité de cette approche, Kevin Kelly définisse le réseau comme : « un comportement naturel dans une matrice technologique » (organic behavior in a technological matrix).

La matrice technologique, c’est ce que Kevin Kelly appelle le technium, c’est-à-dire la technologie prise comme un système global… Un concept qui devrait être également le titre du livre qu’il s’apprête à publier et sur lequel il travaille depuis plusieurs mois via son blog.

La courbe de l'adoption des nouvelles technologies par ForbesLa technologie tend à être ubiquitaire, explique encore Kevin Kelly, d’autant que « les hommes sont l’organe reproductif de la technologie ». « L’ubiquité totale est le point final vers lequel tendent toutes les technologies sans jamais l’atteindre. Mais il se dessine une pratique omniprésente proche de la saturation, qui est suffisante pour faire basculer la dynamique d’une technologie à un autre niveau. Dans le monde développé ou l’espace urbain est omniprésent, la vitesse à laquelle les nouvelles technologies se dispersent jusqu’à leur point de saturation ne cesse de s’accélérer. » Dans l’évolution technologique, toute la question est de savoir ce qu’il arrive quand une technologie devient omniprésente, c’est-à-dire quand tout le monde en a un. Que se passe-t-il quand on passe d’un millier de robots humanoïdes à un milliard ? C’est dans cette saturation-là que se glissent les avantages et les perturbations qu’apportent les technologies. Quand une technologie sature ou sursature une culture, elle libère des modèles qu’on n’a pas vus dans les exemples isolés. « Ne vous inquiétez pas pour ceux qui n’ont pas de voiture, inquiétez-vous de ce qui arrive lorsque tout le monde a une voiture. » La plupart des conséquences non voulues qui nous effrayent tant dans la technologie arrivent avec l’ubiquité, l’omniprésence.

Mais si le succès des technologies suit un modèle biologique, il en est de même de l’échec, rappelle-t-il. D’où la nécessité de nous mettre en garde : « un jour, le long de la plage, de minuscules algues rouges ont soudainement fleuri en une grande marée rouge. Quelques semaines plus tard, juste au moment où le tapis rouge semblait devenu indélébile, il s’évanouit. Les lemmings surgissent puis disparaissent soudainement [faisant référence au mythe du suicide collectif de ces animaux]. Les mêmes forces biologiques qui se multiplient peuvent décimer les populations. Les mêmes forces qui se nourrissent l’une de l’autre pour amplifier l’existence du réseau et créent de puissantes normes peuvent également travailler à les réduire à néant en un clin d’oeil. Les mêmes forces qui convergent pour construit des organisations sur le mode biologique peuvent également converger pour les arracher les unes aux autres. (…) Toutes les raisons de l’autorenforcement à adhérer à un réseau en plein succès courront à sens inverse quand le succès basculera dans l’échec et que tout le monde cherchera à fuir. »

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0 commentaires

  1. De mon coté, avec le Labo de Y!MobActus, je remarque que la presse généraliste fait de plus en plus souvent des buzz autour de la technologie, mais ça reste trés timide…
    http://ymobactus.miaouw.net/labo-tags.php

    Du coup, je me demande si le grand public a vraiment une attention envers la technologie ?

  2. Très intéressant article mais plutôt que parler de la technologie, l’auteur ne devrait-il pas évoquer la technologie actuelle ?
    1. N’est-ce pas les hippies qui « permirent » d’une certaine façon le développement de l’Internet à San Francisco comme le suggère le livre de F Turner Professeur à Stanford, From counterculture to cyberculture » (2006) ?
    2. Cette critique des esprits les plus révoltés dans le bon sens du terme comme K Kelly est d’autant plus salutaire qu’elle nous annonce doucement la prochaine vague. Cette critique est aussi nécessaire à nos sociétés comme le montrèrent les auteurs canadiens Heath & Potter dans « Révolte consommée » (2005).
    L’auteur a donc raison de signaler l’accélération des processus de vulgarisation des nouveautés et celle-ci doit nous obliger à penser de plus en plus vite notre adaptation (1° hypothèse) ou notre déconnexion (2° hypothèse) et l’invention d’un autre modèle.
    Je pense que dans les années à venir les deux phénomènes cohabiteront : la contrainte de l’adaptation politique de plus en plus rapide facilitera l’adoption de nouveaux modèles encore dans les limbes et dans les esprits d’hommes comme Kelly.
    Th
    Th

  3. Intéressant rebond de Philippe Quéau qui trouve la réflexion de Kevin Kelly simpliste voire dangereuse : « Il faut relire aujourd’hui un petit livre d’Erich Fromm, Avoir ou être ? Comme ce titre l’indique, il y oppose radicalement deux modes principaux d’appréhension du monde, celui de l’avoir et celui de l’être. Il me semble que l’on pourrait reprendre cette dichotomie (fort ancienne, il est vrai, mais toujours pertinente) pour l’appliquer au monde technique dans son ensemble. Toutes les technologies qui nous entourent, y compris les plus modernes, les plus récentes, ont un point commun: elles relèvent de l’avoir et non de l’être. Elles ne nous font pas être davantage, elles simulent l’être. Plus grave encore, elles transforment l’être en avoir. Elles nous font toujours davantage verser dans le monde des avoirs, des ayants (-droit), des have et des have-not. Elles nous plongent dans le fleuve Léthé de l’oubli de l’être.

    Oui, le monde est en crise. Non la technologie de l’avoir ne pourra pas nous aider en tant que telle à résoudre la crise de l’être. »

  4. Ah bin justement Hubert ; les gens ne disent-ils pas le plus souvent « j’ai un facebook » ou « j’ai un twitter » plutot que « je suis sur facebook » ou « je suis sur twitter » ? Une petite requête sur google permet de le constater…