La mesure environnementale citoyenne existe

Depuis le lancement des premiers prototypes de la la montre verte, nous n’avions pas vraiment évoqué dans nos pages ce projet imaginé dans le cadre du programme Villes 2.0 de la Fing. C’est pourtant elle qu’est venu présenter Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération à l’EcoMap Lab qui se tenait à l’occasion de la conférence hollandaise Picnic.

La montre verte est un prototype de dispositif personnel communiquant qui a la forme d’une montre équipée de deux capteurs environnementaux (mesurant le taux d’ozone et le niveau de bruit), d’une puce GPS et d’une puce Bluetooth. Cette montre capture et stocke les mesures et les publie ensuite sur le réseau via un téléphone mobile, ce qui permet d’accéder à des cartographies des parcours et situations d’expérimentation. Ces données sont stockées sur une plate-forme ouverte, baptisée Citypulse, qui reçoit, emmagasine et rend disponibles les données de mesures permettant leur réutilisation.

Exemple de mesures réalisées par la montre verte autour de la place de la Bastille à Paris en juin 2009 mesurant le taux d'ozone
Image : exemple de mesures du taux d’ozone réalisées par la montre verte autour de la place de la Bastille à Paris en juin 2009.

Pour l’instant, on compte seulement une quinzaine de prototypes fonctionnels, mais plusieurs perspectives de développement devraient pouvoir nous faire espérer une expérimentation de niveau européen permettant à quelques milliers d’utilisateurs de porter le capteur et devenir la tête de pont de la mesure environnementale citoyenne.

Il existe bien sûr d’autres projets européens qui explorent à leur manière le potentiel et les enjeux de la mesure environnementale décentralisée. Cet atelier était l’occasion d’en rencontrer plusieurs…

Les enjeux des projets participatifs de mesure environnementale

Drew Hemment dirige Imagination Lancaster, un groupe interdisciplinaire de l’université du même nom qui travaille sur “les gens, les produits, les lieux et les systèmes du futur”. Il dirige également le festival FutureEverything (qui s’appelait auparavant FutureSonic), au croisement de la musique, des arts numériques et de l’innovation urbaine.

Le projet Environment 2.0 est né en 2006 pour “explorer comment l’observation participante et la cartographie que les technologies géolocalisées rendent possible, associées avec la possibilité de partager de l’information en réseau, développe les possibilités d’observation de masse de l’environnement.” Que serait un observatoire global composé d’un milliard d’yeux humains ?

Le projet Environnement 2.0 de Manchester
Image : Le projet Environnement 2.0 de Manchester.

Le projet a conduit les chercheurs et artistes d’Imagination Lancaster à travailler avec des gens très différents : des électroniciens spécialisés dans la mesure, des sociologues qui travaillaient avec le Natural History Museum sur la “science citoyenne”, c’est-à-dire la production de connaissances scientifiques par le biais de l’intervention de non-spécialistes.

Le projet pose plus de questions qu’il n’en résout : Comment impliquer un très grand nombre de personnes ? Que peut-on produire de cette manière qui ne peut pas être produit différemment ? Comment intégrer et exploiter des données non standardisées ?…

Au sein d’Environment 2.0, le projet BioTagging se proposait de créer une folksonomie des espèces animales et végétales urbaines. Climate Bubbles explorait les motivations des gens à participer à la production de connaissance environnementale, et la manière dont cette production produit des données impossibles à rassembler par des méthodes traditionnelles : par exemple, faire souffler des bulles de savon à des milliers de personnes pour mesurer le vent…

Quelles leçons retenir de cela pour des projets de participation de masse ? Il faut d’abord chercher la simplicité, la transparence des objectifs. Il faut une réciprocité : que ceux qui participent en retirent quelque chose, pour eux personnellement ou pour ce dans quoi ils sont engagés. Il faut en même temps laisser de la place à l’imprévu, à de nouveaux participants, à l’échec aussi, ainsi qu’à la diversité, car, pour des personnes différentes, il y aura plusieurs manières d’analyser l’environnement. Enfin, il faut passer d’expériences saisissantes à des expériences utiles – mais qui définit l’utilité d’un projet ? Evidemment, ceci fera l’objet de débats, notamment avec les acteurs installés, mais aussi avec les militants et les artistes engagés dans ces premiers projets.

La mesure alternative, chemin vers un dialogue plus rationnel et plus égal

René Post a ensuite présenté le projet Geluidsnet, de mesure du bruit dans la ville. Ce projet dérive d’une initiative citoyenne, qui visait à mesurer le niveau de bruit à proximité de l’aéroport international de Schiphol en Hollande – à une époque où le gouvernement néerlandais refusait de le faire. Il y avait des capteurs officiels, mais ils se trouvaient opportunément en maintenance aux périodes de plus intense activité de l’aéroport. Le projet n’a pris que quelques mois à être monté et n’a demandé que très peu d’argent. Au départ, les mesures étaient assez peu précises ; et pourtant, cela a suffi pour que le projet change la dynamique de dialogue entre les citoyens, les régulateurs et l’exploitant de l’aéroport. Aujourd’hui l’association du départ est devenue une entreprise, qui vend des systèmes plus fiables de mesure du bruit à des municipalités ou des communautés qui le désirent.

Le niveau de pollution sonore autour d'Amsterdam par Geluidsnet
Image : Le niveau de pollution sonore autour d’Amsterdam par Geluidsnet.

Quels changements un tel projet a-t-il apportés concrètement ? D’abord, des échanges plus rationnels, car argumentés autour de mesures, de données et de revendications précises. Par exemple, Geluidsnet a mesuré les niveaux de bruit autour d’un aéroport militaire de l’Otan, installé en Allemagne, mais tout au bord de la frontière avec les Pays-Bas. Or si les avions commerciaux ont réduit leur niveau sonore, il n’en va pas de même des avions militaires. Geluidsnet a alors installé 13 unités de mesure et a envoyé les données au gouvernement néerlandais et à l’Otan, et l’Otan a fini par réorganiser certains itinéraires d’approche.

Geluidsnet mesure également le bruit que produisent des concerts ou des dances partis, pour faciliter le dialogue avec les riverains, les pouvoirs publics ainsi qu’avec les techniciens du son. L’entreprise propose également d’évaluer les effets des nouveaux revêtements de routes, censés réduire le niveau sonore, jusqu’à l’idée de contractualiser dans la durée cette réduction : on mesure en permanence, et si l’usure de la chaussée réduit trop vite l’effet sur le bruit, l’entreprise est tenue de réparer…

Les “ecomaps”, vers des standards de visualisation de données environnementales ?

Shane Mitchell, responsable du programme Connected Urban Development de Cisco, présentait ensuite le projet Urban Ecomap, expérimenté à San Francisco puis à Amsterdam. Pour l’instant, le projet produit des cartes des émissions de CO2 de différents quartiers, à partir d’analyses de certains paramètres fournis par des sources officielles : modes de transports utilisés par les habitants, habitat… Les cartes sont très peu dynamiques, ces données se renouvellent peu – l’enjeu est plutôt de travailler sur les facteurs structurels que sur les évolutions de court terme.

Urban Ecomap mesure le taux de CO² sur San Francisco
Image : Urban Ecomap mesure le taux de CO² sur San Francisco.

Un utilisateur individuel peut ensuite aller plus loin dans le système : effectuer des simulations ou recevoir des conseils sur ce qu’il pourrait faire, partager ses progrès via un réseau social, repérer sur une carte ce que d’autres utilisateurs font et ont décidé d’annoncer publiquement…

Le projet cherche aujourd’hui à s’étendre à d’autres villes, puis à évoluer vers des données temps réel et de la production décentralisée d’informations.

La visualisation de données pour faciliter l’appropriation de l’information environnementale

L’architecte espagnole Nerea Calvillo terminait la série en présentant le projet In the Air, issu des ateliers “Visualizar” du Medialab Prado de Madrid. In the Air vise à “rendre visibles les agents invisibles qui déterminent la qualité de l’air de Madrid (gaz, particules, pollens pathogènes, etc.), pour comprendre comment ils interagissent avec la ville.

Aujourd’hui des données moyennes existent, mais en fait, la situation varie considérablement d’un lieu à l’autre, d’un moment à l’autre. Et différentes personnes sont sensibles à différents facteurs. Il s’agit alors de rendre compte de cette diversité, et de faciliter l’appréhension de l’information disponible par les habitants.

In the Air pour rendre visible les agents qui déterminent la qualité de l'air de Madrid
Image : In the Air pour rendre visible les agents qui déterminent la qualité de l’air de Madrid.

Le projet a produit un dispositif de visualisation en 3 dimensions, qui facilite la lecture des données et la compréhension de leur évolution dans le temps et l’espace. La carte existe pour Madrid et Santiago du Chili, qui est une ville extrêmement polluée.

In the Air réfléchit aussi à des dispositifs publics de restitution de l’information, comme un diffuseur de gouttelettes d’eau qui prend des couleurs différentes selon le niveau de pollution (vidéo).

Enfin, le projet cherche à favoriser la production décentralisée de capteurs, construits à partir de cartes Arduino. L’un des capteurs “collectifs” issus de ce travail est emporté par un ballon, pour prendre des mesures à plusieurs niveaux d’altitude (vidéo).

Hubert Guillaud et Daniel Kaplan

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  1. Sur son blog, Christian Kreutz s’intéresse également à l’action citoyenne via l’internet des objets et pointe vers la plateforme SourceMap qui permet d’utiliser la participation citoyenne pour cartographier la chaine d’approvisionnement des produits et Citizen Water, qui utilise la participation citoyenne et de petits capteurs pour mesurer la qualité de l’eau.