PDF Europe : Comment internet interroge-t-il l’Europe ?

Retour sur quelques présentations à l’occasion de la première édition du Personal Democracy Forum Europe qui se tenait à Barcelone les 20 et 21 novembre 2009.

Quelles collaborations citoyennes transnationales en matière politique existe-t-il en Europe ? A travers quelques cas, encore rares, les tables rondes dédiées à cette question semblent adresser bien timidement des questions majeures aux institutions européennes sur la place faite à la démocratie et à l’expression citoyenne en Europe.

Peut-on connecter le continent ?

Rolf Lührs, le coordinateur du réseau de participation numérique Pan Européen PEP-Net nous rappelle avec force chiffres la diversité européenne : 23 langues, 27 gouvernements nationaux, 44 partis au Parlement européen, 89 000 municipalités… Mais c’est aussi au niveau politique ou économique des différences notables dans les indices de corruption (comme celui établit par Transparency International), dans les indices de confiance envers les gouvernements, dans le produit intérieur brut, dans l’usage de l’internet ou des sites sociaux à travers l’Europe

Or, estime Rolf Lührs, les grands défis politiques de l’Europe (environnement, économie, développement, éducation, défense…) ne peuvent pas tous être résolus sur une base nationale. C’est un défi de connecter l’Europe. Certes, l’Europe est en partie connectée par les différentes strates d’autorités qui la composent, mais la Commission européenne n’est pas directement connectée aux citoyens. Comment relier la société civile et les autorités européennes, alors que les barrières linguistiques, économiques et culturelles sont nombreuses et que seulement 15  % des Européens comprennent l’anglais, langue de référence de cet espace diversifié… alors que les institutions demeurent abstraites et éloignées des citoyens. C’est en tout cas ce qu’essaye de faire à sa mesure Rolf Lührs via son réseau de participation électronique paneuropéen… Mais elle reste une tentative fragile, isolée, peu relayée.

Permettre aux gens de s’organiser

Paul Hilder est directeur de campagne pour le Royaume-Uni d’Avaaz un mouvement progressiste lancé en 2007 qui organise des campagnes d’action dans le domaine politique tout autour du monde. Fort de 3,4 millions de membres en provenance de 135 pays, la dernière action phare d’Avaaz a été l’appel au réveil pour le changement climatique (vidéo) qui a consisté à organiser quelques 2600 évènements à travers le monde le 21 septembre 2009, la veille du sommet sur le changement climatique organisé par l’ONU. Des milliers de personnes se sont auto-organisées à travers le monde, via le site web d’Avaaz pour rappeler, par des manifestations, des flashmobs et autres évènements, à leurs politiques, l’urgence de changer de politique pour sauver la planète.

Un appel qui montre par l’exemple comment un mouvement de masse transnational peut-être auto-organisé via l’internet. La plate-forme développée par Avaaz propose toute une gamme de formes d’organisation et d’outils (e-mail, vidéo, sondages, téléphones…) pour amplifier l’opinion publique. Depuis sa création, Avaaz a ainsi organisé de multiples actions, essentiellement par e-mail (“parce que c’est ce qui marche le mieux”, reconnaît Paul Hilder) : comme l’ObamaWall, collectant plus de 250 000 messages d’espoirs adressés au président des Etats-Unis ; ou la campagne de solidarité avec le peuple du Congo

Depuis sa création, Avaaz découvre le potentiel qu’il y a à offrir des outils pour organiser les gens à travers le monde. “L’opinion publique mondiale est le nouveau superpouvoir”, s’enthousiaste, convaincu, Paul Hilder.

Organiser le lobbying citoyen

Jérémie Zimmermann est l’un des cofondateurs de la Quadrature du Net, un collectif sans statut légal, fondé en mars 2008. L’idée qui a présidé à la création de la Quadrature était de fournir une boîte à outils pour informer les citoyens sur les dangers qui pèsent sur leurs libertés en France. Leur combat s’est focalisé notamment autour de la lutte contre Hadopi, l’autorité de surveillance de l’internet qu’est en train de mettre en place le gouvernement Sarkozy, afin de défendre l’espace de liberté que constitue l’internet pour l’avenir de nos sociétés.

Au niveau européen, la Quadrature s’est battue contre le paquet Télécoms, un ensemble de directives européennes cherchant à réguler le secteur des télécommunications, en travaillant à expliquer au public de quoi il était question et comment cette régulation portait en germe des problématiques fondamentales pour l’avenir d’internet.

Les moyens d’action de la Quadrature ont consisté d’abord et avant tout à publier des documents et des matériaux analytiques afin de distiller un message clair pour expliquer ce qui est en jeu, derrière sa complexité juridique et technique. L’essentiel du travail a été de convertir les amendements en choses compréhensibles, afin de créer une campagne accessible – malgré la difficulté des sujets. Expliquer les problèmes, détailler les arguments et montrer comment y répondre. Enfin, il a fallu inonder les députés et les rapporteurs parlementaires d’informations et de mail pour les amener eux aussi à comprendre les enjeux de ce qu’ils allaient voter.

Sur la scène de PDF Europe
Image : Jérémie Zimmermann au centre du panel sur la question des coopérations transnationales, sur un cliché de jonworth-eu.

« La transparence totale (publication de documents, de brouillons d’amendements, d’arguments…) nous a permis de gagner 88 % des députés à notre cause, alors que si tout cela était resté dans l’opacité derrière laquelle se font beaucoup de choses en Europe, nous aurions perdu« , explique Jérémie Zimmermann (l’amendement 138, une disposition qui avait été adoptée à deux occasions par une majorité de 88 % en assemblée plénière, et qui avait pour but de protéger les libertés des citoyens en ligne, a finalement été remplacé par une disposition neutralisée, comme l’explique la Quadrature sur son site).

« Nous avons également gagné, car nous avions raison », rappelle avec une assurance volontiers provocatrice Jérémie Zimmermann. Notre expérience montre également qu’une campagne s’organise avec un package d’actions simples et accessibles auxquelles les gens peuvent participer. Enfin, elle montre qu’il faut savoir trouver les bonnes personnes pour relayer notre action, car ce combat a été pleinement européen. “L’internet, pour aussi longtemps que nous l’aurons, ouvert, libre et neutre, est le plus fantastique outil pour reprendre la politique aux politiciens.”

Créer les outils de la transparence européenne

Jack Thurston est l’un des animateurs de followthemoney.eu, une initiative citoyenne qui vise à faciliter aux citoyens européens la compréhension du budget de l’Union Européenne : comment les budgets sont-ils décidés, d’où vient l’argent, comment est-il dépensé ? Cette action citoyenne menée par des militants, des chercheurs et des journalistes a pour but de rendre le fonctionnement de l’Union Européenne plus transparent et responsable.

Followthemoney s’appuie sur une autre réalisation de Jack Thurston, Famsubsidy, qui dévoile comment sont dépensés les budgets de la politique agricole commune européenne et permet notamment de tracer ces 85 % des subventions européennes qui vont aux 18 % des plus riches récipiendaires.

Derrière ces actions, Jack Thurston dresse un portrait assez morose de l’Europe : il n’y a pas d’espace politique européen, explique-t-il : l’Europe demeure une agrégation d’intérêts nationaux où les politiques nationales dominent, que ce soit dans les élections, dans l’application des politiques communautaires, etc. Hormis quelques médias alternatifs, il n’y a pas non plus de médias européens en Europe. “Où peut-on trouver l’Europe ?”, interroge-t-il. « L’eurosphère est un espace vide. » Il y a peu de moments européens et une forte insatisfaction du public. D’où sa volonté de construire des outils permettant d’imaginer des enquêtes transnationales par exemple. Mais la transparence peut-elle être une pierre sur laquelle construire une conscience européenne commune ?

Peut-on changer les choses ? Peut-on réellement avoir une influence sur la politique européenne ? Oui, répond avec détermination Jérémie Zimmermann. Il faut être vigilant. Scruter en profondeur. Publier les brouillons. Développer des propositions positives. Mémoire politique mis en place par la Quadrature du Net par exemple est un ensemble d’outils permettant aux citoyens de consigner précisément les votes et déclarations de leurs élus afin d’en garder la mémoire. Mémoire politique est un outil qui laisse des traces, car, fort heureusement, l’internet n’oublie jamais, clame l’activiste convaincu de la valeur de cette transparence-là.

Comme le disait encore Jérémie Zimmermann, on peut exploiter nos différences culturelles pour en faire une force. On peut construire un chemin commun dans les diversités, mais il reste difficile de connecter entres elles de grosses masses de personnes, car il faut réussir à les impliquer. D’autant que pour connecter un continent, il faut le faire en anglais, ce qui n’est pas si simple, quand, pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas la langue maternelle.

Un ensemble de projets qui montre, comme le soulignait un participant, qu’il y a encore des Européens attachés au projet démocratique européen, malgré sa complexité et malgré que ce projet européen lui-même apparaisse assez peu démocratique à tous ceux qui s’y confrontent.

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  1. En France, en matière d’e-Démocratie, le Collectif RegardsCitoyens.org propose depuis quelques mois à l’image de la Sunlight Foundation américaine et du MySociety anglais des projets tels que http://www.NosDeputes.fr