Quel est votre score d’influence ?

La lecture de la semaine, elle nous vient du New York Times, et de Stephanie Rosenbloom, qui est reporter au service Style.

Imaginez un monde, commence Stephanie Rosenbloom, où nous serait assigné un nombre mesurant notre niveau d’influence. Ce nombre nous permettrait de grimper dans la hiérarchie, d’être surclassés dans les hôtels et de gagner des friandises au supermarché. Mais au cas où votre score d’influence serait bas, pas de promotion, pas de suite à l’hôtel, pas de petits gâteaux offerts.

Ce n’est pas de la science-fiction. Cela arrive à des millions d’usagers des réseaux sociaux.

Si vous avez un compte Facebook, Twitter ou LinkedIn, vous êtes déjà évalués – ou le serez bientôt. Des entreprises comme Klout, PeerIndex et Twitter Grader sont en train de classer des millions, potentiellement des milliards, de gens selon leur niveau d’influence – ou, dans leur jargon, de classer les « influenceurs ». Mais ces entreprises ne s’intéressent pas seulement au nombre de followers ou d’amis que vous avez amassés. Elles commencent à mesurer l’influence de manière plus fine, et elles postent leurs résultats en ligne, sous la forme de score.

Pour certains, il s’agit d’un outil passionnant – un de ceux qui vont dans le sens de la démocratisation de l’influence. Plus besoin d’être une célébrité, un homme politique ou une personnalité médiatique pour être considéré comme influent. Le « scoring social » peut aider à la construction de soi en tant que marque. Pour ceux qui sont plus critiques, cette pratique est celle d’un Nouveau Monde technologique où ce sera le score qui déterminera la façon dont vous serez traité par quiconque entrera en contact avec vous. « Il sera bientôt accessible publiquement aux gens que vous rencontrez, à vos employeurs », explique un professeur de marketing à la journaliste.

Ces scores d’influence peuvent s’étaler de 1 à 100. Chez Klout, le principal acteur de ce secteur, le score moyen se situe dans la dizaine. Un score de 40 suppose une influence forte, mais de niche. Si vous atteignez 100, vous êtes Justin Bieber. Sur PeerIndex, le score moyen est de 19. A 100, l’entreprise considère que vous êtes l’égal de Dieu.

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Image : Le rapport Klout d’InternetActu… Pas encore Dieu ! ;-)

Ces entreprises sont encore en train d’affiner leurs méthodologies – en travaillant les données et en faisant entrer dans le calcul d’autres réseaux en ligne. Ce mois-ci, Klout a annoncé commencer à incorporer les profils LinkedIn.

Les gens du marketing y voient une promesse. Plus de 2 500 entreprises utilisent les données de Klout. Il y a 15 jours, Klout a révélé qu’Audi allait offrir des promotions à des usagers de Facebook sur la base des scores d’influence. L’an dernier, la compagnie d’aviation Virgin America les a aussi utilisés pour offrir aux influenceurs les mieux notés de Toronto des vols gratuits pour San Francisco et Los Angeles. A Las Vegas, certains hôtels ont aussi recourt à Klout pour offrir des billets gratuits à leurs clients les plus influents.

Pour Joe Fernandez, le cofondateur de Klout : « pour la première fois, nous jouons tous sur le même terrain. Pour la première fois, l’influence n’est plus affaire d’argent ou d’apparence. Ce qui compte, c’est ce que vous dites et comment vous le dites. »

Comment devient-on un influenceur, se demande la journaliste ? Après avoir analysé l’an dernier 22 millions de tweets, des chercheurs de Hewlett-Packard ont montré qu’il ne suffit pas d’attirer des followers, il faut aussi donner envie à ces followers de se mettre en action. Les inciter à essayer le yoga Bikram ou à partager une recette de tarte. En d’autres termes, l’influence est affaire d’engagement et de motivation, pas seulement d’amoncellement de followers.

Les professionnels disent qu’il est aussi important de concentrer notre présence numérique sur un ou deux centres d’intérêt. Ne soyez pas généraliste ! Plus important encore : soyez passionné, érudit et fiable.

Malgré tout, l’établissement de ces scores demeure subjectif et encore imparfait : la plupart des entreprises qui se livrent à ce type d’analyse se réfèrent seulement aux comptes Twitter et aux profils Facebook, laissant de côté les autres activités en ligne, comme le fait de bloguer ou de poster des vidéos sur Youtube. Comme l’influence dans le monde hors ligne, qui n’est pas non plus prise en compte.

Un des dirigeants de PeerIndex appelle ça le « problème Clay Shirky », en référence à l’écrivain et théoricien des réseaux bien connus, qui n’utilise pas beaucoup Twitter. « Évidemment, il a une influence massive, explique ce dirigeant, mais dans les conditions actuelles, son score sur PeerIndex est très mauvais. »

Un analyste en stratégie numérique a écrit il y a quelques mois qu’utiliser une seule métrique pour évaluer l’influence était dangereux. Il expliquait que Klout « manque l’analyse des sentiments » – l’usager qui génère beaucoup de conversation numérique récolte un grand score même si ses propos sont très mal reçus. Par ailleurs, la seule métrique peut-être trompeuse : quelqu’un avec peu d’expérience sur Twitter peut obtenir un gros score s’il poste une vidéo sur YouTube qui devient virale.

Plus largement, d’autres s’inquiètent du fait que nous serions en train de créer un système de classe dans les médias sociaux, où les gens avec de bons scores seraient mieux traités par les commerciaux, les employeurs potentiels, et même leurs possibles amants.

Il n’est donc pas étonnant que certains essaient de jouer avec leur score. Atteindre un haut niveau d’influence exige du temps et de l’énergie. Et quand votre être de chair et d’os prend un repos mérité, votre moi numérique en paie le prix. « Je suis parti deux semaines en vacances », explique quelqu’un à la journaliste « et mon score Klout a chuté ».

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 10 juillet 2011 était consacrée à la 3e édition de la conférence Lift France avec trois invités qui utilisent les nouvelles technologies pour changer le monde.

Gaël Musquet, contributeur militant d’Open Street Map, un système de cartographie ouvert dont les implications dans un grand nombre d’applications transforment notre rapport au territoire.

Geoffrey Dorne, designer, animateur de l’excellent Graphism.fr, chercheur au laboratoire IDN de l’Ensad où il développe le projet NEEN (non-verbal emotional experience of notification – expérience de notification émotionnelle non-verbale) et qui montre une autre forme d’utilisation des nouvelles technologies, pour qu’elles deviennent plus douces, moins intrusives.

Guilhem Chéron, designer culinaire, avec La Ruche qui dit oui, utilise, lui, les nouvelles technologies pour changer notre façon de manger.

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  1. Olivier Ertzscheid a publié il y a peu un bon billet sur cette dérive du « scoring » qui laisse imaginer que le croisement de la hiérarchisation de notre influence avec des réseaux sociaux professionnels créeront demain de multiples indices pour nous surveiller.

    S’il est juste que chacune de nos requêtes déclenches des systèmes de mesures et de recommandation qui leurs sont propres, pour l’instant, les méthodes de mesure de ces services n’ont pas vraiment de sens, car leur indexation est encore limitée. Ils savent mesurer une forme d’activité en ligne, mais cette activité n’est pas forcément caractéristique de notre personne, comme le disait Brian Solis à Lift. Branchés sur l’activité de Facebook ou Twitter, ils peinent à prendre en compte nos autres activités en ligne et plus encore nos activités hors ligne. Ce qui en fait des outils encore bien imparfaits.

  2. Un dicton d’économiste souligne que dès qu’un indicateur est utilisé comme objectif de politique publique, il perd toute pertinence. La manipulation des chiffres du chômage (avec des dispositifs versant les chômeurs dans d’autres catégories sans pour autant qu’ils retrouvent un emploi) en constitue l’exemple canonique.

    Le commentaire de le_vrai_curtis ci-dessus semble indiquer que ces outils vont dans la même direction. Ce qui quelque part peut limiter la crainte qu’on peut avoir à l’égard de l’efficacité d’une surveillance automatisée.