TIC 2025 : les secteurs les plus régulés sont les plus intéressants

PlatdeCouvINNO-DilemEco-09-4TIC 2025 Les grandes mutations est un recueil d’entretiens qui vient de paraître chez FYP éditions. Ce livre permet de prendre connaissance, facilement, des grands enjeux qui sont appelés à traverser la société de l’information et de la connaissance d’ici 15 ans. Les éclairages rassemblés par Yannick Lejeune s’articulent autour de nombreuses personnalités des TIC (comme Daniel Kaplan, danah boyd, Joi Ito, Rafi Haladjian, Jean-Michel Planche, Henri Verdier, Steve Rubel…) permettant de défricher plusieurs grandes thématiques allant des sociabilités juvéniles, au bouleversement des échanges des biens culturels, en passant par les transformations liées à l’intelligence ambiante, au commerce, à l’éducation ou à la santé…

La forme des entretiens permet à l’ouvrage de demeurer très accessible : on le réservera plutôt à des non-spécialistes, à des gens qui voudraient rapidement mieux saisir les enjeux à venir.

En partenariat avec FYP éditions et à l’occasion de cette parution, nous vous proposons de découvrir l’un des entretiens de l’ouvrage. Celui de Jean-Christophe Capelli, directeur de FriendsClear, première plateforme de prêts entre particuliers et professionnels en France, que nous avons choisi parce qu’il nous permet de continuer à assembler du matériel autour d’une réflexion de fond sur les transformations monétaires à l’heure du numérique… Sujet sur lequel nous reviendrons prochainement.

Financement : Les secteurs les plus régulés sont les plus intéressants

Les mondes de la finance, de la banque et des paiements vont être profondément bouleversés par les TIC. On a souvent tendance à croire que l’argent est fait de billets et de pièces. Dans les faits, les espèces et les chèques représentent peu de chose par rapport aux échanges financiers qui ont lieu chaque jour. L’argent, c’est surtout quelque chose de parfaitement dématérialisé, un ensemble de bits sur des comptes, qui sert à la fois d’unité de compte, de réserve de valeur et d’instrument d’échange. Or, quoi de mieux que l’internet pour échanger un actif dématérialisé ?

FriendsClear est une plateforme internet qui met en relation des personnes cherchant à financer un projet et des internautes qui leur prêtent de l’argent. C’est la première plateforme de prêt d’argent P2P (peer-to-peer) de France, qui répond à une question simple : « Où trouver l’argent pour financer mon projet ? » Il n’est pas question de prise de participation : celui qui emprunte paye un taux d’intérêt qui va dans la poche de celui qui prête. Prenons un exemple : j’ai besoin de 15 000 euros pour monter un bar à smoothies en sortant de mes études de restauration, je dépose une annonce. Si elle est convaincante, une quinzaine d’internautes (des restaurateurs, des gens de la région ou des étudiants du campus dans lequel le bar va être installé) peuvent me prêter 1 000 euros chacun.

En fait, vous mettez en place des tontines online ?
Ce type de prêt d’argent, dans des cercles familiaux, locaux ou régionaux, a toujours existé, de tout temps et partout dans le monde : en Éthiopie, cela s’appelle l’ekub, au Brésil, le consorcio… Même les banques mutualistes se sont créées sur ces bases en Europe, au XIXe siècle : les agriculteurs se prêtaient de l’argent pour aider un jeune à s’installer, les marins-pêcheurs le faisaient entre eux pour s’acheter de nouveaux bateaux, etc. Cela marchait très bien grâce à la confiance des pairs. Aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux et internet, on retrouve cet esprit de communauté : la technologie a permis la naissance de « tontines numériques » dans lesquelles on peut toucher plus de monde.

Financer, c’est faire confiance. Comment l’instaurer sur des réseaux numériques ?
C’est une question primordiale. Pour commencer, on peut utiliser des méthodes traditionnelles comme celle du banquier : « Dis-moi qui tu es. Montre-moi tes papiers que je puisse vérifier ton identité. » Mais aussi de nouvelles méthodes de mesure de la confiance : « Montre-moi tes amis, ton profil Viadeo. Qui t’a recommandé ? » Aux notions classiques de confiance se mêle celle de la réputation numérique. Une fois que l’on est certain de la fiabilité de l’emprunteur (nom, adresse, compte, solvabilité), on peut aller voir le blog ou le site de l’entreprise qu’il veut créer pour en savoir plus sur le projet.

S’ensuit un dialogue avec les prêteurs potentiels qui posent leurs questions au demandeur à travers le réseau, leurs conversations deviennent alors de plus en plus privées. La confiance se bâtit ainsi. On a trop pensé, et notamment les médias, que les sites de socialisation étaient de joyeuses pantalonnades d’étudiants futiles. C’est un tort ! Ces réseaux peuvent aussi servir à s’échanger des informations professionnelles ou de l’argent. C’est, à mon avis, leur prochaine grande évolution. À son commencement, le web était un lieu d’échange d’informations, une sorte de grande bibliothèque. Puis les commerçants et les banquiers sont arrivés et en ont fait un lieu où l’argent circule. Ce n’est pas si vieux que cela : il y a quelques années, quand j’achetais quelque chose en ligne, je devais envoyer un chèque par La Poste. PayPal n’existait pas. Maintenant, il m’est naturel de payer en ligne. Le même mouvement est en train de se mettre en place au sein des réseaux sociaux ou sur les téléphones mobiles.

Les échanges d’argent entre particuliers se développent. Il existe par exemple des applications qui me permettent de vous rendre l’argent que vous m’avez prêté. Imaginons que je n’aie pas de liquide sur moi en sortant d’une soirée et que vous me prêtiez 50 euros pour prendre un taxi, si nos portables respectifs sont connectés à nos comptes bancaires et que vous figurez dans mon carnet d’adresses, je peux très facilement effectuer un virement pour vous rembourser.

Que pensez-vous du principe émergent de création de monnaies alternatives au sein de communautés ?
C’est un champ intéressant. Ces monnaies alternatives viennent en complément de la monnaie officielle : on parle de monnaies « complémentaires ». Je suis très enthousiaste sur la question, mais il ne faut pas oublier que la monnaie a toujours trois fonctions : unité de compte, instrument d’échange et valeur de réserve. Si les monnaies complémentaires peuvent remplir les deux premières fonctions, la troisième pose problème. Quelle valeur a une monnaie complémentaire ?

Il y a eu des exemples réussis comme le dollar Linden de Second Life, mais le problème de ces monnaies reste qu’elles ne peuvent pas facilement se convertir en monnaies traditionnelles. On a beaucoup parlé des Twollars dans Twitter, mais ce n’est qu’une devise de gratification, un peu comme des bons points donnés à un utilisateur qui contribue à la communauté. Cet utilisateur ne peut rien en faire, à part les donner à quelqu’un d’autre ou les afficher comme une récompense.

À San Francisco, des habitants d’un quartier se sont regroupés pour utiliser de vrais billets de banque sur lesquels sont apposés des stickers, qui transforment ces billets en Bernal bucks. En faisant circuler cette monnaie, on obtient des avantages dans certains magasins : en achetant ses pommes de terre avec cette monnaie, on se voit offrir un café. Cela facilite la circulation locale de l’argent et encourage le commerce de proximité. C’est intéressant, car cette monnaie est immédiatement convertible : il suffit d’en retirer l’autocollant. Elle permet à l’argent traditionnel (le billet de banque) de ne pas partir dans des mécanismes compliqués au sein desquels on perd sa trace. C’est un peu comme l’eau ou l’air qui doivent irriguer un écosystème.

Les monnaies traditionnelles, totalement fongibles au niveau mondial, et qui peuvent être utilisées avec un fort effet de levier dans des opérations financières compliquées, sont très certainement l’un des facteurs explicatifs de la crise actuelle. C’est pour cela que les monnaies complémentaires sont très intéressantes dans un quartier, une région pour y dynamiser les échanges. Dans la nature, plus il y a d’espèces et de diversité, plus l’écosystème est stable. Dans le monde financier, je pense que plus il y a de monnaies complémentaires, plus le système est stable.

Ce qui fait le plus peur aux banquiers traditionnels, plus que Facebook, c’est Google qui pourrait lancer sa propre banque. Je pense que cela arrivera. Un observateur avisé de Google, Jeff Jarvis, a écrit dans son dernier livre, La Méthode Google : que ferait Google à votre place ?, que si Google devait faire une banque, il en ferait une sur le modèle de Zopa (le concurrent anglais de FriendsClear). Et là où cela pourrait être intéressant pour eux, c’est au niveau des échanges financiers au sein même de leur système. Si vous utilisez leurs outils publicitaires en tant qu’annonceur avec AdWords et en tant que diffuseur sur votre blog avec AdSense, tout cela passe par le système bancaire traditionnel. Or, chaque transaction unitaire doit coûter fort cher à Google. Ils gagneraient à faire leur propre banque, avec un système de compensation des créances et des dettes qui leur permettrait de diminuer le coût bancaire de ces opérations.

Pensez-vous que les structures de régulation laisseront émerger ces nouveaux modèles ?
En tant qu’entrepreneur, je sais que les industries les plus régulées sont les plus intéressantes. Quand un secteur est réglementé, c’est souvent là que l’innovation est la plus bénéfique, car la plus en rupture. Ce fut le cas avec les premiers FAI, le modèle de France Télécom était si prégnant que les nouveaux arrivants ont dû frapper fort pour se démarquer. Il est vrai que certains modèles de prêts d’argent en P2P (par exemple aux Pays-Bas) ont été créés n’importe comment et qu’ils ont vite été fermés. Dans le cas de FriendsClear, nous respectons la réglementation tout en apportant une idée totalement nouvelle. Certains métiers installés, régulés par des lois, ne vont pas disparaître. Le but n’est pas de renverser le système, mais de jouer avec pour proposer de nouveaux usages.Nous travaillons donc avec des banquiers, qui sont nos prestataires et qui connaissent bien leur métier, l’un des plus vieux métiers du monde. Par la suite, nous avons l’ambition de créer notre propre banque, avec l’obtention de notre propre licence bancaire.

Aujourd’hui, beaucoup d’opérations sont « intermédiées » et « opaques » : les banquiers collectent l’épargne des particuliers et en font des produits financiers complexes à l’aide de placements, de sicav, de livrets, etc. Grâce à l’internet, la mise en relation entre le propriétaire de l’argent et son utilisation pourrait se faire sans intermédiaires. C’est un très gros marché dont nous ne voyons aujourd’hui qu’une petite partie. Il pourrait se développer très vite.

Une nouvelle forme d’intermédiaires va-t-elle voir le jour ?
À mon avis, l’avenir est aux courtiers, déjà très présents dans le monde physique, ils vont prendre de l’importance sur internet. Par exemple, eBay est un très bon courtier du commerce qui met en relation des vendeurs et des acheteurs tout en ayant réussi à gagner suffisamment de confiance et de volume pour s’imposer comme le leader de son secteur. Regardez ce qui se passe en musique, un site comme My Major Company met en relation internautes et groupes de musique, et cela fonctionne très bien. C’est l’expression anglaise, cut the middle man. On se passe du banquier et on « réintermédie » de manière plus légère : ceux qui ont quelque chose à vendre et à acheter peuvent réinventer leur relation.

Une manière pour l’utilisateur d’avoir plus de pouvoir sur le système ?
C’est vrai. L’université de Harvard a beaucoup étudié la question : en tant que consommateur, grâce à la technologie, j’ai désormais la capacité de choisir mon fournisseur, qui peut être un autre particulier, une petite ou une grosse entreprise, etc. J’ai désormais les moyens de créer et de structurer mon marché de fournisseurs. C’est comme si chaque individu pouvait lancer un appel d’offres. On a beaucoup parlé de CRM ou de gestion de la relation client, l’avenir, c’est l’inverse, le VRM, vendor relationship management.

Jean-Christophe Capelli

Diplômé de Sciences Po Paris, ancien contrôleur financier de BNP-Paribas et ex-directeur associé de BearingPoint (Andersen Business Consulting), Jean-Christophe Capelli est aujourd’hui dirigeant de FriendsClear, la première plateforme de prêts entre particuliers ou professionnels en France, qu’il a créée et lancée en octobre 2008.

Il est également cofondateur du BarCampBank, un cercle de réflexion présent en Europe et aux États-Unis, dont le but est de contribuer à l’apparition d’innovations et de nouveaux business models dans le monde de la banque et de la finance.

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